Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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CHAPITRE IV LA BOITEUSE.
I
Chatoff ne fit pas la mauvaise tête, et, conformément à ce que je lui avais écrit, alla à midi chez Élisabeth Nikolaïevna. Nous arrivâmes presque en même temps lui et moi; c’était aussi la première fois que je me rendais chez les dames Drozdoff. Elles se trouvaient dans la grande salle avec Maurice Nikolaïévitch, et une discussion avait lieu entre ces trois personnes au moment où nous entrâmes. Prascovie Ivanovna avait prié sa fille de lui jouer une certaine valse, et Lisa s’était empressée de se mettre au piano; mais la mère prétendait que la valse jouée n’était pas celle qu’elle avait demandée. Maurice Nikolaïévitch avait pris parti pour la jeune fille avec sa simplicité accoutumée, et soutenait que Prascovie Ivanovna se trompait; la vieille dame pleurait de colère. Elle était souffrante et marchait même avec difficulté. Ses pieds étaient enflés, ce qui la rendait grincheuse; aussi depuis quelques jours ne cessait-elle de chercher noise à tout son entourage, bien qu’elle eût toujours une certaine peur de Lisa. On fut content de nous voir. Élisabeth Nikolaïevna rougit de plaisir, et, après m’avoir dit merci, sans doute parce que je lui avais amené Chatoff, elle avança vers ce dernier en l’examinant d’un œil curieux.
Il était resté sur le seuil, fort embarrassé de sa personne. Elle le remercia d’être venu, puis le présenta à sa mère.
– C’est M. Chatoff, dont je vous ai parlé, et voici M. G…ff, un grand ami à moi et à Stépan Trophimovitch. Maurice Nikolaïévitch a aussi fait sa connaissance hier.
– Lequel est professeur?
– Mais ni l’un ni l’autre, maman.
– Si fait, tu m’as dit toi-même qu’il viendrait un professeur; ce doit être celui-ci, fit Prascovie Ivanovna et montrant Chatoff avec un air de mépris.
– Je ne vous ai jamais annoncé la visite d’un professeur. M. G…ff est au service, et M. Chatoff est un ancien étudiant.
– Étudiant, professeur, c’est toujours de l’Université. Il faut que tu aies bien envie de me contredire pour chicaner là-dessus. Mais celui que nous avons vu en Suisse avait des moustaches et une barbiche.
– Maman veut parler du fils de Stépan Trophimovitch, elle lui donne toujours le nom de professeur, dit Lisa qui emmena Chatoff à l’autre bout de la salle et l’invita à s’asseoir sur un divan.
– Quand ses pieds enflent, elle est toujours ainsi, vous comprenez, elle est malade, ajouta à voix basse la jeune fille en continuant à observer avec une extrême curiosité le visiteur, dont l’épi de cheveux attirait surtout son attention.
– Vous êtes militaire? me demanda la vieille dame avec qui Lisa avait eu la cruauté de me laisser en tête-à-tête.
– Non, je sers…
– M. G…ff est un grand ami de Stépan Trophimovitch, se hâta de lui expliquer sa fille.
– Vous servez chez Stépan Trophimovitch? Mais il est aussi professeur?
– Ah! maman, vous n’avez que des professeurs dans l’esprit, je suis sûre que vous en voyez même en rêve, cria Lisa impatientée.
– C’est bien assez d’en voir quand on est éveillé. Mais toi, tu ne sais que faire de l’opposition à ta mère. Vous étiez ici il y a quatre ans, quand Nicolas Vsévolodovitch est revenu de Pétersbourg?
Je répondis affirmativement.
– Il y avait un anglais ici parmi vous?
– Non, il n’y en avait pas.
Lisa se mit à rire.
– Tu vois bien qu’il n’y avait pas du tout d’Anglais, par conséquent ce sont des mensonges. Barbara Pétrovna et Stépan Trophimovitch mentent tous les deux. Du reste, tout le monde ment.
– Ma tante et Stépan Trophimovitch ont trouvé chez Nicolas Vsévolodovitch de la ressemblance avec le prince Harry mis en scène dans le Henri IV de Shakespeare, et maman objecte qu’il n’y avait pas d’Anglais, nous expliqua Lisa.
