Les trois mousquetaires
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On ne pr?sente pas Les Trois Mousquetaires. Ce roman, ?crit en 1844, est en effet le plus c?l?bre de Dumas. Rappelons simplement qu’il s’agit du premier d’une trilogie, les deux suivants ?tant Vingt ans apr?s et Le vicomte de Bragelonne.
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D’Artagnan entra derrière le cardinal, et Rochefort derrière d’Artagnan; la porte fut gardée.
Son Éminence se rendit dans la chambre qui lui servait de cabinet, et fit signe à Rochefort d’introduire le jeune mousquetaire.
Rochefort obéit et se retira.
D’Artagnan resta seul en face du cardinal; c’était sa seconde entrevue avec Richelieu, et il avoua depuis qu’il avait été bien convaincu que ce serait la dernière.
Richelieu resta debout, appuyé contre la cheminée, une table était dressée entre lui et d’Artagnan.
«Monsieur, dit le cardinal, vous avez été arrêté par mes ordres.
– On me l’a dit, Monseigneur.
– Savez-vous pourquoi?
– Non, Monseigneur; car la seule chose pour laquelle je pourrais être arrêté est encore inconnue de Son Éminence.»
Richelieu regarda fixement le jeune homme.
«Oh! Oh! dit-il, que veut dire cela?
– Si Monseigneur veut m’apprendre d’abord les crimes qu’on m’impute, je lui dirai ensuite les faits que j’ai accomplis.
– On vous impute des crimes qui ont fait choir des têtes plus hautes que la vôtre, monsieur! dit le cardinal.
– Lesquels, Monseigneur? demanda d’Artagnan avec un calme qui étonna le cardinal lui-même.
– On vous impute d’avoir correspondu avec les ennemis du royaume, on vous impute d’avoir surpris les secrets de l’État, on vous impute d’avoir essayé de faire avorter les plans de votre général.
– Et qui m’impute cela, Monseigneur? dit d’Artagnan, qui se doutait que l’accusation venait de Milady: une femme flétrie par la justice du pays, une femme qui a épousé un homme en France et un autre en Angleterre, une femme qui a empoisonné son second mari et qui a tenté de m’empoisonner moi-même!
– Que dites-vous donc là? Monsieur, s’écria le cardinal étonné, et de quelle femme parlez-vous ainsi?
– De Milady de Winter, répondit d’Artagnan; oui, de Milady de Winter, dont, sans doute, Votre Éminence ignorait tous les crimes lorsqu’elle l’a honorée de sa confiance.
– Monsieur, dit le cardinal, si Milady de Winter a commis les crimes que vous dites, elle sera punie.
– Elle l’est, Monseigneur.
– Et qui l’a punie?
– Nous.
– Elle est en prison?
– Elle est morte.
– Morte! répéta le cardinal, qui ne pouvait croire à ce qu’il entendait: morte! n’avez-vous pas dit qu’elle était morte?
– Trois fois elle avait essayé de me tuer, et je lui avais pardonné, mais elle a tué la femme que j’aimais. Alors, mes amis et moi, nous l’avons prise, jugée et condamnée.»
D’Artagnan alors raconta l’empoisonnement de Mme Bonacieux dans le couvent des Carmélites de Béthune, le jugement de la maison isolée, l’exécution sur les bords de la Lys.
Un frisson courut par tout le corps du cardinal, qui cependant ne frissonnait pas facilement.
Mais tout à coup, comme subissant l’influence d’une pensée muette, la physionomie du cardinal, sombre jusqu’alors, s’éclaircit peu à peu et arriva à la plus parfaite sérénité.
«Ainsi, dit-il avec une voix dont la douceur contrastait avec la sévérité de ses paroles, vous vous êtes constitués juges, sans penser que ceux qui n’ont pas mission de punir et qui punissent sont des assassins!
– Monseigneur, je vous jure que je n’ai pas eu un instant l’intention de défendre ma tête contre vous. Je subirai le châtiment que Votre Éminence voudra bien m’infliger. Je ne tiens pas assez à la vie pour craindre la mort.
– Oui, je le sais, vous êtes un homme de cœur, monsieur, dit le cardinal avec une voix presque affectueuse; je puis donc vous dire d’avance que vous serez jugé, condamné même.
– Un autre pourrait répondre à Votre Éminence qu’il a sa grâce dans sa poche; moi je me contenterai de vous dire: «Ordonnez, Monseigneur, je suis prêt.»
– Votre grâce? dit Richelieu surpris.
