Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Ce sera pour vos gens, madame, dit-il, – pour le laquais qui le ramassera; il se souviendra de Lébiadkine.
– Je ne puis permettre cela, se hâta de répondre Barbara Pétrovna un peu inquiète.
– En ce cas…
Il ramassa l’assignat, devint pourpre, et, s’approchant brusquement de son interlocutrice, lui tendit l’argent qu’il venait de compter.
– Qu’est-ce que c’est? s’écria-t-elle positivement effrayée cette fois, et elle se recula même dans son fauteuil. Maurice Nikolaïévitch, Stépan Trophimovitch et moi, nous nous avançâmes aussitôt vers elle.
– Calmez-vous, calmez-vous, je ne suis pas fou, je vous assure que je ne suis pas fou! répétait à tout le monde le capitaine fort agité.
– Si, monsieur, vous avez perdu l’esprit.
– Madame, tout cela n’est pas ce que vous pensez! Sans doute je suis un insignifiant chaînon… Oh! madame, somptueuse est votre demeure, tandis que bien pauvre est celle de Marie l’Inconnue, ma sœur, née Lébiadkine, mais que nous appellerons pour le moment Marie l’Inconnue, en attendant, madame, en attendant seulement, car Dieu ne permettra pas qu’il en soit toujours ainsi! Madame, vous lui avez donné dix roubles, et elle les a reçus, mais parce qu’ils venaient de vous, madame! Écoutez, madame! De personne au monde cette Marie l’Inconnue n’acceptera rien, autrement frémirait dans la tombe l’officier d’état-major, son grand-père, qui a été tué au Caucase sous les yeux même d’Ermoloff, mais de vous, madame, de vous elle acceptera tout. Seulement, si d’une main elle reçoit, de l’autre elle vous offre vingt roubles sous forme de don à l’un des comités philanthropiques dont vous êtes membre, madame… car vous-même, madame, avez fait insérer dans la Gazette de Moscou un avis comme quoi l’on peut souscrire ici chez vous au profit d’une société de bienfaisance…
Le capitaine s’interrompit tout à coup; il respirait péniblement, comme après l’accomplissement d’une tâche laborieuse. La phrase sur la société de bienfaisance avait été probablement préparée d’avance, peut-être dictée par Lipoutine. Le visiteur était en nage. Barbara Pétrovna fixa sur lui un regard pénétrant.
– Le livre se trouve toujours en bas chez mon concierge, répondit-elle sévèrement, – vous pouvez y inscrire votre offrande, si vous voulez. En conséquence, je vous prie maintenant de serrer votre argent et de ne pas le brandir en l’air. C’est cela. Je vous prie aussi de reprendre votre place. C’est cela. Je regrette fort, monsieur, de m’être trompée sur le compte de votre sœur et de lui avoir fait l’aumône, alors qu’elle est si riche. Il y a seulement un point que je ne comprends pas: pourquoi de moi seule peut-elle accepter quelque chose, tandis qu’elle ne voudrait rien recevoir des autres? Vous avez tellement insisté là-dessus que je désire une explication tout à fait nette.
– Madame, c’est un secret qui ne peut être enseveli que dans la tombe! reprit le capitaine.
– Pourquoi donc? demanda Barbara Pétrovna d’un ton qui semblait déjà un peu moins ferme.
– Madame, madame!…
S’enfermant dans un sombre silence, il regardait à terre, la main droite appuyée sur son cœur. Barbara Pétrovna attendait, sans le quitter des yeux.
– Madame, cria-t-il tout à coup, – me permettez-vous de vous faire une question, une seule, mais franchement, ouvertement, à la russe?
– Parlez.
– Avez-vous souffert dans votre vie, madame?
– Vous voulez dire simplement que vous avez souffert ou que vous souffrez par le fait de quelqu’un?
– Madame, madame! Dieu lui-même, au jugement dernier, s’étonnera de tout ce qui a bouillonné dans ce cœur! répliqua le capitaine en se frappant la poitrine.
– Hum, c’est beaucoup dire.
– Madame, je me sers peut-être d’expressions trop vives…
– Ne vous inquiétez pas, je saurai vous arrêter moi-même quand il le faudra.
– Puis-je vous soumettre encore une question, madame?
– Voyons?
– Peut-on mourir par le seul fait de la noblesse de son âme?
– Je n’en sais rien, je ne me suis jamais posé cette question.
– Vous n’en savez rien! Vous ne vous êtes jamais posé cette question! cria Lébiadkine avec une douloureuse ironie; – eh bien, puisqu’il en est ainsi, puisqu’il en est ainsi, -
Tais-toi, cœur sans espoir!
Et il s’allongea un violent coup de poing dans la poitrine.
Ensuite il commença à se promener dans la chambre. Le trait caractéristique de ces gens-là est une complète impuissance à refouler en soi leurs désirs: ceux-ci à peine conçus tendent irrésistiblement à se manifester, et souvent au mépris de toutes les convenances. Hors de son milieu, un monsieur de ce genre commencera d’ordinaire par se sentir gêné, mais, pour peu que vous lui lâchiez la bride, il deviendra tout de suite insolent. Le capitaine fort échauffé allait çà et là en gesticulant, il n’écoutait pas ce qu’on lui disait, et parlait avec une telle rapidité que parfois il bredouillait; alors, sans achever sa phrase, il en commençait une autre. À la vérité, il était peut-être en partie sous l’influence d’une sorte d’ivresse: dans le salon se trouvait Élisabeth Nikolaïevna qu’il ne regardait pas, mais dont la présence devait suffire pour lui tourner la tête. Du reste, ce n’est là qu’une supposition de ma part. Sans doute Barbara Pétrovna avait ses raisons pour triompher de son dégoût et consentir à entendre un pareil homme. Prascovie Ivanovna était toute tremblante, bien que, à vrai dire, elle ne parût pas savoir au juste de quoi il s’agissait. Stépan Trophimovitch tremblait aussi, mais lui c’était, au contraire, parce qu’il croyait trop bien comprendre. Maurice Nikolaïévitch semblait être là comme un ange tutélaire; Lisa était pâle, et ses yeux grands ouverts ne pouvaient se détacher de l’étrange capitaine. Chatoff avait toujours la même attitude; mais, chose plus surprenante que tout le reste, la gaieté de Marie Timoféievna avait fait place à la tristesse; le coude droit appuyé sur la table, la folle, pendant que son frère pérorait, ne cessait de le considérer d’un air chagrin. Seule, Daria Pavlovna me parut calme.
À la fin, Barbara Pétrovna se fâcha:
– Toutes ces allégories ne signifient rien, vous n’avez pas répondu à ma question: «Pourquoi?» J’attends impatiemment une réponse.
– Je n’ai pas répondu au «pourquoi?» Vous attendez une réponse au «pourquoi?» reprit le capitaine avec un clignement d’yeux; – ce petit mot «pourquoi?» est répandu dans tout l’univers depuis la naissance du monde, madame; à chaque instant toute la nature crie à son créateur «pourquoi?» et voilà sept mille ans qu’elle attend en vain une réponse. Se peut-il que le capitaine Lébiadkine seul réponde à cette question et que sa réponse soit juste, madame?
– Tout cela est absurde et ne rime à rien! répliqua Barbara Pétrovna irritée, – ce sont des allégories; de plus, vous parlez trop pompeusement, monsieur, ce que je considère comme une impertinence.