– Puisqu’il n’y avait pas de Harry, il n’y avait pas d’Anglais. Seul Nicolas Vsévolodovitch a fait des fredaines.
– Je vous assure que maman le fait exprès, crut devoir observer la jeune fille en s’adressant à Chatoff, elle connaît fort bien Shakespeare. Je lui ai lu moi-même le premier acte d’Othello, mais maintenant elle souffre beaucoup. Maman, entendez-vous? Midi sonne, il est temps de prendre votre médicament.
– Le docteur est arrivé, vint annoncer une femme de chambre.
– Zémirka, Zémirka, viens avec moi! cria Prascovie Ivanovna en se levant à demi.
Au lieu d’accourir à la voix de sa maîtresse, Zémirka, vieille et laide petite chienne, alla se fourrer sous le divan sur lequel était assise Élisabeth Nikolaïevna.
– Tu ne veux pas? Eh bien, reste là. Adieu, batuchka, je ne connais ni votre prénom, ni votre dénomination patronymique, me dit la vieille dame.
– Antoine Lavrentiévitch…
– Peu importe, ça m’entre par une oreille et ça sort par l’autre. Ne m’accompagnez pas, Maurice Nikolaïévitch, je n’ai appelé que Zémirka. Grâce à Dieu, je sais encore marcher seule, et demain j’irai me promener.
Elle s’en alla fâchée.
– Antoine Lavrentiévitch, vous causerez pendant ce temps-là avec Maurice Nikolaïévitch; je vous assure que vous gagnerez tous les deux à faire plus intimement connaissance ensemble, dit Lisa, et elle adressa un sourire amical au capitaine d’artillerie qui devint rayonnant lorsque le regard de la jeune fille se fixa sur lui. Faute de mieux, force me fut de dialoguer avec Maurice Nikolaïévitch.
II
À ma grande surprise, l’affaire qu’Élisabeth Nikolaïevna avait à traiter avec Chatoff était, en effet, exclusivement littéraire. Je ne sais pourquoi, mais je m’étais toujours figuré qu’elle l’avait fait venir pour quelque autre chose. Comme ils ne se cachaient pas de nous et causaient très haut, nous nous mîmes, Maurice Nikolaïévitch et moi, à écouter leur conversation, ensuite ils nous invitèrent à y prendre part. Il s’agissait d’un livre qu’Élisabeth Nikolaïevna jugeait utile, et que, depuis longtemps, elle se proposait de publier, mais, vu sa complète inexpérience, elle avait besoin d’un collaborateur. Je fus même frappé du sérieux avec lequel elle exposa son plan à Chatoff. «Sans doute elle est dans les idées nouvelles, pensai-je, ce n’est pas pour rien qu’elle a séjourné en Suisse.» Chatoff écoutait attentivement, les yeux fixés à terre, et ne remarquait pas du tout combien le projet dont on l’entretenait était peu en rapport avec les occupations ordinaires d’une jeune fille de la haute société.
Voici de quel genre était cette entreprise littéraire. Il paraît chez nous, tant dans la capitale qu’en province, une foule de gazettes et de revues qui, chaque jour, donnent connaissance d’une quantité d’événements. L’année se passe, les journaux sont entassés dans les armoires, ou bien on les salit, on les déchire, on les fait servir à toutes sortes d’usages. Beaucoup des incidents rendus publics par la presse produisent une certaine impression et restent dans la mémoire du lecteur, mais avec le temps ils s’oublient. Bien des gens plus tard voudraient se renseigner, mais quel travail pour trouver ce que l’on cherche dans cet océan de papier imprimé, d’autant plus que, souvent, on ne sait ni le jour, ni le lieu, ni même l’année où l’événement s’est passé? Si pour toute une année on rassemblait ces divers faits dans un livre, d’après un certain plan et une certaine idée, en mettant des tables, des index, en groupant les matières par mois et par jour, un pareil recueil pourrait, dans son ensemble, donner la caractéristique de la vie russe durant toute une année, bien que les événements livrés à la publicité soient infiniment peu nombreux en comparaison de tous ceux qui arrivent.