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Le Petit Chose

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Le Petit Chose
Название: Le Petit Chose
Автор: Daudet Alphonse
Дата добавления: 16 январь 2020
Количество просмотров: 287
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Le Petit Chose читать книгу онлайн

Le Petit Chose - читать бесплатно онлайн , автор Daudet Alphonse

'Le Petit Chose' para?t en feuilleton en 1867. Daudet s'inspire des souvenirs d'une jeunesse douloureuse: humiliations ? l'?cole, m?pris pour le petit provencal, exp?rience de r?p?titeur au coll?ge et enfin coup de foudre pour une belle jeune femme. L'?crivain manifeste une tendresse, une piti? et un respect remarquables ? l'?gard des malchanceux et des d?sh?rit?s de la vie.

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Voilà toutes mes hontes revenues. Sur ce grand boulevard ruisselant de clair soleil, je me sens ridicule avec mes caoutchoucs, et quoi que Jacques puisse me dire d'aimable en faveur de ma chaussure, je veux rentrer sur-le-champ. Nous rentrons. On s'installe au coin du feu, et le reste de la journée se passe gaiement à bavarder ensemble comme deux moineaux de gouttière… Vers le soir, on frappe à notre porte. C'est un domestique du marquis avec ma malle.

«Très bien! dit ma mère Jacques. Nous allons inspecter un peu ta garde-robe.» Pécaire! ma garde robe!…

L'inspection commence. Il faut voir notre mine piteusement comique en faisant ce maigre inventaire.

Jacques, à genoux devant la malle, tire les objets l'un après l'autre et les annonce à mesure.

«Un dictionnaire… une cravate… un autre dictionnaire… Tiens! une pipe… tu fumes donc!… Encore une pipe… Bonté divine! que de pipes! Si tu avais seulement autant de chaussettes… Et ce gros livre, qu'est-ce que c'est?… Oh! oh!… Cahier de punitions… Boucoyran, 500 lignes… Soubeyrol, 400 lignes… Boucoyran, 500 lignes… Boucoyran… Boucoyran…

«Sapristi! tu ne le ménageais pas, le nommé Boucoyran… C'est égal, deux ou trois douzaines de chemises feraient bien mieux notre affaire.»

À cet endroit de l'inventaire, ma mère Jacques pousse un cri de surprise…

«Miséricorde! Daniel… Qu'est-ce que je vois? Des vers! ce sont des vers… Tu en fais donc toujours?…

«Cachottier, va! pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé dans tes lettres? Tu sais bien pourtant que je ne suis pas un profane… J'ai fait des poèmes, moi aussi, dans le temps… Souviens-toi de Religion! Religion!

«Poème en douze chants!… Ça, monsieur le lyrique voyons un peu tes poésies!…

– Oh! non, Jacques, je t'en prie. Cela n'en vaut pas la peine.

– Tous les mêmes, ces poètes, dit Jacques en riant.

«Allons! mets-toi là, et lis-moi tes vers; sinon je vais les lire moi-même, et tu sais comme je lis mal!» Cette menace me décide; je commence ma lecture.

Ce sont des vers que j'ai faits au collège de Sarlande, sous les châtaigniers de la Prairie, en surveillant les élèves… Bons, ou méchants? Je ne m'en souviens guère; mais quelle émotion en les lisant!…

Pensez donc! des poésies qu'on n'a jamais montrées à personne… Et puis l'auteur de Religion! Religion! n'est pas un juge ordinaire. S'il allait se moquer de moi? Pourtant, à mesure que je lis, la musique des rimes me grise et ma voix se raffermit. Assis devant la croisée, Jacques m'écoute, impassible. Derrière lui, dans l'horizon, se couche un gros soleil rouge qui incendie nos vitres. Sur le bord du toit, un chat maigre bâille et s'étire en nous regardant; il a l'air renfrogné d'un sociétaire de la Comédie-Française écoutant une tragédie… Je vois tout cela du coin de l'œil sans interrompre ma lecture.

Triomphe inespéré! À peine j'ai fini, Jacques enthousiasmé quitte sa place et me saute au cou:

«Oh! Daniel! que c'est beau! que c'est beau!» Je le regarde avec un peu de défiance.

«Vraiment, Jacques, tu trouves?…

– Magnifique, mon cher, magnifique!… Pense que tu avais toutes ces richesses dans ta malle et que tu n'en disais rien! C'est incroyable!…» Et voilà ma mère Jacques qui marche à grands pas dans la chambre, parlant tout seul et gesticulant.

