Le Petit Chose
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'Le Petit Chose' para?t en feuilleton en 1867. Daudet s'inspire des souvenirs d'une jeunesse douloureuse: humiliations ? l'?cole, m?pris pour le petit provencal, exp?rience de r?p?titeur au coll?ge et enfin coup de foudre pour une belle jeune femme. L'?crivain manifeste une tendresse, une piti? et un respect remarquables ? l'?gard des malchanceux et des d?sh?rit?s de la vie.
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«Dame! écoutez, monsieur Daniel, avant de rien dire, j'ai besoin de consulter la petite… Moi, votre proposition me convient assez; mais je ne sais pas si la petite… Du reste, nous allons voir. Elle doit être levée… Camille! Camille!» Camille Pierrotte, matinale comme une abeille, est en train d'arroser son rosier rouge sur la cheminée du salon. Elle arrive en peignoir du matin, les cheveux relevés à la chinoise, fraîche, gaie, sentant les fleurs.
«Tiens, petite, lui dit le Cévenol, voilà M. Daniel qui demande à entrer chez nous pour remplacer le commis… Seulement, comme il pense que sa présence ici te serait trop pénible…
– Trop pénible!» interrompit Camille Pierrotte en changeant de couleur.
Elle n'en dit pas plus long; mais les yeux noirs achevèrent sa phrase. Oui! les yeux noirs eux-mêmes se montrent devant le petit Chose, profonds comme la nuit, lumineux comme les étoiles, en criant «Amour! amour!» avec tant de passion et de flamme que le pauvre malade en a le cœur incendié.
Alors Pierrotte dit en riant sous cape:
«Dame! expliquez-vous tous les deux… il y a quelque malentendu là-dessous.» Et il s'en va tambouriner une bourrée cévenole sur les vitres; puis quand il croit que les enfants se sont suffisamment expliqués – oh! mon Dieu! c'est à peine s'ils ont eu le temps de se dire trois paroles -, il s'approche d'eux et les regarde:
«Eh bien?
– Ah! Pierrotte, dit le petit Chose en lui tendant les mains, elle est aussi bonne que vous… elle m'a pardonné!» À partir de ce moment-là, la convalescence du malade marche avec des bottes de sept lieues… Je crois bien! les yeux noirs ne bougent plus de la chambre. On passe les journées à faire des projets d'avenir. On parle de mariage, de foyer à reconstruire. On parle aussi de la chère mère Jacques, et son nom fait encore verser de belles larmes. Mais c'est égal! il y a de l'amour dans l'ancienne maison Lalouette. Cela se sent. Et si quelqu'un s'étonne que l'amour puisse fleurir ainsi dans le deuil et dans les larmes, je lui dirai d'aller voir aux cimetières toutes ces jolies fleurettes qui poussent entre les fentes des tombeaux.
D'ailleurs, n'allez pas croire que la passion fasse oublier son devoir au petit Chose. Pour si bien qu'il soit dans son grand lit, entre Mme Eyssette et les yeux noirs, il a hâte d'être guéri, de se lever, de descendre au magasin. Non, certes, que la porcelaine le tente beaucoup; mais il languit de commencer cette vie de dévouement et de travail dont la mère Jacques lui a donné l'exemple. Après tout, il vaut encore mieux vendre des assiettes dans un passage, comme disait la tragédienne Irma, que balayer l'institution Ouly ou se faire siffler à Montparnasse.
Quant à la Muse, on n'en parle plus. Daniel Eyssette aime toujours les vers, mais pas les siens; et le jour où l'imprimeur, fatigué de garder chez lui les neuf cent quatre vingt-dix-neuf volumes de La Comédie pastorale, les renvoie au passage du Saumon, le malheureux ancien poète a le courage de dire:
«Il faut brûler tout ça.» À quoi Pierrotte, plus avisé, répond:
«Brûler tout ça!… ma foi non!… J'aimé bien mieux le garder au magasin. J'en trouverai l'emploi…
«C'est bien le cas de le dire… J'ai tout juste prochainement un envoi de coquetiers à faire à Madagascar.
