Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– On n’entend rien, il a laissé sa sœur tranquille; à peine arrivé chez lui, il sera sans doute tombé comme une masse sur le plancher, et, maintenant, il dort. Vous pouvez vous en aller.
– Écoutez, Chatoff, que dois-je à présent conclure de tout cela?
– Eh! concluez ce que vous voudrez! me répondit-il d’une voix qui exprimait la lassitude et l’ennui, ensuite il s’assit devant son bureau.
Je me retirai. Dans mon esprit se fortifiait de plus en plus une idée invraisemblable. Je songeais avec inquiétude à la journée du lendemain…
VII
Cette journée du lendemain, – c'est-à-dire ce même dimanche où le sort de Stépan Trophimovitch devait être irrévocablement décidé, – est une des plus importantes que j’aie à mentionner dans ma chronique. Ce fut une journée pleine d’imprévu, qui dissipa les ténèbres sur plusieurs points et les épaissit sur d’autres, qui dénoua certaines complications et en fit naître de nouvelles. Dans la matinée, le lecteur le sait déjà, j’étais tenu d’accompagner mon ami chez Barbara Pétrovna, qui, elle-même, avait exigé ma présence, et, à trois heures de l’après-midi, je devais être chez Élisabeth Nikolaïevna pour lui raconter – je ne savais quoi, et l’aider – je ne savais comment. Toutes ces questions furent tranchées comme personne ne se serait attendu à ce qu’elles le fussent. En un mot, le hasard amena, durant cette journée, les rencontres et les événements les plus étranges.
Pour commencer, lorsque nous arrivâmes, Stépan Trophimovitch et moi, chez Barbara Pétrovna à midi précis, heure qu’elle nous avait fixée, nous ne la trouvâmes pas; elle n’était pas encore revenue de la messe. Mon pauvre ami était dans un tel état d’esprit que cette circonstance l’atterra; presque défaillant, il se laissa tomber sur un fauteuil du salon. Je l’engageai à boire un verre d’eau; mais, nonobstant sa pâleur et le tremblement de ses mains, il refusa avec dignité. Je ferai remarquer en passant que son costume se distinguait cette fois par une élégance extraordinaire: sa chemise de batiste brodée était presque une chemise de bal; il avait une cravate blanche, un chapeau neuf qu’il tenait à la main, des gants jaune paille, et il s’était tant soit peu parfumé. À peine fûmes-nous assis que parut Chatoff, introduit par le valet de chambre; il était clair que lui aussi avait reçu de Barbara Pétrovna une invitation en règle. Stépan Trophimovitch se leva à demi pour lui tendre la main, mais Chatoff, après nous avoir examinés attentivement tous les deux, alla s’asseoir dans un coin, sans même nous faire un signe de tête. Stépan Trophimovitch me regarda de nouveau d’un air inquiet.
Plusieurs minutes s’écoulèrent ainsi dans un profond silence. Stépan Trophimovitch se mit soudain à murmurer quelques mots à mon oreille, mais il parlait si bas et si vite que je ne pouvais rien comprendre à ses paroles; du reste, son agitation ne lui permit pas de continuer. Le valet de chambre entra encore une fois sous couleur d’arranger quelque chose sur la table, mais en réalité, je crois, pour jeter un coup d’œil sur nous. Brusquement Chatoff l’interpella d’une voix forte:
– Alexis Égoritch, savez-vous si Daria Pavlona est allée avec elle?
– Barbara Pétrovna est allée seule à la cathédrale, Daria Pavlona est restée dans sa chambre, elle ne se porte pas très-bien, répondit Alexis Égoritch avec la gravité compassée d’un domestique bien stylé.
Mon pauvre ami me lança encore un regard anxieux, cela finit par m’ennuyer à un tel point que je me tournai d’un autre côté. Soudain retentit le bruit d’une voiture s’approchant du perron, et un certain mouvement dans la maison nous avertit que la générale était de retour. Nous nous levâmes tous précipitamment, mais une nouvelle surprise nous était réservée: les pas nombreux que nous entendîmes prouvaient que Barbara Pétrovna n’était pas rentrée seule, et cela était déjà assez étrange, attendu qu’elle-même nous avait indiqué cette heure-là. Enfin nous perçûmes le bruit d’une marche extrêmement rapide, d’une sorte de course qui n’était nullement dans les habitudes de Barbara Pétrovna. Et tout à coup celle-ci, essoufflée, en proie à une agitation extraordinaire, fit irruption dans la chambre. Quelques instants après entra beaucoup plus tranquillement Élisabeth Nikolaïevna, tenant par la main – Marie Timoféievna Lébiadkine! Si j’avais vu la chose en rêve, je n’y aurais pas cru.
