Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
– Élisabeth Nikolaïevna.
Je trouvai Lisa non plus dans la grande salle où nous étions tout à l’heure, mais dans une pièce voisine. La porte donnant accès à cette salle, où il n’y avait plus maintenant que Maurice Nikolaïévitch, était fermée hermétiquement.
Lisa me sourit, mais elle était pâle. Debout au milieu de la chambre, elle semblait hésitante, travaillée par une lutte intérieure; tout à coup elle me prit par le bras, et, sans proférer un mot, m’emmena vivement près de la fenêtre.
– Je veux la voir sans délai, murmura-t-elle en fixant sur moi un regard ardent, impérieux, n’admettant pas l’ombre d’une réplique; – je dois la voir de mes propres yeux, et je sollicite votre aide.
Elle était dans un état d’exaltation qui rend capable de tous les coups de tête.
– Qui désirez-vous voir, Élisabeth Nikolaïevna? demandai-je effrayé.
– Cette demoiselle Lébiadkine, cette boiteuse… C’est vrai qu’elle est boiteuse?
Je restai stupéfait.
– Je ne l’ai jamais vue, mais j’ai entendu dire qu’elle l’est, on me l’a encore dit hier, balbutiai-je rapidement et à voix basse.
– Il faut absolument que je la voie. Pourriez-vous me ménager une entrevue avec elle aujourd’hui même?
Elle m’inspirait une profonde pitié.
– C’est impossible, et même je ne vois pas du tout comment je pourrais m’y prendre, répondis-je, – je passerai chez Chatoff…
– Si vous n’arrangez pas cela pour demain, j’irai moi-même chez elle, je m’y rendrai seule parce que Maurice Nikolaïévitch a refusé de m’accompagner. Je n’espère qu’en vous, je ne puis plus compter sur aucun autre; j’ai parlé bêtement à Chatoff… Je suis sûre que vous êtes un très honnête homme, peut-être m’êtes-vous dévoué, tâchez d’arranger cela.
J’éprouvais le plus vif désir de lui venir en aide par tous les moyens en mon pouvoir.
– Voici ce que je ferai, dis-je après un instant de réflexion, – je vais aller là-bas, et aujourd’hui pour sûr, je la verrai! Je ferai en sorte de la voir, je vous en donne ma parole d’honneur; seulement permettez-moi de mettre Chatoff dans la confidence de votre dessein.
– Dites-lui que j’ai ce désir et que je ne puis plus attendre, mais que je ne l’ai pas trompé tout à l’heure. S’il est parti, c’est peut-être parce qu’il est très honnête et qu’il a cru que je voulais le prendre pour dupe. Je lui ai dit la vérité; mon intention est, en effet, de publier un livre et de fonder une imprimerie.
– Il est honnête, fort honnête, confirmai-je avec chaleur.
– Du reste, si la chose n’est pas arrangée pour demain, j’irai moi-même, quoi qu’il advienne, dût toute la ville le savoir.
– Je ne pourrai pas être chez vous demain avant trois heures, observai-je.
– Eh bien, je vous attendrai à trois heures. Ainsi je ne m’étais pas trompée hier chez Stépan Trophimovitch en supposant que vous m’étiez quelque peu dévoué? ajouta-t-elle avec un sourire, puis elle me serra la main, et courut retrouver Maurice Nikolaïévitch.
Je sortis fort préoccupé de ma promesse; je ne comprenais rien à ce qui se passait. J’avais vu une femme au désespoir qui ne craignait pas de se compromettre en se confiant à un homme qu’elle connaissait à peine. Son sourire féminin dans un moment si difficile pour elle, et cette allusion aux sentiments qu’elle avait remarqués en moi la veille, avaient fait leur trouée dans mon cœur comme des coups de poignard, mais ce que j’éprouvais était de la pitié et rien de plus! Les secrets d’Élisabeth Nikolaïevna avaient pris soudain à mes yeux un caractère sacré, et si, en ce moment, on avait entrepris de me les révéler, je crois que je me serais bouché les oreilles pour ne pas en savoir davantage. Je pressentais seulement quelque chose… Avec tout cela je n’avais pas la moindre idée de la manière dont j’arrangerais cette entrevue. Tout mon espoir était dans Chatoff, bien que je pusse prévoir qu’il ne me serait d’aucune utilité. Néanmoins je courus chez lui.
IV
Je ne pus le trouver à son domicile que le soir vers huit heures. Chose qui m’étonna, il avait du monde: Alexis Nilitch et un autre monsieur que je connaissais un peu, un certain Chigaleff, frère de madame Virguinsky.
Ce Chigaleff était depuis deux mois l’hôte de notre ville; je ne sais d’où il venait; j’ai seulement entendu dire qu’il avait publié un article dans une revue progressiste de Pétersbourg. Virguinsky nous avait présentés l’un à l’autre par hasard, dans la rue. Je n’avais jamais vue de physionomie aussi sombre, aussi renfrognée, aussi maussade que celle de cet homme. Il avait l’air d’attendre la fin du monde pour demain à dix heures vingt-cinq. Dans la circonstance que je rappelle, nous nous parlâmes à peine et nous bornâmes à échanger une poignée de main avec la mine de deux conspirateurs. Chigaleff me frappa surtout par l’étrangeté de ses oreilles longues, larges, épaisses et très écartées de la tête. Ses mouvements étaient lents et disgracieux. Si Lipoutine rêvait pour un temps plus ou moins éloigné l’établissement d’un phalanstère dans notre province, celui-ci savait de science certaine le jour et l’heure où cet événement s’accomplirait. Il produisit sur moi une impression sinistre. Dans le cas présent, je fus d’autant plus étonné de le rencontrer chez Chatoff que ce dernier, en général, n’aimait pas les visites.
De l’escalier j’entendis le bruit de leur conversation; ils parlaient tous trois à la fois, et probablement se disputaient; mais à mon apparition ils se turent. Pendant la discussion ils s’étaient levés; lorsque j’entrai, tous s’assirent brusquement, si bien que je dus m’asseoir aussi. Durant trois minutes régna un silence bête. Quoique Chigaleff m’eût reconnu, il fit semblant de ne m’avoir jamais vu, – non par hostilité à mon égard, mais c’était son genre. Alexis Nilitch et moi, nous nous saluâmes sans nous rien dire et sans nous tendre la main. Chigaleff, fronçant le sourcil, se mit à me regarder d’un œil sévère, naïvement convaincu que j’allais décamper aussitôt. Enfin Chatoff se souleva légèrement sur son siège, les visiteurs se levèrent alors et sortirent sans prendre congé. Toutefois, sur le seuil, Chigaleff dit à Chatoff qui le reconduisait:
– Rappelez-vous que vous avez des comptes à rendre.
– Je me moque de vos comptes et je n’en rendrai à aucun diable, répondit Chatoff, après quoi il ferma la porte au crochet.
– Bécasseaux! fit-il en me regardant avec un sourire désagréable.
Son visage exprimait la colère, et je remarquai non sans étonnement qu’il prenait le premier la parole. Presque toujours, quand j’allais chez lui (ce qui, du reste, arrivait très rarement), il restait maussade dans un coin et répondait d’un ton fâché; à la longue seulement il s’animait et trouvait du plaisir à causer. En revanche, au moment des adieux, sa mine redevenait invariablement grincheuse, et, en vous reconduisant, il avait l’air de mettre à la porte un ennemi personnel.
– J’ai bu du thé hier chez cet Alexis Nilitch, observai-je; – il paraît avoir la toquade de l’athéisme.