Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Mais vous savez, Verkhovensky, huit heures à passer en wagon, c’est terrible. Nous avons là, dans notre compartiment de première, Bérestoff, un colonel fort drôle, mon voisin de campagne; il a épousé une demoiselle Garine, et, vous savez, c’est un homme comme il faut. Il a même des idées. Il n’est resté que quarante-huit heures ici. C’est un amateur enragé du whist; si nous organisions une petite partie, hein? J’ai déjà trouvé le quatrième – Pripoukhloff, un marchant de T…, barbu comme il sied à un homme de sa condition. C’est un millionnaire, j’entends un vrai millionnaire… Je vous ferai faire sa connaissance, il est très intéressant, ce sac d’écus, nous rirons.
– J’aime beaucoup à jouer au whist en voyage, mais j’ai pris un billet de seconde.
– Eh! qu’est-ce que cela fait? Montez donc avec nous. Je vais tout de suite faire changer votre billet. Le chef du train n’a rien à me refuser. Qu’est-ce que vous avez? Un sac? Un plaid?
– Allons-y gaiement!
Pierre Stépanovitch prit son sac, son plaid, un livre, et se transporta aussitôt en première classe. Erkel l’aida à installer ses affaires dans le compartiment.
La sonnette se fit entendre pour la troisième fois.
– Eh bien, Erkel, dit Pierre Stépanovitch tendant la main à l’enseigne par la portière du wagon, – vous voyez, je vais jouer avec eux.
– Mais à quoi bon me donner des explications, Pierre Stépanovitch? Je comprends, je comprends tout, Pierre Stépanovitch.
– Allons, au plaisir… dit celui-ci.
Il se détourna brusquement, car le jeune homme l’appelait pour le présenter à leurs compagnons de route. Et Erkel ne vit plus son Pierre Stépanovitch!
L’enseigne retourna chez lui fort triste. Certes l’idée ne pouvait lui venir que Pierre Stépanovitch fût un lâcheur, mais… mais il lui avait si vite tourné le dos dès que ce jeune élégant l’avait appelé et… il aurait pu lui dire autre chose que ce «au plaisir…» ou… ou du moins lui serrer la main un peu plus fort.
Autre chose aussi commençait à déchirer le pauvre cœur d’Erkel, et, sans qu’il le comprît encore lui-même, l’événement de la soirée précédente n’était pas étranger à cette souffrance.
CHAPITRE VII LE DERNIER VOYAGE DE STEPAN TROPHIMOVITCH [30].
I
Je suis convaincu que Stépan Trophimovitch eut grand’peur en voyant arriver le moment qu’il avait fixé pour l’exécution de sa folle entreprise. Je suis sûr qu’il fut malade de frayeur, surtout dans la nuit qui précéda sa fuite. Nastenka a raconté depuis qu’il s’était couché tard et qu’il avait dormi. Mais cela ne prouve rien; les condamnés à mort dorment, dit-on, d’un sommeil très profond la veille même de leur supplice. Quoiqu’il fît déjà clair quand il partit et que le grand jour remonte un peu le moral des gens nerveux (témoin le major, parent de Virguinsky, dont la religion s’évanouissait aux premiers rayons de l’aurore), je suis néanmoins persuadé que jamais auparavant il n’aurait pu se représenter sans épouvante la situation qui était maintenant la sienne. Sans doute, surexcité comme il l’était, il est probable qu’il ne sentit pas dès l’abord toute l’horreur de l’isolement auquel il se condamnait en quittant Stasie et la maison où il avait vécu au chaud durant vingt ans. Mais n’importe, lors même qu’il aurait eu la plus nette conscience de toutes les terreurs qui l’attendaient, il n’en aurait pas moins persisté dans sa résolution. Elle avait quelque chose de fier qui, malgré tout, le séduisait. Oh! il aurait pu accepter les brillantes propositions de Barbara Pétrovna et rester à ses crochets «comme un simple parasite», mais non! Dédaigneux d’une aumône, il fuyait les bienfaits de la générale, il arborait «le drapeau d’une grande idée» et, pour ce drapeau, il s’en allait mourir sur un grand chemin! Tels durent être les sentiments de Stépan Trophimovitch; c’est à coup sûr sous cet aspect que lui apparut sa conduite.
