La mort de Juve (Смерть Жюва)
La mort de Juve (Смерть Жюва) читать книгу онлайн
продолжение серии книг про Фантомаса
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La décision prise par Nalorgne, si elle ne contentait qu’à moitié Pérouzin, satisfaisait en tout cas un troisième personnage que les deux associés n’avaient point remarqué, bien que cet individu les eût immédiatement suivis depuis leur sortie du restaurant. Dans la foule des promeneurs qui allaient et venaient sur le boulevard, ce personnage pouvait passer inaperçu. C’était un jeune homme d’une trentaine d’années, dont la mise correcte, mais modeste, n’attirait pas l’attention. Comme il tenait à la main une bicyclette, il était obligé, perpétuellement, de demeurer à l’extrémité du trottoir pour que sa machine pût rester sur la chaussée.
Lorsque le cycliste vit que les deux associés prenaient un vulgaire fiacre, il poussa un soupir de satisfaction :
— Pour une fois, j’ai de la chance. S’il m’avait fallu, avec mon manque d’entraînement, suivre une automobile, je n’aurais jamais pu y parvenir. Mais où diable ces gaillards vont-ils m’emmener ?
L’inconnu se résigna à se laisser guider, enfourcha sa machine et se faufilant, non sans difficulté, au milieu des encombrements, ne perdit pas de vue le véhicule dans lequel étaient montés les deux agents d’affaires de la rue Saint-Marc.
Si ces deux nigauds de Nalorgne et Pérouzin avaient porté leur regard autour d’eux, c’eût été l’occasion pour eux de retomber une fois de plus sur cette sagesse des nations chère au moins au second nommé, pour dire : le monde est petit, seules, les montagnes, ne se rencontrent pas. Le jeune homme qui les suivait, en effet, n’était autre que celui qu’ils avaient mission de retrouver pour leur cliente M lle Hélène, la dactylographe d’Hervé Martel.
Qu’était donc devenu le journaliste, depuis les heures tragiques où, s’efforçant de prendre Fantômas, il avait dû abandonner la poursuite du sinistre bandit pour ramasser son malheureux ami Juve, tombé sous les coups de l’ennemi ?
Préoccupé par la santé de Juve, Fandor, pendant de longues semaines, n’avait pas quitté le chevet de son ami. Mais bientôt, il avait dû se remettre à son métier de journaliste. S’il était revenu à son ancien journal, La Capitale, il avait, sur le conseil de Juve, décidé de garder l’anonymat. Désormais, ses articles paraissaient non signés.
Cependant, le mauvais état de santé du policier s’éternisait. Un jour, avec une force de caractère admirable, il avait déclaré à Fandor :
— Mon pauvre petit, je crois bien que la paralysie ne me quittera plus.
Ce qui ne l’empêchait pas de continuer à travailler une dizaine de jours auparavant. Juve avait dit au journaliste, à propos des affaires mystérieuses de l’avenue Niel :
— Il y a dans l’entourage d’Hervé Martel des gens suspects et des événements mystérieux. Occupe-toi donc un peu de connaître les tenants et aboutissants de tout ce monde-là.
Or Fandor avait appris, dès qu’il avait commencé ses enquêtes, qu’il y avait, faisant partie du personnel de la charge d’Hervé Martel, une certaine jeune fille du nom d’Hélène. Certes, il en existait d’autres, du moins on le disait, mais pour Fandor, il n’en était qu’une. Le hasard, ou sa bonne étoile, ou simplement encore la perspicacité de Juve, allait-il le mettre sur la trace de la fille de Fantômas ?
Sur ce, Jérôme avait reçu un mot de Jean, porte-plume de son maître, le priant de surveiller le cocher Prosper et les individus qu’il fréquentait. C’est ainsi que Fandor, tout naturellement, était tombé sur Nalorgne et Pérouzin, ce qui explique qu’on le retrouve en train de les filer.
Le fiacre s’arrêta enfin aux fortifications. Et Fandor, décrivant avec sa bicyclette un virage savant, s’éloigna du véhicule pour se dissimuler dans l’ombre des fossés. Les parages de la porte de Montrouge étaient déserts en effet, à cette heure de la soirée. Cependant Nalorgne et Pérouzin, après avoir réglé leur fiacre, franchirent la barrière et s’acheminèrent à pied vers le sinistre quartier du Grand-Montrouge, dont les misérables habitations, mêlées à de vagues ateliers, à de sombres usines, donnent à l’ensemble de la région un aspect redoutable, lugubre.