– Oui, Monseigneur, dit d’Artagnan.
– Et signée de qui? du roi?»
Et le cardinal prononça ces mots avec une singulière expression de mépris.
«Non, de Votre Éminence.
– De moi? vous êtes fou, monsieur?
– Monseigneur reconnaîtra sans doute son écriture.»
Et d’Artagnan présenta au cardinal le précieux papier qu’Athos avait arraché à Milady, et qu’il avait donné à d’Artagnan pour lui servir de sauvegarde.
Son Éminence prit le papier et lut d’une voix lente et en appuyant sur chaque syllabe:
«C’est par mon ordre et pour le bien de État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.
«Au camp devant La Rochelle, ce 5 août 1628.
«Richelieu.»
Le cardinal, après avoir lu ces deux lignes, tomba dans une rêverie profonde, mais il ne rendit pas le papier à d’Artagnan.
«Il médite de quel genre de supplice il me fera mourir, se dit tout bas d’Artagnan; eh bien, ma foi! il verra comment meurt un gentilhomme.»
Le jeune mousquetaire était en excellente disposition pour trépasser héroïquement.
Richelieu pensait toujours, roulait et déroulait le papier dans ses mains. Enfin il leva la tête, fixa son regard d’aigle sur cette physionomie loyale, ouverte, intelligente, lut sur ce visage sillonné de larmes toutes les souffrances qu’il avait endurées depuis un mois, et songea pour la troisième ou quatrième fois combien cet enfant de vingt et un ans avait d’avenir, et quelles ressources son activité, son courage et son esprit pouvaient offrir à un bon maître.
D’un autre côté, les crimes, la puissance, le génie infernal de Milady l’avaient plus d’une fois épouvanté. Il sentait comme une joie secrète d’être à jamais débarrassé de ce complice dangereux.
Il déchira lentement le papier que d’Artagnan lui avait si généreusement remis.
«Je suis perdu», dit en lui-même d’Artagnan.
Et il s’inclina profondément devant le cardinal en homme qui dit: «Seigneur, que votre volonté soit faite!»
Le cardinal s’approcha de la table, et, sans s’asseoir, écrivit quelques lignes sur un parchemin dont les deux tiers étaient déjà remplis et y apposa son sceau.
«Ceci est ma condamnation, dit d’Artagnan; il m’épargne l’ennui de la Bastille et les lenteurs d’un jugement. C’est encore fort aimable à lui.»
«Tenez, monsieur, dit le cardinal au jeune homme, je vous ai pris un blanc-seing et je vous en rends un autre. Le nom manque sur ce brevet: vous l’écrirez vous-même.»
D’Artagnan prit le papier en hésitant et jeta les yeux dessus.
C’était une lieutenance dans les mousquetaires.
D’Artagnan tomba aux pieds du cardinal.
«Monseigneur, dit-il, ma vie est à vous; disposez-en désormais; mais cette faveur que vous m’accordez, je ne la mérite pas: j’ai trois amis qui sont plus méritants et plus dignes…
– Vous êtes un brave garçon, d’Artagnan, interrompit le cardinal en lui frappant familièrement sur l’épaule, charmé qu’il était d’avoir vaincu cette nature rebelle. Faites de ce brevet ce qu’il vous plaira. Seulement rappelez-vous que, quoique le nom soit en blanc, c’est à vous que je le donne.
– Je ne l’oublierai jamais, répondit d’Artagnan. Votre Éminence peut en être certaine.»
Le cardinal se retourna et dit à haute voix:
«Rochefort!»
Le chevalier, qui sans doute était derrière la porte entra aussitôt.
«Rochefort, dit le cardinal, vous voyez M. d’Artagnan; je le reçois au nombre de mes amis; ainsi donc que l’on s’embrasse et que l’on soit sage si l’on tient à conserver sa tête.
Rochefort et d’Artagnan s’embrassèrent du bout des lèvres; mais le cardinal était là, qui les observait de son œil vigilant.
Ils sortirent de la chambre en même temps.
«Nous nous retrouverons, n’est-ce pas, monsieur?
– Quand il vous plaira, fit d’Artagnan.
– L’occasion viendra, répondit Rochefort.
– Hein?» fit Richelieu en ouvrant la porte.
Les deux hommes se sourirent, se serrèrent la main et saluèrent Son Éminence.
«Nous commencions à nous impatienter, dit Athos.
– Me voilà, mes amis! répondit d’Artagnan, non seulement libre, mais en faveur.