La Reine Margot Tome I
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Sur fond de guerres sanglantes, de Saint Barth?l?my ainsi que de la lutte entre Catherine de M?dicis et Henri de Navarre, la premi?re ?pouse de ce dernier, Marguerite de Valois, appel?e la reine Margot, entretient des intrigues amoureuses notoires et violentes… Roman historique qui reste avant tout un roman, ce livre nous fait sentir l'atmosph?re de cette ?poque et appr?hender l'histoire de notre pays!
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Et en effet, lorsque la poule fut attachée, Catherine, comme elle l’avait dit, d’un seul coup lui trancha la tête. Mais dans la convulsion suprême, le bec s’ouvrit trois fois et se rejoignit pour ne plus se rouvrir.
– Vois-tu! dit Catherine épouvantée. À défaut de trois cris, trois soupirs. Trois, toujours trois. Ils mourront tous les trois. Toutes ces âmes, avant de partir, comptent et appellent jusqu’à trois. Voyons maintenant les signes de la tête.
Alors Catherine abattit la crête pâlie de l’animal, ouvrit avec précaution le crâne, et le séparant de manière à laisser à découvert les lobes du cerveau, elle essaya de trouver la forme d’une lettre quelconque sur les sinuosités sanglantes que trace la division de la pulpe cérébrale.
– Toujours, s’écria-t-elle en frappant dans ses deux mains, toujours! et cette fois le pronostic est plus clair que jamais. Viens et regarde.
René s’approcha.
– Quelle est cette lettre? lui demanda Catherine en lui désignant un signe.
– Un H, répondit René.
– Combien de fois répété? René compta.
– Quatre, dit-il.
– Eh bien, eh bien, est-ce cela? Je le vois, c’est-à-dire Henri IV. Oh! gronda-t-elle en jetant le couteau, je suis maudite dans ma postérité.
C’était une effrayante figure que celle de cette femme pâle comme un cadavre, éclairée par la lugubre lumière et crispant ses mains sanglantes.
– Il régnera, dit-elle, avec un soupir de désespoir, il régnera!
– Il régnera, répéta René enseveli dans une rêverie profonde.
Cependant, bientôt cette expression sombre s’effaça des traits de Catherine à la lumière d’une pensée qui semblait éclore au fond de son cerveau.
– René, dit-elle en étendant la main vers le Florentin sans détourner sa tête inclinée sur sa poitrine, René, n’y a-t-il pas une terrible histoire d’un médecin de Pérouse qui, du même coup, à l’aide d’une pommade, a empoisonné sa fille et l’amant de sa fille?
– Oui, madame.
– Cet amant, c’était? continua Catherine toujours pensive.
– C’était le roi Ladislas, madame.
– Ah! oui, c’est vrai! murmura-t-elle. Avez-vous quelques détails sur cette histoire?
– Je possède un vieux livre qui en traite, répondit René.
– Eh bien, passons dans l’autre chambre, vous me le prêterez.
Tous deux quittèrent alors la cellule, dont René ferma la porte derrière lui.
– Votre Majesté me donne-t-elle d’autres ordres pour de nouveaux sacrifices? demanda le Florentin.
– Non, René, non! je suis pour le moment suffisamment convaincue. Nous attendrons que nous puissions nous procurer la tête de quelque condamné, et le jour de l’exécution tu en traiteras avec le bourreau.
René s’inclina en signe d’assentiment, puis il s’approcha, sa bougie à la main, des rayons où étaient rangés les livres, monta sur une chaise, en prit un et le donna à la reine.
Catherine l’ouvrit.
– Qu’est-ce que cela? dit-elle. «De la manière d’élever et de nourrir les tiercelets, les faucons et le gerfauts pour qu’ils soient braves, vaillants et toujours prêts au vol.»
– Ah! pardon, madame, je me trompe! Ceci est un traité de vénerie fait par un savant Lucquois pour le fameux Castruccio Castracani. Il était placé à côté de l’autre, relié de la même façon. Je me suis trompé. C’est d’ailleurs un livre très précieux; il n’en existe que trois exemplaires au monde: un qui appartient à la bibliothèque de Venise, l’autre qui avait été acheté par votre aïeul Laurent, et qui a été offert par Pierre de Médicis au roi Charles VIII, lors de son passage à Florence, et le troisième que voici.
– Je le vénère, dit Catherine, à cause de sa rareté; mais n’en ayant pas besoin, je vous le rends.
Et elle tendit la main droite vers René pour recevoir l’autre, tandis que de la main gauche elle lui rendit celui qu’elle avait reçu.
Cette fois René ne s’était point trompé, c’était bien le livre qu’elle désirait. René descendit, le feuilleta un instant et le lui rendit tout ouvert.
Catherine alla s’asseoir à une table, René posa près d’elle la bougie magique, et à la lueur de cette flamme bleuâtre, elle lut quelques lignes à demi-voix.
– Bien, dit-elle en refermant le livre, voilà tout ce que je voulais savoir.
Elle se leva, laissant le livre sur la table et emportant seulement au fond de son esprit la pensée qui y avait germé et qui devait y mûrir.
René attendit respectueusement, la bougie à la main, que la reine, qui paraissait prête à se retirer, lui donnât de nouveaux ordres ou lui adressât de nouvelles questions.
Catherine fit plusieurs pas la tête inclinée, le doigt sur la bouche et en gardant le silence. Puis s’arrêtant tout à coup devant René en relevant sur lui son œil rond et fixe comme celui d’un oiseau de proie:
– Avoue-moi que tu as fait pour elle quelque philtre, dit-elle.
– Pour qui? demanda René en tressaillant.
– Pour la Sauve.
– Moi, madame, dit René; jamais!
– Jamais?
– Sur mon âme, je vous le jure.
– Il y a cependant de la magie, car il l’aime comme un fou, lui qui n’est pas renommé par sa constance.
– Qui lui, madame?
– Lui, Henri le maudit, celui qui succédera à nos trois fils, celui qu’on appellera un jour Henri IV, et qui cependant est le fils de Jeanne d’Albret.
Et Catherine accompagna ces derniers mots d’un soupir qui fit frissonner René, car il lui rappelait les fameux gants que, par ordre de Catherine, il avait préparés pour la reine de Navarre.
– Il y va donc toujours? demanda René.
– Toujours, dit Catherine.
– J’avais cru cependant que le roi de Navarre était revenu tout entier à sa femme.
– Comédie, René, comédie. Je ne sais dans quel but, mais tout se réunit pour me tromper. Ma fille elle-même, Marguerite, se déclare contre moi; peut-être, elle aussi, espère-t-elle la mort de ses frères, peut-être espère-t-elle être reine de France.
– Oui, peut-être, dit René, rejeté dans sa rêverie et se faisant l’écho du doute terrible de Catherine.
– Enfin, dit Catherine, nous verrons. Et elle s’achemina vers la porte du fond, jugeant sans doute inutile de descendre par l’escalier secret, puisqu’elle était sûre d’être seule.