Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Il resta longtemps dans cette position, ne sachant à quoi se résoudre et tenant toujours le chandelier à la main. La porte n’avait été ouverte que durant une seconde, aussi n’avait-il presque rien vu; pourtant le visage de Kiriloff qui se tenait debout au fond de la chambre, près de la fenêtre, et la fureur de bête fauve avec laquelle ce dernier avait bondi vers lui, – cela, Pierre Stépanovitch avait pu le remarquer. Un frisson le saisit, il déposa en toute hâte la bougie sur la table, prépara son revolver, et, marchant sur la pointe des pieds, alla vivement se poster dans le coin opposé, de façon à n’être pas surpris par Kiriloff, mais au contraire à le prévenir, si celui-ci, animé de sentiments hostiles, faisait brusquement irruption dans la chambre.
Quant au suicide, Pierre Stépanovitch à présent n’y croyait plus du tout! «Il était au milieu de la chambre et réfléchissait», pensait-il. «D’ailleurs, cette pièce sombre, terrible… il a poussé un cri féroce et s’est précipité vers moi – cela peut s’expliquer de deux manières: ou bien je l’ai dérangé au moment où il allait presser la détente, ou… ou bien il était en train de se demander comment il me tuerait. Oui, c’est cela, voilà à quoi il songeait. Il sait que je ne m’en irai pas d’ici avant de lui avoir fait son affaire, si lui-même n’a pas le courage de se brûler la cervelle, – donc, pour ne pas être tué par moi, il faut qu’il me tue auparavant… Et le silence qui règne toujours là! C’est même effrayant: il ouvrira tout d’un coup la porte… Ce qu’il y a de dégoûtant, c’est qu’il croit en Dieu plus qu’un pope… Jamais de la vie il ne se suicidera!… Il y a beaucoup de ces esprits-là maintenant. Fripouille! Ah! diable, la bougie, la bougie! dans un quart d’heure elle sera entièrement consumée… Il faut en finir; coûte que coûte, il faut en finir… Eh bien, à présent je peux le tuer… Avec ce papier, on ne me soupçonnera jamais de l’avoir assassiné: je pourrai disposer convenablement le cadavre, l’étendre sur le parquet, lui mettre dans la main un revolver déchargé; tout le monde croira qu’il s’est lui-même… Ah! diable, comment donc le tuer? Quand j’ouvrirai la porte, il s’élancera encore et me tirera dessus avant que j’aie pu faire usage de mon arme. Eh, diable, il me manquera, cela va s’en dire!»
Sa situation était atroce, car il ne pouvait se résoudre à prendre un parti dont l’urgence, l’inéluctable nécessité s’imposait à son esprit. À la fin pourtant il saisit la bougie et de nouveau s’approcha de la porte, le revolver au poing. Sa main gauche se posa sur le bouton de la serrure; cette main tenait le chandelier; le bouton rendit un son aigre. «Il va tirer!» pensa Pierre Stépanovitch. Il poussa la porte d’un violent coup de pied, leva la bougie et tendit son revolver devant lui; mais ni détonation, ni cri… Il n’y avait personne dans la chambre.
Il frissonna. La pièce ne communiquait avec aucune autre, toute évasion était impossible. Il haussa davantage la bougie et regarda attentivement: personne. «Kiriloff!» fit-il, d’abord à demi-voix, puis plus haut; cet appel resta sans réponse.
«Est-ce qu’il se serait sauvé par la fenêtre?»
Le fait est qu’un vasistas était ouvert. «C’est absurde, il n’a pas pu s’esquiver par là.» Il traversa toute la chambre, alla jusqu’à la fenêtre: «Non, c’est impossible.» Il se retourna brusquement, et un spectacle inattendu le fit tressaillir.
Contre le mur opposé aux fenêtres, à droite de la porte, il y avait une armoire. À droite de cette armoire, dans l’angle qu’elle formait avec le mur se tenait debout Kiriloff, et son attitude était des plus étranges: roide, immobile, il avait les mains sur la couture du pantalon, la tête un peu relevée, la nuque collée au mur; on aurait dit qu’il voulait s’effacer, se dissimuler tout entier dans ce coin. D’après tous les indices, il se cachait, mais il n’était guère possible de s’en assurer. Se trouvant un peu sur le côté, Pierre Stépanovitch ne pouvait distinguer nettement que les parties saillantes de la figure. Il hésitait encore à s’approcher pour mieux examiner l’ingénieur et découvrir le mot de cette énigme. Son cœur battait avec force… Tout à coup à la stupeur succéda chez lui une véritable rage: il s’arracha de sa place, se mit à crier et courut furieux vers l’effrayante vision.