«Il paraît que dans ce pays-là, depuis qu'on a vu la femme a un missionnaire anglais manger des œufs à la coque, on ne veut plus manger les œufs autrement… Avec votre permission, monsieur Daniel, vos livres serviront à envelopper mes coquetiers.»
Et en effet, quinze jours après, La Comédie pastorale se met en route pour le pays de l'illustre Rana-Volo. Puisse-t-elle y avoir plus de succès qu'à Paris!
… Et maintenant, lecteur, avant de clore cette histoire, je veux encore une fois t'introduire dans le salon jonquille. C'est par un après-midi de dimanche, un beau dimanche d'hiver – froid sec et grand soleil.
Toute la maison Lalouette rayonne. Le petit Chose est complètement guéri et vient de se lever pour la première fois. Le matin, en l'honneur de cet heureux événement, on a sacrifié à Esculape quelques douzaines d'huîtres, arrosées d'un joli vin blanc de Touraine. Maintenant on est au salon, tous réunis.
Il fait bon; la cheminée flambe. Sur les vitres chargées de givre, le soleil fait des paysages d'argent.
Devant la cheminée, le petit Chose, assis sur un tabouret aux pieds de la pauvre aveugle assoupie, cause à voix basse avec Mlle Pierrotte plus rouge que la petite rose rouge qu'elle a dans les cheveux. Cela se comprend, elle est si près du feu!… De temps en temps, un grignotement de souris, – c'est la tête d'oiseau qui becquette dans un coin; ou bien un cri de détresse, – c'est la dame de grand mérite qui est en train de perdre au bésigue l'argent de l'herboristerie. Je vous prie de remarquer l'air triomphant de Mme Lalouette qui gagne, et le sourire inquiet du joueur de flûte, qui perd.
Et M. Pierrotte?… Oh! M. Pierrotte n'est pas loin…
Il est là-bas dans l'embrasure de la fenêtre, à demi caché par le grand rideau jonquille, et se livrant à une besogne silencieuse qui l'absorbe et le fait suer.
Il a devant lui, sur un guéridon, des compas, des crayons, des règles, des équerres, de l'encre de Chine, des pinceaux, et enfin une longue pancarte de papier à dessin qu'il couvre de signes singuliers… L'ouvrage a l'air de lui plaire. Toutes les cinq minutes, il relève la tête, la penche un peu de côté et sourit à son barbouillage d'un air de complaisance.
Quel est donc ce travail mystérieux?…
Attendez; nous allons le savoir… Pierrotte a, fini.
Il sort de sa cachette, arrive doucement derrière Camille et le petit Chose; puis, tout à coup, il leur étale sa grande pancarte sous les yeux en disant:
«Tenez! les amoureux, que pensez-vous de ceci?» Deux exclamations lui répondent; «Oh papa!…
– Oh! monsieur Pierrotte! – Qu'est-ce qu'il y a?… Qu'est-ce que c'est?…» demande la pauvre aveugle, réveillée en sursaut.
Et Pierrotte joyeusement:
«Ce que c'est, madame Eyssette?… C'est… c'est bien le cas de le dire… C'est un projet de la nouvelle enseigne que nous mettrons sur la boutique dans quelques mois… Allons! monsieur Daniel, lisez-nous ça tout haut, pour qu'on juge un peu de l'effet.» Dans le fond de son cœur, le petit Chose donne une dernière larme à ses papillons bleus; et prenant la pancarte à deux mains: – Voyons! – sois homme, petit Chose! – il lit tout haut, d'une voix ferme, cette enseigne de boutique, où son avenir est écrit en lettres grosses d'un pied:
PORCELAINE ET CRISTAUX
Ancienne maison Lalouette
EYSSETTE ET PIERROTTE
SUCCESSEURS
(1866 – 1867)