Le Petit Chose
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'Le Petit Chose' para?t en feuilleton en 1867. Daudet s'inspire des souvenirs d'une jeunesse douloureuse: humiliations ? l'?cole, m?pris pour le petit provencal, exp?rience de r?p?titeur au coll?ge et enfin coup de foudre pour une belle jeune femme. L'?crivain manifeste une tendresse, une piti? et un respect remarquables ? l'?gard des malchanceux et des d?sh?rit?s de la vie.
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«C'est une blonde de Paris. Elle sent bon comme une fleur et s'appelle Cécilia.» Il ne put pas m'en confier davantage, à cause de la situation de la personne, situation tellement, etc.
– Mais ces renseignements me suffisaient, et le soir même – pendant l'étude – j'écrivis ma première lettre à la blonde Cécilia.
Cette singulière correspondance entre le petit Chose et cette mystérieuse personne dura près d'un mois. Pendant un mois, j'écrivis en moyenne deux lettres de passion par jour. De ces lettres, les unes étaient tendres et vaporeuses comme le Lamartine d'Elvire, les autres enflammées et rugissantes comme le Mirabeau de Sophie. Il y en avait qui commençaient par ces mots: «O Cécilia, quelquefois, sur un rocher sauvage…» et qui finissaient par ceux-ci:
«On dit qu'on en meurt…, essayons!» Puis, de temps en temps, la Muse s'en mêlait:
«Oh! la lèvre, ta lèvre ardente! Donne-la-moi! donne-la-moi!»
Aujourd'hui, j'en parle en riant; mais à l'époque, le petit Chose ne riait pas, je vous le jure, et tout cela se faisait très sérieusement. Quand j'avais terminé une lettre, je la donnais à Roger pour qu'il la recopiât de sa belle écriture de sous-officier; lui, de son côté, quand il recevait des réponses (car elle répondait, la malheureuse!), il me les apportait bien vite, et je basais mes opérations là-dessus.
Le jeu me plaisait en somme; peut-être même me plaisait-il un peu trop. Cette blonde invisible, parfumée comme un lilas blanc, ne me sortait plus de l'esprit. Par moments, je me figurais que j'écrivais pour mon propre compte; je remplissais mes lettres de confidences toutes personnelles, de malédictions contre la destinée, contre ces êtres vils et méchants au milieu desquels j'étais obligé de vivre:
«O Cécilia, si tu savais comme j'ai besoin de ton amour!» Parfois aussi, quand le grand Roger venait me dire en frisant sa moustache: «Ça mord! ça mord!… continuez!» j'avais de secrets mouvements de dépit, et je pensais en moi-même: «Comment peut-elle croire que c'est ce gros réjoui, ce Fanfan la Tulipe, qui lui écrit ces chefs d'œuvre de passion et de mélancolie?» Elle le croyait pourtant; elle le croyait si bien qu'un jour, le maître d'armes, triomphant, m'apporta cette réponse qu'il venait de recevoir: «À neuf heures, ce soir, derrière la sous préfecture!» Est-ce à l'éloquence de mes lettres ou à la longueur de ses moustaches que Roger dut son succès? Je vous laisse, mesdames, le soin de décider. Toujours est-il que cette nuit-là, dans son dortoir mélancolique, le petit Chose eut un sommeil très agité. Il rêva qu'il était grand, qu'il avait des moustaches, et que des dames de Paris – occupant des situations tout à fait extraordinaires – lui donnaient des rendez-vous derrière les sous-préfectures…
Le plus comique, c'est que le lendemain, il me fallut écrire une lettre d'actions de grâces et remercier Cécilia de tout le bonheur qu'elle m'avait donné:
«Ange qui as consenti à passer une nuit, sur la terre…» Cette lettre, je l'avoue, le petit Chose l'écrivit avec la rage dans le cœur. Heureusement la correspondance s'arrêta là, et pendant quelque temps, je n'entendis plus parler de Cécilia ni de sa haute situation.
