Le Chevalier De Maison-Rouge
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Un des livres consacr?s par Dumas ? la R?volution Fran?aise. L'action se passe en 1793. Le jacobin Maurice Lindey, officier dans la garde civique, sauve des investigations d'une patrouille une jeune et belle inconnue, qui garde l'anonymat. Prisonni?re au Temple, o? r?gne le cordonnier Simon, ge?lier du dauphin, Marie-Antoinette re?oit un billet lui annon?ant que le chevalier de Maison-Rouge pr?pare son enl?vement…
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Morand avait fini son travail.
Il alla droit à un angle de la cave.
– Là, dit-il, creusez.
Et les ouvriers de délivrance se mirent immédiatement à l’ouvrage.
La situation des prisonniers au Temple était devenue de plus en plus grave, et surtout de plus en plus douloureuse. Un instant, la reine, Madame Élisabeth et madame Royale avaient repris quelque espoir. Des municipaux, Toulan et Lepître, touchés de compassion pour les augustes prisonnières, leur avaient témoigné leur intérêt. D’abord, peu habituées à ces marques de sympathie, les pauvres femmes s’étaient défiées: mais on ne se défie pas quand on espère. D’ailleurs, que pouvait-il arriver à la reine, séparée de son fils par la prison, séparée de son mari par la mort? d’aller à l’échafaud comme lui? C’était un sort qu’elle avait envisagé depuis longtemps en face, et auquel elle avait fini par s’habituer.
La première fois que le tour de Toulan et de Lepître revint, la reine leur demanda s’il était vrai qu’ils s’intéressaient à son sort, de lui raconter les détails de la mort du roi. C’était une triste épreuve à laquelle on soumettait leur sympathie. Lepître avait assisté à l’exécution, il obéit à l’ordre de la reine.
La reine demanda les journaux qui rapportaient l’exécution. Lepître promit de les apporter à la prochaine garde; le tour de garde revenait de trois semaines en trois semaines.
Au temps du roi, il y avait au Temple quatre municipaux. Le roi mort, il n’y en eut plus que trois: un qui veillait le jour, deux qui veillaient la nuit. Toulan et Lepître inventèrent alors une ruse pour être toujours de garde la nuit ensemble.
Les heures de garde se tiraient au sort; on écrivait sur un bulletin: jour, et sur deux autres: nuit. Chacun tirait son bulletin dans un chapeau; le hasard assortissait les gardiens de nuit.
Chaque fois que Lepître et Toulan étaient de garde, ils écrivaient: jour, sur les trois bulletins, et présentaient le chapeau au municipal qu’ils voulaient évincer. Celui-ci plongeait la main dans l’urne improvisée et en tirait, nécessairement, un bulletin sur lequel était écrit le mot jour. Toulan et Lepître détruisaient les deux autres, en murmurant contre le hasard qui leur donnait toujours la corvée la plus ennuyeuse, c’est-à-dire celle de nuit.
Quand la reine fut sûre de ses deux surveillants, elle les mit en relations avec le chevalier de Maison-Rouge. Alors, une tentative d’évasion fut arrêtée. La reine et Madame Élisabeth devaient fuir, déguisées en officiers municipaux, avec des cartes qui leur seraient procurées. Quant aux deux enfants, c’est-à-dire à madame Royale et au jeune dauphin, on avait remarqué que l’homme qui allumait les quinquets au Temple amenait toujours avec lui deux enfants du même âge que la princesse et le prince. Il fut arrêté que Turgy, dont nous avons parlé, revêtirait le costume de l’allumeur et enlèverait madame Royale et le dauphin.
Disons, en deux mots, ce que c’était que Turgy.
Turgy était un ancien garçon servant de la bouche du roi, amené au Temple avec une partie de la maison des Tuileries, car le roi eut d’abord un service de table assez bien organisé. Le premier mois, ce service coûta trente ou quarante mille francs à la nation.
Mais, comme on le comprend bien, une pareille prodigalité ne pouvait durer. La Commune y mit ordre. On renvoya chefs, cuisiniers et marmitons. Un seul garçon servant fut maintenu; ce garçon servant était Turgy.
Turgy était donc un intermédiaire tout naturel entre les deux prisonnières et leurs partisans, car Turgy pouvait sortir, et, par conséquent, porter des billets et rapporter les réponses.
En général, ces billets étaient roulés en bouchon sur les carafes de lait d’amande qu’on faisait passer à la reine et à Madame Élisabeth. Ils étaient écrits avec du citron, et les lettres en demeuraient invisibles jusqu’à ce qu’on les approchât du feu.
Tout était prêt pour l’évasion, lorsqu’un jour Tison alluma sa pipe avec le bouchon d’une des carafes. À mesure que le papier brûlait, il vit apparaître des caractères. Il éteignit le papier à moitié brûlé, porta le fragment au conseil du Temple; là, il fut approché du feu; mais on ne put lire que quelques mots sans suite; l’autre moitié était réduite en cendres.
Seulement, on reconnut l’écriture de la reine. Tison, interrogé, raconta quelques complaisances qu’il avait cru remarquer, de la part de Lepître et de Toulan, pour les prisonnières. Les deux commissaires furent dénoncés à la municipalité, et ne purent plus entrer au Temple.
Restait Turgy.
Mais la défiance fut éveillée au plus haut degré; jamais on ne le laissait seul auprès des princesses. Toute communication avec l’extérieur était donc devenue impossible.
Cependant, un jour, Madame Élisabeth avait présenté à Turgy, pour qu’il le nettoyât, un petit couteau à lame d’or dont elle se servait pour couper ses fruits. Turgy s’était douté de quelque chose, et, tout en l’essuyant, il en avait tiré le manche. Le manche contenait un billet.
Ce billet était tout un alphabet de signes.
Turgy rendit le couteau à Madame Élisabeth; mais un municipal, qui était là, le lui arracha des mains et visita le couteau, dont, à son tour, il sépara la lame du manche; heureusement, le billet n’y était plus. Le municipal n’en confisqua pas moins le couteau.
C’est alors que l’infatigable chevalier de Maison-Rouge avait rêvé cette seconde tentative, que l’on allait exécuter au moyen de la maison que venait d’acheter Dixmer.
Cependant, peu à peu, les prisonnières avaient perdu tout espoir. Ce jour-là, la reine, épouvantée des cris de la rue qui parvenaient jusqu’à elle, et apprenant par ses cris qu’il était question de la mise en accusation des girondins, les derniers soutiens du modérantisme, avait été d’une tristesse mortelle.
Les girondins morts, la famille royale n’avait à la Convention aucun défenseur.
À sept heures, on servit le souper. Les municipaux examinèrent chaque plat comme d’habitude, déplièrent, les unes après les autres, toutes les serviettes, sondèrent le pain, l’un avec une fourchette, l’autre avec ses doigts, firent briser les macarons et les noix, le tout, de peur qu’un billet ne parvînt aux prisonnières; puis, ces précautions prises, invitèrent la reine et les princesses à se mettre à table par ces simples paroles:
– Veuve Capet, tu peux manger.
La reine secoua la tête en signe qu’elle n’avait pas faim.
Mais, en ce moment, madame Royale vint, comme si elle voulait embrasser sa mère, et lui dit tout bas:
– Mettez-vous à table, madame, je crois que Turgy vous fait signe.
La reine tressaillit et releva la tête. Turgy était en face d’elle, la serviette posée sur son bras gauche, et touchant son œil de la main droite.
Elle se leva aussitôt sans faire aucune difficulté, et alla prendre à table sa place accoutumée.