Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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III
À gauche du perron, une entrée particulière donnait accès aux appartements de la gouvernante, mais cette fois toute la bande s’y rendit en traversant la salle, sans doute parce que dans cette pièce se trouvait Stépan Trophimovitch dont on connaissait déjà l’aventure. Le hasard avait voulu que Liamchine n’allât point avec les autres chez Barbara Pétrovna. Grâce à cette circonstance, le Juif apprit avant tout le monde ce qui s’était passé en ville; pressé d’annoncer d’aussi agréables nouvelles, il loua un mauvais cheval de Cosaque et partit à la rencontre de la société qui revenait de Skvorechniki. Je présume que Julie Mikhaïlovna, malgré sa fermeté, se troubla un peu en entendant le récit de Liamchine, mais cette impression dut être très fugitive. Par exemple, le côté politique de la question ne pouvait guère préoccuper la gouvernante: à quatre reprises déjà Pierre Stépanovitch lui avait assuré qu’il n’y avait qu’à fustiger en masse tous les tapageurs de la fabrique, et depuis quelque temps Pierre Stépanovitch était devenu pour elle un véritable oracle. «Mais… n’importe, il me payera cela», pensa-t-elle probablement à part soi: il, c’était à coup sûr son mari. Soit dit en passant, Pierre Stépanovitch ne figurait point dans la suite de Julie Mikhaïlovna lors de l’excursion à Skvorechniki, et durant cette matinée personne ne le vit nulle part. J’ajoute que Barbara Pétrovna, après avoir reçu ses visiteurs, retourna avec eux à la ville, voulant absolument assister à la dernière séance du comité organisateur de la fête. Selon toute apparence, ce ne fut pas sans agitation qu’elle apprit les nouvelles communiquées par Liamchine au sujet de Stépan Trophimovitch.
Le châtiment d’André Antonovitch ne se fit pas attendre. Dès le premier coup d’œil qu’il jeta sur son excellente épouse, le gouverneur sut à quoi s’en tenir. À peine entrée, Julie Mikhaïlovna s’approcha avec un ravissant sourire de Stépan Trophimovitch, lui tendit une petite main adorablement gantée et l’accabla des compliments les plus flatteurs: on aurait dit qu’elle était tout entière au bonheur de le voir enfin chez elle. Pas une allusion à la perquisition du matin, pas un mot, pas un regard à Von Lembke dont elle semblait ne pas remarquer la présence. Bien plus, elle confisqua immédiatement Stépan Trophimovitch et l’emmena au salon comme s’il n’avait pas eu à s’expliquer avec le gouverneur. Je le répète: toute femme de grand ton qu’elle était, je trouve que dans cette circonstance Julie Mikhaïlovna manqua complètement de tact. Karmazinoff rivalisa avec elle (sur la demande de la gouvernante il s’était joint aux excursionnistes; tout au plus pouvait-on appeler cela une visite; néanmoins cette politesse tardive et indirecte n’avait pas laissé de chatouiller délicieusement la petite vanité de Barbara Pétrovna). Entré le dernier, il n’eut pas plus tôt aperçu Stépan Trophimovitch qu’il poussa un cri et courut à lui les bras ouverts en bousculant même Julie Mikhaïlovna.
– Combien d’étés, combien d’hivers! Enfin… Excellent ami!
Il l’embrassa, c'est-à-dire qu’il lui présenta sa joue. Stépan Trophimovitch ahuri dut la baiser.
– Cher, me dit-il le soir en s’entretenant avec moi des incidents de la journée, – je me demandais dans ce moment-là lequel était le plus lâche, de lui qui m’embrassait pour m’humilier, ou de moi, qui, tout en le méprisant, baisais sa joue alors que j’aurais pu m’en dispenser… pouah!
– Eh bien, racontez-donc, racontez tout, poursuivit de sa voix sifflante Karmazinoff.
Prier un homme de faire au pied levé le récit de toute sa vie depuis vingt-cinq ans, c’était absurde, mais cette sottise avait bonne grâce.
