Le Chevalier De Maison-Rouge
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Un des livres consacr?s par Dumas ? la R?volution Fran?aise. L'action se passe en 1793. Le jacobin Maurice Lindey, officier dans la garde civique, sauve des investigations d'une patrouille une jeune et belle inconnue, qui garde l'anonymat. Prisonni?re au Temple, o? r?gne le cordonnier Simon, ge?lier du dauphin, Marie-Antoinette re?oit un billet lui annon?ant que le chevalier de Maison-Rouge pr?pare son enl?vement…
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– C’est cela.
– Impossible.
– Comment, impossible? Puisque je vous dis qu’on a trouvé une trappe, un souterrain, des carrosses.
– Mais non, c’est qu’au contraire tu n’as rien dit encore de tout cela.
– Ah bien, je vais vous le dire alors.
– Dis; si c’est un conte, il est beau du moins.
– Non, citoyen, ce n’est pas un conte, tant s’en faut, et la preuve, c’est que je le tiens du citoyen portier. Les aristocrates ont creusé une mine; cette mine partait de la rue de la Corderie, et allait jusque dans la cave de la cantine de la citoyenne Plumeau, et même elle a failli être compromise de complicité, la citoyenne Plumeau. Vous la connaissez, j’espère?
– Oui, dit Maurice; mais après?
– Eh bien, la veuve Capet devait se sauver par ce souterrain-là. Elle avait déjà le pied sur la première marche, quoi! C’est le citoyen Simon qui l’a rattrapée par sa robe. Tenez, on bat la générale dans la ville, et le rappel dans les sections; entendez-vous le tambour, là? On dit que les Prussiens sont à Dammartin, et qu’ils ont poussé des reconnaissances jusqu’aux frontières.
Au milieu de ce flux de paroles, du vrai et du faux, du possible et de l’absurde, Maurice saisit à peu près le fil conducteur. Tout partait de cet œillet donné sous ses yeux à la reine, et acheté par lui à la malheureuse bouquetière. Cet œillet contenait le plan d’une conspiration qui venait d’éclater, avec les détails plus ou moins vrais que rapportait Agésilas.
En ce moment le bruit du tambour se rapprocha, et Maurice entendit crier dans la rue:
– Grande conspiration découverte au Temple par le citoyen Simon! Grande conspiration en faveur de la veuve Capet découverte au Temple!
«Oui, oui, dit Maurice, c’est bien ce que je pense. Il y a du vrai dans tout cela. Et Lorin qui, au milieu de cette exaltation populaire, va peut-être tendre la main à cette fille et se faire mettre en morceaux…»
Maurice prit son chapeau, agrafa la ceinture de son sabre, et en deux bonds fut dans la rue.
«Où est-il? demanda Maurice. Sur le chemin de la Conciergerie sans doute.»
Et il s’élança vers le quai.
À l’extrémité du quai de la Mégisserie, des piques et des baïonnettes, surgissant du milieu d’un rassemblement, frappèrent ses regards. Il lui sembla distinguer au milieu du groupe un habit de garde national et dans le groupe des mouvements hostiles. Il courut, le cœur serré, vers le rassemblement qui encombrait le bord de l’eau.
Ce garde national pressé par la cohorte des Marseillais était Lorin; Lorin pâle, les lèvres serrées, l’œil menaçant, la main sur la poignée de son sabre, mesurant la place des coups qu’il se préparait à porter.
À deux pas de Lorin était Simon. Ce dernier, riant d’un rire féroce, désignait Lorin aux Marseillais et à la populace en disant:
– Tenez, tenez! vous voyez bien celui-là, c’en est un que j’ai fait chasser du Temple hier comme aristocrate; c’en est un de ceux qui favorisent les correspondances dans les œillets. C’est le complice de la fille Tison, qui va passer tout à l’heure. Eh bien, le voyez-vous, il se promène tranquillement sur le quai, tandis que sa complice va marcher à la guillotine; et peut-être même qu’elle était plus que sa complice, que c’était sa maîtresse, et qu’il était venu ici pour lui dire adieu ou pour essayer de la sauver.
Lorin n’était pas homme à en entendre davantage. Il tira son sabre hors du fourreau.
En même temps la foule s’ouvrit devant un homme qui donnait tête baissée dans le groupe, et dont les larges épaules renversèrent trois ou quatre spectateurs qui se préparaient à devenir acteurs.
– Sois heureux, Simon, dit Maurice. Tu regrettais sans doute que je ne fusse point là, avec mon ami pour faire ton métier de dénonciateur en grand. Dénonce, Simon, dénonce, me voilà.
– Ma foi, oui, dit Simon avec son hideux ricanement, et tu arrives à propos. Celui-là, dit-il, c’est le beau Maurice Lindey, qui a été accusé en même temps que la fille Tison, et qui s’en est tiré parce qu’il est riche, lui.
– À la lanterne! à la lanterne! crièrent les Marseillais.
– Oui-da! essayez donc un peu, dit Maurice.
Et il fit un pas en avant et piqua, comme pour s’essayer, au milieu du front d’un des plus ardents égorgeurs que le sang aveugla aussitôt.
– Au meurtre! s’écria celui-ci.
Les Marseillais abaissèrent les piques, levèrent les haches, armèrent les fusils; la foule s’écarta effrayée, et les deux amis restèrent isolés et exposés comme une double cible à tous les coups.
Ils se regardèrent avec un dernier et sublime sourire, car ils s’attendaient à être dévorés par ce tourbillon de fer et de flamme qui les menaçait, quand tout à coup la porte de la maison à laquelle ils s’adossaient s’ouvrit et un essaim de jeunes gens en habit, de ceux qu’on appelait les muscadins, armés tous d’un sabre et ayant chacun une paire de pistolets à la ceinture, fondit sur les Marseillais et engagea une mêlée terrible.
– Hourra! crièrent ensemble Lorin et Maurice ranimés par ce secours, et sans réfléchir qu’en combattant dans les rangs des nouveaux venus, ils donnaient raison aux accusations de Simon. Hourra!
Mais, s’ils ne pensaient pas à leur salut, un autre y pensa pour eux. Un petit jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, à l’œil bleu, maniant avec une adresse, et une ardeur infinies, un sabre de sapeur qu’on eût cru que sa main de femme ne pouvait soulever, s’apercevant que Maurice et Lorin, au lieu de fuir par la porte qu’il semblait avoir laissée ouverte avec intention, combattaient à ses côtés, se retourna en leur disant tout bas:
– Fuyez par cette porte; ce que nous venons faire ici ne vous regarde pas, et vous vous compromettez inutilement.
Puis tout à coup, en voyant que les deux amis hésitaient:
– Arrière! cria-t-il à Maurice, pas de patriotes avec nous; municipal Lindey, nous sommes des aristocrates, nous.
À ce nom, à cette audace qu’avait un homme d’accuser une qualité qui, à cette époque-là, valait sentence de mort, la foule poussa un grand cri.
Mais le jeune homme blond et trois ou quatre de ses amis, sans s’effrayer de ce cri, poussèrent Maurice et Lorin dans l’allée, dont ils refermèrent la porte derrière eux; puis ils revinrent se jeter dans la mêlée, qui était encore augmentée par l’approche de la charrette.
Maurice et Lorin, si miraculeusement sauvés, se regardèrent étonnés, éblouis.
Cette issue semblait ménagée exprès; ils entrèrent dans une cour, et au fond de cette cour trouvèrent une petite porte dérobée qui donnait sur la rue Saint-Germain-l’Auxerrois.