Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Une grande agitation régnait parmi les nôtres. Les événements de la nuit précédente les avaient stupéfiés, et ils se sentaient inquiets. À quelles conséquences inattendues avait abouti le scandale systématiquement organisé par eux, mais qui, dans leur pensée, ne devait pas dépasser les proportions d’un simple boucan! L’incendie du Zariétchié, l’assassinat des Lébiadkine, le meurtre de Lisa, c’étaient là autant de surprises qu’ils n’avaient pas prévues dans leur programme. Ils accusaient hautement de despotisme et de dissimulation la main qui les avait fait mouvoir. Bref, en attendant Pierre Stépanovitch, tous s’excitaient mutuellement à réclamer de lui une explication catégorique; si cette fois encore ils ne pouvaient l’obtenir, eh bien, ils se dissoudraient, sauf à remplacer le quinquévirat par une nouvelle société secrète, fondée, celle-ci, sur des principes égalitaires et démocratiques. Lipoutine, Chigaleff et l’homme versé dans la connaissance du peuple se montraient surtout partisans de cette idée; Liamchine, silencieux, semblait approuver tacitement. Virguinsky hésitait; sur sa proposition, on convint d’entendre d’abord Pierre Stépanovitch; mais celui-ci n’apparaissait toujours pas, et ce sans gêne contribuait encore à irriter les esprits. Erkel servait ses hôtes sans proférer une parole; pour plus de sûreté, l’enseigne était allé lui-même chercher le thé chez ses logeuses au lieu de le faire monter par la servante.
Pierre Stépanovitch n’arriva qu’à huit heures et demie. D’un pas rapide il s’avança vers la table ronde qui faisait face au divan sur lequel la compagnie avait pris place; il garda à la main son bonnet fourré et refusa le thé qu’on lui offrit. Sa physionomie était courroucée, dure et hautaine. Sans doute, il lui avait suffi de jeter les yeux sur les nôtres pour deviner la révolte qui grondait au fond de leurs âmes.
– Avant que j’ouvre la bouche, dites ce que vous avez sur le cœur, commença-t-il en regardant autour de lui avec un sourire fielleux.
Lipoutine prit la parole au nom de tous, et, d’une voix tremblante de colère, il déclara que «si l’on continuait ainsi, on se briserait le front». Oh! ils ne redoutaient nullement cette éventualité, ils étaient même tout prêts à l’affronter, mais seulement pour l’œuvre commune (mouvement et approbation). En conséquence, on devait être franc avec eux et leur dire toujours d’avance où on les conduisait, «autrement, qu’arriverait-il?» (Nouveau mouvement, quelques sons gutturaux.) Une pareille manière de procéder était pour eux aussi humiliante que dangereuse… «Ce n’est pas du tout que nous ayons peur, acheva l’orateur, – mais si un seul agit et fait manœuvrer les autres comme de simples pions, les erreurs d’un seul causeront la perte de tous.» (Cris: Oui, oui! Assentiment général.)
– Le diable m’emporte, qu’est-ce qu’il vous faut donc?
– Et quel rapport les petites intrigues de monsieur Stavroguine ont-elles avec l’œuvre commune? répliqua violemment Lipoutine. – Qu’il appartienne d’une façon occulte au centre, si tant est que ce centre fantastique existe réellement, c’est possible, mais nous ne voulons pas savoir cela. Le fait est qu’un assassinat a été commis et que l’éveil est donné à la police; en suivant le fil on arrivera jusqu’à notre groupe.
– Vous vous perdrez avec Stavroguine, et nous nous perdrons avec vous, ajouta l’homme qui connaissait le peuple.
– Et sans aucune utilité pour l’œuvre commune, observa tristement Virguinsky.
– Quelle absurdité! L’assassinat est un pur accident, Fedka a tué pour voler.
– Hum! Pourtant il y a là une coïncidence étrange, remarqua aigrement Lipoutine.
– Eh bien, si vous voulez que je vous le dise, c’est par votre propre fait que cela est arrivé.
– Comment, par notre fait?
– D’abord vous, Lipoutine, avez vous-même pris part à cette intrigue, ensuite et surtout on vous avait ordonné d’expédier Lébiadkine à Pétersbourg, et l’on vous avait remis de l’argent à cet effet; or, qu’avez-vous fait? Si vous vous étiez acquitté de votre tâche, cela n’aurait pas eu lieu.
– Mais n’avez-vous pas vous-même émis l’idée qu’il serait bon de laisser Lébiadkine lire ses vers?
– Une idée n’est pas un ordre. L’ordre, c’était de le faire partir.
– L’ordre! Voilà un mot assez étrange… Au contraire, s’il n’est pas parti, c’est précisément en vertu d’un contrordre que vous avez donné.
– Vous vous êtes trompé et vous avez fait une sottise en même temps qu’un acte d’indiscipline. Quant au meurtre, c’est l’œuvre de Fedka, et il a agi seul, dans un but de pillage. Vous avez entendu raconter des histoires et vous les avez crues. La peur vous a pris. Stavroguine n’est pas si bête, et la preuve, c’est qu’il est parti à midi, après avoir vu le vice-gouverneur; si les bruits qui courent avaient le moindre fondement, on ne l’aurait pas laissé partir en plein jour pour la capitale.
– Mais nous sommes loin d’affirmer que monsieur Stavroguine personnellement ait assassiné, reprit d’un ton caustique Lipoutine, – il a pu même ignorer la chose, tout comme moi; vous savez fort bien vous-même que je n’étais au courant de rien, quoique je me sois fourré là dedans comme un mouton dans la marmite.
– Qui donc accusez-vous? demanda Pierre Stépanovitch en le regardant d’un air sombre.
– Ceux qui ont besoin de brûler les villes.
– Le pire, c’est que vous vous esquivez par la tangente. Du reste, voulez-vous lire ceci et le montrer aux autres? C’est seulement pour votre édification.
Il tira de sa poche la lettre anonyme que Lébiadkine avait écrite à Lembke et la tendit à Lipoutine. Celui-ci la lut avec un étonnement visible, et, pensif, la donna à son voisin; la lettre eut bientôt fait le tour de la société.
– Est-ce, en effet, l’écriture de Lébiadkine? questionna Chigaleff.
– Oui, c’est son écriture, déclarèrent Lipoutine et Tolkatchenko (celui qui connaissait le peuple).
– J’ai seulement voulu vous édifier, voyant combien vous étiez sensible au sort de Lébiadkine, répéta Pierre Stépanovitch; – ainsi, messieurs, continua-t-il après avoir repris la lettre, – un Fedka, sans s’en douter, nous débarrasse d’un homme dangereux. Voilà ce que fait parfois le hasard! N’est-ce pas que c’est instructif?
Les membres échangèrent entre eux un rapide regard.
– Et maintenant, messieurs, c’est à mon tour de vous interroger, poursuivit avec dignité Pierre Stépanovitch. – Puis-je savoir pourquoi vous avez cru devoir brûler la ville sans y être autorisés?
– Comment? Quoi? C’est nous, nous qui avons brûlé la ville? Voilà une idée de fou! s’écrièrent les interpellés.
– Je comprends que vous ayez voulu vous amuser, continua sans s’émouvoir Pierre Stépanovitch, – mais il ne s’agit pas, dans l’espèce, des petits scandales qui ont égayé la fête de Julie Mikhaïlovna. Je vous ai convoqués ici pour vous révéler la gravité du danger que vous avez si bêtement attiré sur vous et qui menace bien autre chose encore que vos personnes.