– Songez que nous nous sommes vus pour la dernière fois à Moscou, au banquet donné en l’honneur de Granovsky, et que depuis lors vingt-cinq ans se sont écoulés… commença très sensément (et par suite avec fort peu de chic) Stépan Trophimovitch.
– Ce cher homme! interrompit Karmazinoff en saisissant son interlocuteur par l’épaule avec une familiarité qui, pour être amicale, n’en était pas moins déplacée, – mais conduisez-nous donc au plus tôt dans votre appartement, Julie Mikhaïlovna, il s’assiéra là et racontera tout.
Et pourtant je n’ai jamais été intime avec cette irascible femmelette, me fit observer dans la soirée Stépan Trophimovitch qui tremblait de colère au souvenir de son entretien avec Karmazinoff, – déjà quand nous étions jeunes tous deux, nous n’éprouvions que de l’antipathie l’un pour l’autre…
Le salon de Julie Mikhaïlovna ne tarda pas à se remplir. Barbara Pétrovna était dans un état particulier d’excitation, bien qu’elle feignît l’indifférence; à deux ou trois reprises je la vis regarder Karmazinoff avec malveillance et Stépan Trophimovitch avec colère. Cette irritation était prématurée, et elle provenait d’un amour inquiet: si, dans cette circonstance, Stépan Trophimovitch avait été terne, s’il s’était laissé éclipser devant tout le monde par Karmazinoff, je crois que Barbara Pétrovna se serait élancée sur lui et l’aurait battu. J’ai oublié de mentionner parmi les personnes présentes Élisabeth Nikolaïevna; jamais encore je ne l’avais vue plus gaie, plus insouciante, plus joyeuse. Avec Lisa se trouvait aussi, naturellement, Maurice Nikolaïévitch. Puis, dans la foule des jeunes dames et des jeunes gens d’assez mauvais ton qui formaient l’entourage habituel de Julie Mikhaïlovna, je remarquai deux ou trois visages nouveaux: un Polonais de passage dans notre ville, un médecin allemand, vieillard très vert encore, qui riait brusquement à tout propos, et enfin un tout jeune prince arrivé de Pétersbourg, figure automatique engoncée dans un immense faux col. La gouvernante traitait ce dernier visiteur avec une considération visible et même paraissait inquiète de l’opinion qu’il pourrait avoir de son salon…
– Cher monsieur Karmazinoff, dit Stépan Trophimovitch qui s’assit sur un divan dans une attitude pittoresque et qui se mit soudain à susseyer tout comme le grand romancier, – cher monsieur Karmazinoff, la vie d’un homme de notre génération, quand il possède certains principes, doit, même pendant une durée de vingt-cinq ans, présenter un aspect uniforme…
Croyant sans doute avoir entendu quelque chose de fort drôle, l’Allemand partit d’un bruyant éclat de rire. Stépan Trophimovitch le considéra d’un air étonné qui, du reste, ne fit aucun effet sur le vieux docteur. Le prince se tourna aussi vers ce dernier et l’examina nonchalamment avec son pince-nez.
– …Doit présenter un aspect uniforme, répéta exprès Stépan Trophimovitch en traînant négligemment la voix sur chaque mot. – Telle a été ma vie durant tout ce quart de siècle, et comme on trouve partout plus de moines que de raison, la conséquence a été que durant ces vingt-cinq ans je…
– C’est charmant, les moines, murmura la gouvernante en se penchant vers Barbara Pétrovna assise à côté d’elle.
Un regard rayonnant de fierté fut la réponse de la générale Stavroguine. Mais Karmazinoff ne put digérer le succès de la phrase française, et il se hâta d’interrompre Stépan Trophimovitch.
– Quant à moi, dit-il de sa voix criarde, – je ne me tracasse pas à ce sujet, voilà déjà sept ans que j’ai élu domicile à Karlsruhe. Et quand, l’année dernière, le conseil municipal a décidé l’établissement d’une nouvelle conduite d’eau, j’ai senti que cette question des eaux de Karlsruhe me tenait plus fortement au cœur que toutes les questions de ma chère patrie… que toutes les prétendues réformes d’ici.