Tout à coup, il s'arrête en prenant un air solennel:

«Il n'y a plus à hésiter: Daniel, tu es poète, il faut rester poète et chercher ta vie de ce côté-là.

– Oh! Jacques, c'est bien difficile… Les débuts surtout. On gagne si peu.

– Bah! je gagnerai pour deux, n'aie pas peur.

– Et le foyer, Jacques, le foyer que nous voulons reconstruire?

– Le foyer! je m'en charge. Je me sens de force à le reconstruire à moi tout seul. Toi, tu l'illustreras, et tu penses comme nos parents seront fiers de s'asseoir à un foyer célèbre!…» J'essaie encore quelques objections; mais Jacques a réponse à tout. Du reste, il faut le dire, je ne me défends que faiblement. L'enthousiasme fraternel commence à me gagner. La foi poétique me pousse à vue d'œil, et je me sens déjà par tout mon être un prurigo lamartinien… Il y a un point, par exemple, sur lequel Jacques et moi nous ne nous entendons pas du tout. Jacques veut qu'à trente-cinq ans j'entre à l'Académie française. Moi, je m'y refuse énergiquement. Foin de l'Académie! C'est vieux, démodé, pyramide d'Égypte en diable.

«Raison de plus pour y entrer, me dit Jacques. Tu leur mettras un peu de jeune sang dans les veines, à tous ces vieux Palais-Mazarin… Et puis Mme Eyssette sera si heureuse, songe donc!» Que répondre à cela? Le nom de Mme Eyssette est un argument sans réplique. Il faut se résigner à endosser l'habit vert. Va donc pour l'Académie! Si mes collègues m'ennuient trop, je ferai comme Mérimée, je n'irai jamais aux séances.

Pendant cette discussion, la nuit est venue, les cloches de Saint-Germain carillonnent joyeusement, comme pour célébrer l'entrée de Daniel Eyssette à l'Académie française. «Allons dîner!» dit ma mère Jacques; et, tout fier de se montrer avec un académicien, il m'emmène dans une crémerie de la rue Saint-Benoît. C'est un petit restaurant de pauvres, avec une table d'hôte au fond pour les habitués. Nous mangeons dans la première salle, au milieu de gens très râpés, très affamés, qui raclent leurs assiettes silencieusement. «Ce sont presque tous des hommes de lettres», me dit Jacques à voix basse. Dans moi-même, je ne puis m'empêcher de faire à ce sujet quelques réflexions mélancoliques; mais je me garde bien de les communiquer à Jacques de peur de refroidir son enthousiasme.

Le dîner est très gai. M. Daniel Eyssette (de l'Académie française) montre beaucoup d'entrain, et encore plus d'appétit. Le repas fini, on se hâte de remonter dans le clocher; et tandis que M, l'académicien fume sa pipe à califourchon sur la fenêtre, Jacques, assis à sa table, s'absorbe dans un grand travail de chiffres qui paraît l'inquiéter beaucoup.

Il se ronge les ongles, s'agite fébrilement sur sa chaise, compte sur ses doigts, puis, tout à coup, se lève avec un cri de triomphe: «Bravo!… j'y suis arrivé.

– À quoi, Jacques? – À établir notre budget, mon cher. Et je te réponds que ce n'était pas une petite affaire. Pense! soixante francs par mois pour vivre à deux!…

– Comment! soixante?… Je croyais que tu gagnais cent francs chez le marquis.

– Oui! mais il y a là-dessus quarante francs par mois, à envoyer à Mme Eyssette pour la reconstruction du foyer… Restent donc soixante francs. Nous avons quinze francs de chambre; comme tu vois, ce n'est pas cher; seulement, il faut que je fasse le lit moi-même.

– Je le ferai aussi, moi, Jacques.

– Non, non. Pour un académicien, ce ne serait pas convenable. Mais revenons au budget… Donc 15 francs de chambre, 5 francs de charbon – seulement 5 francs, parce que je vais le chercher moi-même aux usines tous les mois – restent 40 francs. Pour ta nourriture, mettons 30 francs. Tu dîneras à la crémerie où nous sommes allés ce soir, c'est 15 sous sans le dessert, et tu as vu qu'on n'est pas trop mal.

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