Le Petit Chose
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'Le Petit Chose' para?t en feuilleton en 1867. Daudet s'inspire des souvenirs d'une jeunesse douloureuse: humiliations ? l'?cole, m?pris pour le petit provencal, exp?rience de r?p?titeur au coll?ge et enfin coup de foudre pour une belle jeune femme. L'?crivain manifeste une tendresse, une piti? et un respect remarquables ? l'?gard des malchanceux et des d?sh?rit?s de la vie.
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À ce moment, sept heures sonnent. Les vitres s'allument. Une lueur pâle entre dans la chambre en frissonnant.
«Voilà le jour, Daniel, dit Jacques. Il est temps de dormir. Couche-toi vite… tu dois en avoir besoin.
– Et toi, Jacques?
– Oh! moi, je n'ai pas deux jours de chemin de fer dans les reins… D'ailleurs, avant d'aller chez le marquis, il faut que je rapporte quelques livres au cabinet de lecture et je n'ai pas de temps à perdre… Tu sais que le marquis d'Hacqueville ne plaisante pas… Je rentrerai ce soir à huit heures… Toi, quand tu te seras bien reposé, tu sortiras un peu. Surtout je te recommande…» Ici ma mère Jacques commence à me faire une foule de recommandations très importantes pour un nouveau débarqué comme moi; par malheur, tandis qu'il me les fait, je me suis étendu sur le lit, et sans dormir précisément, je n'ai déjà plus les idées bien nettes. La fatigue, le pâté, les larmes… Je suis aux trois quarts assoupi… J'entends d'une façon confuse quelqu'un qui me parle d'un restaurant tout près d'ici, d'argent dans mon gilet, de ponts à traverser, de boulevards à suivre, de sergents de ville à consulter, et du clocher de Saint-Germain-des-Prés comme point de ralliement. Dans mon demi-sommeil, c'est surtout ce clocher de Saint-Germain qui m'impressionne. Je vois deux, cinq, dix clochers de Saint-Germain rangés autour de mon lit comme des poteaux indicateurs. Parmi tous ces clochers, quelqu'un va et vient dans la chambre, tisonne le feu, ferme les rideaux des croisées, puis s'approche de moi, me pose un manteau sur les pieds, m'embrasse au front et s'éloigne doucement avec un bruit de porte…
Je dormais depuis quelques heures, et je crois que j'aurais dormi jusqu'au retour de ma mère Jacques, quand le son d'une cloche me réveilla subitement.
C'était la cloche de Sarlande, l'horrible cloche de fer qui sonnait comme autrefois: «Dig! dong! réveillez-vous! dig! dong! habillez-vous!» D'un bond je fus au milieu de la chambre, la bouche ouverte pour crier comme au dortoir: «Allons, messieurs!» Puis, quand je m'aperçus que j'étais chez Jacques, je partis d'un grand éclat de rire et je me mis à gambader follement par la chambre. Ce que j'avais pris pour la cloche de Sarlande, c'était la cloche d'un atelier du voisinage qui sonnait sec et féroce comme celle de là-bas. Pourtant la cloche du collège avait encore quelque chose de plus méchant, de plus enfer, Heureusement elle était à deux cents lieues; et, si fort qu'elle sonnât, je ne risquais plus de l'entendre.
J'allai à la fenêtre, et je l'ouvris. Je m'attendais presque à voir au-dessous de moi la cour des grands avec ses arbres mélancoliques et l'homme aux clefs rasant les murs… Au moment où j'ouvrais, midi sonnait partout. La grosse tour de Saint-Germain tinta la première ses douze coups de l'angélus à la suite, presque dans mon oreille. Par la fenêtre ouverte, les grosses notes lourdes tombaient chez Jacques trois par trais, se crevaient en tombant comme des bulles sonores et remplissaient de bruit toute la chambre. À l'angélus de Saint-Germain, les autres angélus de Paris répondirent sur des timbres divers… En bas, Paris grondait, invisible… Je restai là un moment à regarder luire dans la lumière les dômes, les flèches, les tours; puis tout à coup, le bruit de la ville montant jusqu'à moi, il me vint je ne sais quelle folle envie de plonger, de me rouler dans le bruit, dans cette foule, dans cette vie, dans ces passions, et je me dis avec ivresse:
«Allons voir Paris!»