Mais quand il fut arrivé auprès d’elle, il s’arrêta plus terrifié encore que tout à l’heure. Une circonstance surtout l’épouvantait: il avait crié, il s’était élancé ivre de colère vers Kiriloff, et, malgré cela, ce dernier n’avait pas bougé, n’avait pas remué un seul membre, – une figure de cire n’aurait pas gardé une immobilité plus complète. La tête était d’une pâleur invraisemblable, les yeux noirs regardaient fixement un point dans l’espace. Baissant et relevant tour à tour la bougie, Pierre Stépanovitch promena la lumière sur le visage tout entier; soudain il s’aperçut que Kiriloff, tout en regardant devant lui, le voyait du coin de l’œil, peut-être même l’observait. Alors l’idée lui vint d’approcher la flamme de la frimousse du «coquin» et de le brûler pour voir ce qu’il ferait. Tout à coup il lui sembla que le menton de Kiriloff s’agitait et qu’un sourire moqueur glissait sur ses lèvres, comme si l’ingénieur avait deviné la pensée de son ennemi. Tremblant, ne se connaissant plus, celui-ci empoigna avec force l’épaule de Kiriloff.
La scène suivante fut si affreuse et se passa si rapidement qu’elle ne laissa qu’un souvenir confus et incertain dans l’esprit de Pierre Stépanovitch. Il n’avait pas plus tôt touché Kiriloff que l’ingénieur, se baissant par un mouvement brusque, lui appliqua sur les mains un coup de tête qui l’obligea à lâcher la bougie. Le chandelier tomba avec bruit sur le parquet, et la lumière s’éteignit. Au même instant un cri terrible fut poussé par Pierre Stépanovitch qui sentait une atroce douleur au petit doigt de sa main gauche. Hors de lui, il se servit de son revolver comme d’une massue et de toute sa force en asséna trois coups sur la tête de Kiriloff qui s’était serré contre lui et lui mordait le doigt. Voilà tout ce que put se rappeler plus tard le héros de cette aventure. À la fin, il dégagea son doigt et s’enfuit comme un perdu en cherchant à tâtons son chemin dans l’obscurité. Tandis qu’il se sauvait, de la chambre arrivaient à ses oreilles des cris effrayants:
– Tout de suite, tout de suite, tout de suite, tout de suite!…
Dix fois cette exclamation retentit, mais Pierre Stépanovitch courait toujours, et il était déjà dans le vestibule quand éclata une détonation formidable. Alors il s’arrêta, réfléchit pendant cinq minutes, puis rentra dans l’appartement. Il fallait en premier lieu se procurer de la lumière. Retrouver le chandelier n’était pas le difficile, il n’y avait qu’à chercher par terre, à droite de l’armoire; mais avec quoi rallumer le bout de bougie? Un vague souvenir s’offrit tout à coup à l’esprit de Pierre Stépanovitch: il se rappela que la veille, lorsqu’il s’était précipité dans la cuisine pour s’expliquer avec Fedka, il lui semblait avoir aperçu une grosse boîte d’allumettes chimiques placée sur une tablette dans un coin. S’orientant de son mieux à travers les ténèbres, il finit par trouver l’escalier qui conduisait à la cuisine. Sa mémoire ne l’avait pas trompé: la boîte d’allumettes était juste à l’endroit où il croyait l’avoir vue la veille; elle n’avait pas encore été entamée, il la découvrit en tâtonnant. Sans prendre le temps de s’éclairer, il remonta en toute hâte. Quand il fut de nouveau près de l’armoire, à la place même où il avait frappé Kiriloff avec son revolver pour lui faire lâcher prise, alors seulement il se rappela son doigt mordu, et au même instant il y sentit une douleur presque intolérable. Serrant les dents, il ralluma tant bien que mal le bout de bougie, le remit dans le chandelier et promena ses regards autour de lui: près du vasistas ouvert, les pieds tournés vers le coin droit de la chambre, gisait le cadavre de Kiriloff. L’ingénieur s’était tiré un coup de revolver dans la tempe droite, la balle avait traversé le crâne, et elle était sortie au-dessus de la tempe gauche. Ça et là on voyait des éclaboussures de sang et de cervelle. L’arme était restée dans la main du suicidé. La mort avait dû être instantanée. Quand il eût tout examiné avec le plus grand soin, Pierre Stépanovitch sortit sur la pointe des pieds, ferma la porte et, de retour dans la première pièce, déposa la bougie sur la table. Après réflexion, il se dit qu’elle ne pouvait causer d’incendie, et il se décida à ne pas la souffler. Une dernière fois il jeta les yeux sur la déclaration du défunt, et un sourire machinal lui vient aux lèvres. Ensuite, marchant toujours sur la pointe des pieds, il quitta l’appartement et se glissa hors de la maison par l’issue dérobée.