XI MON BON AMI LE MAITRE D'ARMES
Ce jour-là, le 18 février, comme il était tombé beaucoup de neige pendant la nuit, les enfants n'avaient pas pu jouer dans les cours. Aussitôt l'étude du matin finie, on les avait casernés tous pèle mêle, dans la salle, pour y prendre leur récréation à l'abri du mauvais temps en attendant l'heure des classes.
C'était moi qui les surveillais.
Ce qu'on appelait la salle était l'ancien gymnase du collège de la Marine. Imaginez quatre grands murs nus avec de petites fenêtres grillées; çà et là des crampons à moitié arrachés, la trace encore visible des échelles, et, se balançant à la maîtresse poutre du plafond, un énorme anneau en fer au bout d'une corde, Les enfants avaient l'air de s'amuser beaucoup en regardant la neige qui remplissait les rues et les hommes armés de pelles qui l'emportaient dans des tombereaux. Mais tout ce tapage, je ne l'entendais pas.
Seul, dans un coin, les larmes aux yeux, je lisais une lettre, et les enfants auraient à cet instant démoli le gymnase de fond en comble, que je ne m'en fusse pas aperçu. C'était une lettre de Jacques que je venais de recevoir; elle portait le timbre de Paris, – mon Dieu! oui, de Paris, – et voici ce qu'elle disait:
«Cher Daniel,
«Ma lettre va bien te surprendre. Tu ne te doutais pas, hein? que je fusse à Paris depuis quinze jours.
«J'ai quitté Lyon sans rien dire à personne, un coup de tête… – Que veux-tu? je m'ennuyais trop dans cette horrible ville, surtout depuis ton départ.
«Je suis arrivé ici avec trente francs et cinq ou six lettres de M. le curé de Saint-Nizier. Heureusement la Providence m'a protégé tout de suite, et m'a fait rencontrer un vieux marquis chez lequel je suis entré comme secrétaire. Nous mettons en ordre ses mémoires, je n'ai qu'à écrire sous sa dictée, et je gagne à cela cent francs par mois. Ce n'est pas brillant, comme tu vois; mais, tout compte fait, j'espère pouvoir envoyer de temps en temps quelque chose à la maison sur mes économies.
«Ah! mon cher Daniel, la jolie ville que ce Paris! Ici – du moins – il ne fait pas toujours du brouillard; il pleut bien quelquefois, mais c'est une petite pluie gaie, mêlée de soleil, et comme je n'en ai jamais vu ailleurs. Aussi je suis tout changé, si tu savais! Je ne pleure plus du tout, c'est incroyable.»
J'en étais là de la lettre, quand tout à coup, sous les fenêtres, retentit le bruit sourd d'une voiture roulant dans la neige. La voiture s'arrêta devant la porte du collège, et j'entendis les enfants crier à tue-tête:
«Le sous-préfet! le sous-préfet!» Une visite de M, le sous-préfet présageait évidemment quelque chose d'extraordinaire. Il venait à peine au collège de Sarlande une ou deux fois chaque année, et c'était alors comme un événement. Mais, pour le quart d'heure, ce qui m'intéressait avant tout, ce qui me tenait à cœur plus que le sous-préfet de Sarlande et plus que Sarlande tout entier, c'était la lettre de mon frère Jacques. Aussi, tandis que les élèves, mis en gaieté, se culbutaient devant les fenêtres pour voir M. le sous-préfet descendre de voiture, je retournai dans mon coin et je me remis à lire.
«Tu sauras, mon bon Daniel, que notre père est en Bretagne, où il fait le commerce du cidre pour le compte d'une compagnie. En apprenant que j'étais le secrétaire du marquis, il a voulu que je place quelques tonneaux de cidre chez lui. Par malheur, le marquis ne boit que du vin, et du vin d'Espagne, encore! J'ai écrit cela au père; sais-tu ce qu'il m'a répondu:
«Jacques, tu es un âne!» comme toujours. Mais c'est égal, mon cher Daniel, je crois qu'au fond il m'aime beaucoup.
«Quant à maman, tu sais qu'elle est seule maintenant. Tu devrais bien lui écrire, elle se plaint de ton silence.
«J'avais oublié de te dire une chose qui, certainement, te fera le plus grand plaisir: j'ai ma chambre au Quartier latin… au Quartier latin! pense un peu!…