— Où diable vont-ils ? se demandait Fandor, derrière eux, le guidon à la main.
Soudain, les deux associés s’arrêtèrent devant une masure surmontée d’une haute cheminée, ce qui lui donnait une allure d’usine. Ils frappèrent à une porte basse, attendirent quelques instants. La porte s’entrebâilla. Les deux hommes pénétrèrent dans la propriété, entrant dans le noir, et Fandor se retrouva dans une petite ruelle aux pavés inégaux.
Cependant aux coups frappés par Nalorgne et Pérouzin, quelqu’un était venu ouvrir. Les deux associés avaient reconnu Fantômas. Le bandit verrouilla soigneusement derrière lui, puis fit signe de le suivre aux agents d’affaires.
Nalorgne et Pérouzin n’étaient pas autrement rassurés. Jusqu’à présent, ils avaient trouvé profit à travailler pour Fantômas. Mais ils étaient loin d’avoir le tempérament énergique et combatif du Génie du Crime. Nalorgne et Pérouzin n’étaient mûrs que pour les petites escroqueries, les modestes indélicatesses, les ignominies restreintes. L’audace de Fantômas les terrorisait, mais, timides à l’extrême et perpétuellement inquiets, aussi bien du châtiment que de la vengeance, ils n’osaient réagir. Situation étrange que la leur, du reste. Ils faisaient des démarches pour être accrédités dans la police et faire partie de la Sûreté parisienne. En ce même temps, ils se trouvaient embauchés par le plus redoutable des criminels, et depuis quelques jours étaient devenus ses complices. Nalorgne et Pérouzin se demandaient fréquemment depuis quelques jours comment tout cela finirait. Pour l’instant toutefois, ils restaient plantés là, yeux écarquillés devant le spectacle que leur montrait le Maître. Après leur avoir fait traverser quelques pièces encombrées de caisses de toutes sortes, ils les avait introduits dans un vaste atelier où une odeur d’acide prenait à la gorge et vous arrachait des larmes brûlantes. Quelques ouvriers. Des caisses.
Un homme allait et venait de l’établi à la caisse ouverte. À chaque voyage, il portait des rouleaux d’or, qu’il déposait dans la seule caisse qui fût encore ouverte.
Fantômas expliquait :
— Voilà les caisses qui seront repêchées du navire coulé à Cherbourg. Vous voyez ce qu’elles contiennent ?
— Naturellement, fit Pérouzin, des louis d’or, dame !
Fantômas ricana, puis, haussant les épaules :
— Imbécile, c’est de la fausse monnaie. Vous Nalorgne, qui connaissez la musique, vérifiez donc si les marques, les désignations que je viens de faire reproduire sur les caisses que nous avons ici sont conformes aux connaissements.
— Ah çà ! dit Pérouzin, mais vous avez vos entrées partout. Ces papiers-là devraient être en la possession de la Compagnie d’assurances qui a garanti le risque, ou tout au moins entre les mains du courtier.
— Imbécile, fit Fantômas, ils étaient peut-être, ces jours derniers, dans les dossiers d’Hervé Martel. Mais j’en ai eu besoin, et les voilà.
Les deux associés, interdits, se taisaient, admirant l’imperturbable calme de Fantômas.
Dans l’atelier, silencieux, discrets et actifs, trois hommes s’empressaient. Un graveur donnait le dernier coup de poli aux pièces d’or qu’un autre ouvrier mettait en rouleaux, portait dans les caisses, cependant que le troisième ternissait le bois neuf où il portait les signes convenables. À n’en pas douter, on préparait la substitution. Mais comment allait procéder Fantômas ? C’est ce que Nalorgne et Pérouzin auraient bien voulu savoir. Fantômas, cependant, au lieu de les renseigner, les questionna :
— Qu’y a-t-il de nouveau avenue Niel ? Les inspecteurs de la Sûreté, Léon et Michel, y sont-ils toujours ?
— Ma foi, oui, déclarèrent ensemble Nalorgne et Pérouzin, voilà près d’une semaine qu’ils ne quittent pas le domicile du courtier. Cela menace de durer.
— Cela ne durera pas. Demain, tout sera fini. Tant pis pour eux. Tant pis pour Léon et Michel. Ils devraient savoir que Fantômas n’aime pas qu’on se mêle de ce qui ne vous regarde pas. Demain, ils l’apprendront à leurs dépens.