Le Petit Chose
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'Le Petit Chose' para?t en feuilleton en 1867. Daudet s'inspire des souvenirs d'une jeunesse douloureuse: humiliations ? l'?cole, m?pris pour le petit provencal, exp?rience de r?p?titeur au coll?ge et enfin coup de foudre pour une belle jeune femme. L'?crivain manifeste une tendresse, une piti? et un respect remarquables ? l'?gard des malchanceux et des d?sh?rit?s de la vie.
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D'ailleurs Pierrotte connaît à Paris des personnes très distinguées qu'on pourrait inviter pour ce soir-là?… Qu'en dis-tu? Veux-tu que je lui en parle?…» Cette idée d'aller chercher des juges au passage du Saumon ne me souriait guère; pourtant j'avais une telle démangeaison de lire mes vers, qu'après avoir un brin rechigné, j'acceptai la proposition de Jacques. Dès le lendemain il parla à Pierrotte. Que le bon Pierrotte eût exactement compris ce dont il s'agissait, voilà ce qui est fort douteux; mais comme il voyait là une occasion d'être agréable aux enfants de mademoiselle, le brave homme dit «oui» sans hésiter, et tout de suite on lança des invitations.
Jamais le petit salon jonquille ne s'était trouvé à pareille fête. Pierrotte, pour me faire honneur, avait invité ce qu'il y a de mieux dans le monde de la porcelaine. Le soir de la lecture, nous avions là, en dehors du personnel accoutumé, M. et Mme Passajon, avec leur fils le vétérinaire, un des plus brillants élèves de l'Ecole d'Alfort; Ferrouillat cadet, franc-maçon, beau parleur, qui venait d'avoir un succès de tous les diables à la loge du Grand-Orient; puis les Fougeroux, avec leurs six demoiselles rangées en tuyaux d'orgue, et enfin Ferrouillat l'aîné, un membre du Caveau, l'homme de la soirée. Quand je me vis en face de cet important aréopage, vous pensez si je fus ému. Comme on leur avait dit qu'ils étaient là pour juger un ouvrage de poésie, tous ces braves gens avaient cru devoir prendre des physionomies de circonstance, froides, éteintes, sans sourires.
Ils parlaient entre eux à voix basse et gravement, en remuant la tête comme des magistrats. Pierrotte, qui n'y mettait pas tant de mystère, les regardait tous d'un air étonné… Quand tout le monde fut arrivé, on se plaça. J'étais assis, le dos au piano; l'auditoire en demi-cercle autour de moi, à l'exception du vieux Lalouette, qui grignotait son sucre à la place habituelle. Après un moment de tumulte, le silence se fit, et d'une voix émue je commençai mon poème…
C'était un poème dramatique, pompeusement intitulé La Comédie pastorale. Dans les premiers jours de sa captivité au collège de Sarlande, le petit Chose s'amusait à raconter à ses élèves des historiettes fantastiques, pleines de grillons, de papillons et autres bestioles. C'est avec trois de ces petits contes, dialogués et mis en vers, que j'avais fait La Comédie pastorale. Mon poème était divisé en trois parties; mais ce soir-là, chez Pierrotte, je ne leur lus que la première partie. Je demande la permission de transcrire ici ce fragment choisi de littérature, mais seulement comme pièces justificatives à joindre à l'Histoire du petit Chose. Figurez-vous pour un moment, mes chers lecteurs, que vous êtes assis en rond dans le petit salon jonquille, et que Daniel Eyssette tout tremblant récite devant vous.
LES AVENTURES D'UN PAPILLON BLEU!
Le théâtre représente la campagne. Il est six heures du soir; le soleil s'en va. Au lever du rideau, un Papillon bleu et une jeune Bête à bon Dieu, du sexe mâle, causent à cheval sur un brin de fougère. Ils se sont rencontrés le matin, et ont passé la journée ensemble. Comme il est tard, la Bête à bon Dieu fait mine de se retirer.
LE PAPILLON
Quoi!… tu t'en vas déjà?…
LA BETE À BON DIEU
Dame! il faut que je rentre; Il est tard, songez donc!
LE PAPILLON
Attends un peu, que, diantre! Il n'est jamais trop tard pour retourner chez soi…
Moi d'abord, je m'ennuie à ma maison; et toi?
C'est si bête une porte, un mur, une croisée, Quand au-dehors on a le soleil, la rosée. Et les coquelicots, et le grand air, et tout.
Si les coquelicots ne sont pas de ton goût, Il faut le dire…
LA BETE À BON DIEU
Hélas! monsieur, je les adore.
LE PAPILLON
Eh bien! alors, nigaud, ne t'en va pas encore; Reste avec moi. Tu vois! il fait bon; l'air est doux.
LA BETE À BON DIEU
Oui, mais…
LE PAPILLON, la poussant dans l'herbe.
Hé! roule-toi dans l'herbe; elle est à nous.
LA BETE À BON DIEU, se débattant.
Non! laissez-moi; parole! il faut que je m'en aille.
LE PAPILLON
Chut! Entends-tu?
LA BETE À BON DIEU, effrayée.
Quoi donc?
LE PAPILLON
Cette petite caille, Qui chante en se grisant dans la vigne à côté…
Hein! la bonne chanson pour ce beau soir d'été, Et comme c'est joli, de la place où nous sommes!…
LA BETE À BON DIEU
Sans doute, mais…
LE PAPILLON
Tais-toi.
LA BETE À BON DIEU
Quoi donc?
LE PAPILLON
Voilà des hommes.
(Passent des hommes.)
LA BETE À BON DIEU, bas, après un silence.
L'homme, c'est très méchant, n'est-ce pas?
LE PAPILLON
Très méchant.
LA BETE À BON DIEU
J'ai toujours peur qu'un d'eux m'aplatisse en marchant, Ils ont de si gros pieds, et moi des reins si frêles…
Vous, vous n'êtes pas grand, mais vous avez des ailes C'est énorme!;
LE PAPILLON
Parbleu! mon cher, si ces lourdauds de paysans te font peur, grimpe-moi sur le dos; Je suis très fort des reins, moi! je n'ai pas des ailes. En pelure d'oignon comme les demoiselles.
Et je veux te porter où tu voudras, aussi Longtemps que tu voudras.
LA BETE À BON DIEU
Je n'oserai jamais…!
Oh! non, monsieur, merci!
LE PAPILLON
De grimper là?
C'est donc bien difficile
LA BETE À BON DIEU
Non, mais…
LE PAPILLON
Grimpe donc, imbécile!
LA BETE À BON DIEU
Vous me ramènerez chez moi, bien entendu; Car, sans cela…
LE PAPILLON
Sitôt parti, sitôt rendu.
LA BETE À BON DIEU, grimpant sur son camarade.
C'est que le soir, chez nous, nous faisons la prière.