Il y a encore une question que je me suis posée plus d’une fois: pourquoi s’enfuit-il à pied au lieu de partir en voiture, ce qui eût été beaucoup plus simple? À l’origine, je m’expliquais le fait par la fantastique tournure d’esprit de ce vieil idéaliste. Il est à supposer, me disais-je, que l’idée de prendre des chevaux de poste lui aura semblé trop banale et trop prosaïque: il a dû trouver beaucoup plus beau de voyager pédestrement comme un pèlerin. Mais maintenant je crois qu’il ne faut pas chercher si loin l’explication. La première raison qui empêcha Stépan Trophimovitch de prendre une voiture fut la crainte de donner l’éveil à Barbara Pétrovna: instruite de son dessein, elle l’aurait certainement retenu de force; lui, de son côté, se serait certainement soumis, et, dès lors, c’en eût été fait de la grande idée. Ensuite, pour prendre des chevaux de poste, il faut au moins savoir où l’on va. Or, la question du lieu où il allait constituait en ce moment la principale souffrance de notre voyageur. Pour rien au monde, il n’eût pu se résoudre à indiquer une localité quelconque, car s’il s’y était décidé, l’absurdité de son entreprise lui aurait immédiatement sauté aux yeux, et il pressentait très bien cela. Pourquoi en effet se rendre dans telle ville plutôt que dans telle autre? Pour chercher ce marchand? Mais quel marchand? C’était là le second point qui inquiétait Stépan Trophimovitch. Au fond, il n’y avait rien de plus terrible pour lui que ce marchand à la recherche de qui il courait ainsi, tête baissée, et que, bien entendu, il avait une peur atroce de découvrir. Non, mieux valait marcher tout droit devant soi, prendre la grande route et la suivre sans penser à rien, aussi longtemps du moins qu’on pourrait ne pas penser. La grande route, c’est quelque chose de si long, si long qu’on n’en voit pas le bout – comme la vie humaine, comme le rêve humain. Dans la grande route il y a une idée, mais dans un passeport de poste quelle idée y a-t-il?… Vive la grande route! advienne que pourra.
Après sa rencontre imprévue avec Élisabeth Nikolaïevna, Stépan Trophimovitch poursuivit son chemin en s’oubliant de plus en plus lui-même. La grande route passait à une demi-verste de Skvorechniki, et, chose étrange, il la prit sans s’en douter. Réfléchir, se rendre un compte quelque peu net de ses actions lui était insupportable en ce moment. La pluie tantôt cessait, tantôt recommençait, mais il ne la remarquait pas. Ce fut aussi par un geste machinal qu’il mit son sac sur son épaule, et il ne s’aperçut pas que de la sorte il marchait plus légèrement. Quand il eut fait une verste ou une verste et demie, il s’arrêta tout à coup et promena ses regards autour de lui. Devant ses yeux s’allongeait à perte de vue, comme un immense fil, la route noire, creusée d’ornières et bordée de saules blancs; à droite s’étendaient des terrains nus; la moisson avait été fauchée depuis longtemps; à gauche c’étaient des buissons et au-delà un petit bois. Dans le lointain l’on devinait plutôt qu’on ne distinguait le chemin de fer, qui faisait un coude en cet endroit; une légère fumée au-dessus de la voie indiquait le passage d’un train, mais la distance ne permettait pas d’entendre le bruit. Durant un instant, le courage de Stépan Trophimovitch faillit l’abandonner. Il soupira vaguement, posa son sac à terre et s’assit afin de reprendre haleine. Au moment où il s’asseyait, il se sentit frissonner et s’enveloppa dans son plaid; alors aussi il s’aperçut qu’il pleuvait et déploya son parapluie au-dessus de lui. Pendant assez longtemps il resta dans cette position, remuant les lèvres de loin en loin, tandis que sa main serrait avec force le manche du parapluie. Diverses images, effet de la fièvre, flottaient dans son esprit, bientôt remplacées par d’autres. «Lise, lise, songeait-il, et avec elle ce Maurice…Étranges gens… Eh bien, mais cet incendie, n’était-il pas étrange aussi? Et de quoi parlaient-ils? Quelles sont ces victimes?… Je suppose que Stasie ignore encore mon départ et m’attend avec le café… En jouant aux cartes? Est-ce que j’ai perdu des gens aux cartes? Hum… chez nous en Russie, à l’époque du servage… Ah! mon Dieu, et Fedka?»