Pour expliquer un fait si bizarre, il faut que je raconte une aventure singulière survenue une heure auparavant à Barbara Pétrovna, pendant qu’elle était à la cathédrale.
Je dois d’abord noter que presque toute la ville était à la messe; quand je dis toute la ville, j’entends, comme bien on pense, les couches supérieures de notre société. On savait que la gouvernante s’y montrerait pour la première fois depuis son arrivée chez nous. Soit dit en passant, le bruit courait déjà qu’elle était libre penseuse et imbue des «nouveaux principes». Nos dames n’ignoraient pas non plus que Julie Mikhaïlovna serait vêtue avec un luxe et une élégance extraordinaires; aussi elles-mêmes faisaient-elles assaut de toilettes luxueuses et élégantes. Seule, Barbara Pétrovna était mise simplement, comme de coutume; depuis quatre ans, elle s’habillait toujours en noir. Arrivée à la cathédrale, elle alla occuper sa place habituelle au premier rang à gauche, et un laquais en livrée déposa devant elle un coussin en velours pour les génuflexions. Bref, tout se passa comme à l’ordinaire. Mais on remarqua aussi que, cette fois, elle pria pendant tout l’office avec une ferveur inaccoutumée; plus tard, quand on se rappela tout, on prétendit même avoir vu des larmes dans ses yeux. À l’issus de la cérémonie, notre archiprêtre, le père Paul, monta en chaire. Ses sermons étaient très-goûtés chez nous, et on l’engageait souvent à les faire imprimer, mais il ne pouvait s’y résoudre. Dans la circonstance présente, il parla fort longuement.
Pendant qu’il prêchait, une dame arriva à la cathédrale dans une légère voiture de louage, un de ces drochkis du temps passé où les dames ne pouvaient s’asseoir que de côté en se tenant à la ceinture du cocher, ce qui, du reste, ne les empêchait pas d’être secouées comme l’herbe au souffle du vent. Ces véhicules incommodes se rencontrent encore aujourd’hui dans notre ville. Le drochki s’arrêta au coin de la cathédrale, car devant la porte stationnaient une foule d’équipages et même des gendarmes. La dame descendit et offrit quatre kopecks au cocher.
– Eh bien! tu trouves que ce n’est pas assez, Vanka? s’écria-t-elle en voyant qu’il faisait la grimace, et elle ajouta d’une voix plaintive: – C’est tout ce que j’ai.
– Allons, que Dieu t’assiste! je t’ai chargée sans convenir du prix, répondit avec un geste de résignation Vanka dont le regard semblait dire: «Toi, ce serait péché de te faire de la peine.» Ensuite il serra dans son sein sa bourse de cuir, fouetta son cheval et s’éloigna poursuivi par les lazzi des autres cochers. Les railleries et les marques d’étonnement accompagnèrent aussi la dame pendant tout le temps qu’elle mit à se frayer un passage à travers les équipages et les valets qui encombraient les abords de la cathédrale. Le fait est qu’il y avait quelque chose d’étrange dans l’apparition soudaine d’une semblable personne au milieu de la foule. D’une maigreur maladive, elle boitait un peu et avait le visage excessivement fardé de rouge et de blanc. Quoique le temps fût froid et venteux, elle allait le col nu, la tête nue, sans mouchoir, sans bournous, n’ayant pour tout vêtement qu’une vielle robe de couleur sombre. Dans son chignon était piquée une de ces roses artificielles dont on couronne les chérubins le dimanche des Rameaux. Justement la veille, lors de ma visite chez Marie Timoféievna, j’avais remarqué dans un coin, au-dessous des icônes, un de ces chérubins dont le chef était ainsi orné de roses en papier. Pour comble, bien que la dame baissât modestement les yeux, elle ne laissait pas d’avoir sur les lèvres un gai et malicieux sourire. Si elle avait encore tardé un instant à pénétrer dans la cathédrale, on lui en aurait peut-être interdit l’entrée; elle réussit néanmoins à s’y glisser, et, une fois dans le temple, continua sa marche à travers la foule des fidèles qui remplissaient le saint lieu.