IV LA DISCUSSION DU BUDGET
Ce jour-là plus d'un Parisien a dû dire en rentrant chez lui, le soir, pour se mettre à table: «Quel singulier petit bonhomme j'ai rencontré aujourd'hui!» Le fait est qu'avec ses cheveux trop longs, son pantalon trop court, ses caoutchoucs, ses bas bleus, son bouquet départemental et cette solennité de démarche particulière à tous les êtres trop petits, le petit Chose devait être tout à fait comique.
C'était justement une journée de la fin de l'hiver, une de ces journées tièdes et lumineuses, qui à Paris, souvent sont plus le printemps que le printemps lui-même. Il y avait beaucoup de monde dehors. Un peu étourdi par le va-et-vient bruyant de la rue, j'allais devant moi, timide, et le long des murs. On me bousculait, je disais «pardon!» et je devenais tout rouge. Aussi je me gardais bien de m'arrêter devant les magasins et, pour rien au monde, je n'aurais demandé ma route. Je prenais une rue, puis une autre, toujours tout droit. On me regardait.
Cela me gênait beaucoup. Il y avait des gens qui se retournaient sur mes talons et des yeux qui riaient en passant près de moi; une fois j'entendis une femme dire à une autre: «Regarde donc celui-là.» Cela me fit broncher… Ce qui m'embarrassait beaucoup aussi, c'était l'œil inquisiteur des sergents de ville. À tous les coins de rue, ce diable d'œil silencieux se braquait sur moi curieusement; et quand j'avais passé, je le sentais encore qui me suivait de loin et me brûlait le dos. Au fond, j'étais un peu inquiet.
Je marchai ainsi près d'une heure, jusqu'à un grand boulevard planté d'arbres grêles. Il y avait là tant de bruit, tant de gens, tant de voitures, que je m'arrêtai presque effrayé.
«Comment me tirer d'ici? pensai-je en moi-même.
«Comment rentrer à la maison? Si je demande le clocher de Saint-Germain-des-Prés, on se moquera de moi. J'aurai l'air d'une cloche égarée qui revient de Rome, le jour de Pâques.» Alors, pour me donner le temps de prendre un parti, je m'arrêtai devant les affiches de théâtre, de l'air affairé d'un homme qui fait son menu de spectacles pour le soir. Malheureusement les affiches, fort intéressantes d'ailleurs, ne donnaient pas le moindre renseignement sur le clocher de Saint-Germain, et je risquais fort de rester là jusqu'au grand coup de trompette du jugement dernier, quand soudain ma mère Jacques parut à mes côtés. Il était aussi étonné que moi.
«Comment! c'est toi, Daniel! Que fais-tu là, bon Dieu?» Je répondis d'un petit air négligent:
«Tu vois! je me promène.» Ce bon garçon de Jacques me regardait avec admiration:
«C'est qu'il est déjà Parisien, vraiment!» Au fond, j'étais bien heureux de l'avoir, et je m'accrochai à son bras avec une joie d'enfant, comme à Lyon, quand M. Eyssette père était venu nous chercher sur le bateau.
«Quelle chance que nous nous soyons rencontrés! me dit Jacques. Mon marquis a une extinction de voix, et comme, heureusement, on ne peut pas dicter par gestes, il m'a donné congé jusqu'à demain… Nous allons en profiter pour faire une grande promenade…» Là-dessus, il m'entraîne; et nous voilà partis dans Paris, bien serrés l'un contre l'autre et tout fiers de marcher ensemble. Maintenant que mon frère est près de moi, la rue ne me fait plus peur. Je vais la tête haute, avec un aplomb de trompette aux zouaves, et gare au premier qui rira! Pourtant une chose m'inquiète. Jacques, chemin faisant, me regarde à plusieurs reprises d'un air piteux. Je n'ose lui demander pourquoi. «Sais-tu qu'ils sont très gentils tes caoutchoucs? me dit-il au bout d'un moment.
– N'est-ce pas, Jacques? – Oui, ma foi! très gentils…» Puis, en souriant, il ajoute: «C'est égal, quand je serai riche, je t'achèterai une paire de bons souliers pour mettre dedans.» Pauvre cher Jacques! il a dit cela sans malice; mais il n'en faut pas plus pour me décontenancer.