Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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Nicolas Vsévolodovitch comprit ce langage qui aurait peut-être été incompréhensible pour tout autre. Chatoff avait été fort étonné en entendant Stavroguine lui dire qu’il y avait de l’enthousiasme chez Pierre Stépanovitch.
– Pour le moment laissez-moi et allez-vous-en au diable, mais d’ici à demain j’aurai pris une résolution. Venez demain.
– Oui? C’est: oui?
– Est-ce que je sais?… Allez au diable, au diable!
Et il sortit de la salle.
– Après tout, cela vaut peut-être encore mieux, murmura à part soi Pierre Stépanovitch en remettant son revolver dans sa poche.
III
Il n’eut pas de peine à rattraper Élisabeth Nikolaïevna, qui n’était encore qu’à quelques mètres de la maison. Alexis Égorovitch, en frac et sans chapeau, la suivait à un pas de distance. Il avait pris une attitude respectueuse et suppliait instamment la jeune fille d’attendre la voiture; le vieillard était fort ému, il pleurait presque.
– Va-t-en, ton maître demande du thé, il n’y a personne pour le servir, dit Pierre Stépanovitch au domestique, et, après l’avoir ainsi renvoyé, il prit sans façon le bras d’Élisabeth Nikolaïevna.
Celle-ci le laissa faire, mais elle ne semblait pas en possession de toute sa raison, la présence d’esprit ne lui était pas encore revenue.
– D’abord, vous ne devez pas aller de ce côté, commença Pierre Stépanovitch, – c’est par ici qu’il faut prendre, au lieu de passer devant le jardin. Secondement, il est impossible, en tout cas, que vous fassiez la route à pied, il y a trois verstes d’ici chez vous, et vous êtes à peine vêtue. Si vous attendiez une minute? Mon cheval est à l’écurie, je vais le faire atteler tout de suite, vous monterez dans mon drojki, et je vous ramènerai chez vous sans que personne vous voie.
– Que vous êtes bon… dit avec sentiment Lisa.
– Laissez donc; à ma place tout homme humain en ferait autant…
Lisa regarda son interlocuteur, et ses traits prirent une expression d’étonnement.
– Ah! mon Dieu, je pensais que ce vieillard était toujours là!
– Écoutez, je suis bien aise que vous preniez la chose de cette façon, parce qu’il n’y a là qu’un préjugé stupide; puisqu’il en est ainsi, ne vaut-il pas mieux que j’ordonne tout de suite à ce vieillard de préparer la voiture? C’est l’affaire de dix minutes, nous rebrousserions chemin et nous attendrions devant le perron, hein?
– Je veux auparavant… où sont ces gens qu’on a tués?
– Allons, voilà encore une fantaisie! C’est ce que je craignais… Non, trêve de fadaises; vous n’avez pas besoin d’aller voir cela.
– Je sais où ils sont, je connais cette maison.
– Eh bien, qu’importe que vous la connaissiez? Voyez donc, il pleut, il fait du brouillard (voilà, pourtant, j’ai assumé un devoir sacré!)… Écoutez, Élisabeth Nikolaïevna, de deux choses l’une: ou vous acceptez une place dans mon drojki, alors attendez et ne bougez pas d’ici, car si nous faisons encore vingt pas, Maurice Nikolaïévitch ne manquera pas de nous apercevoir…
– Maurice Nikolaïévitch! Où? Où?
– Eh bien, si vous voulez l’aller retrouver, soit, je vous accompagnerai encore un moment et je vous montrerai où il est, mais ensuite je vous tirerai ma révérence; je ne tiens pas du tout à m’approcher de lui pour le quart d’heure.
– Il m’attend, Dieu! s’écria Lisa; elle s’arrêta soudain, et une vive rougeur colora son visage.
– Mais qu’est-ce que cela fait, du moment que c’est un homme sans préjugés? Vous savez, Élisabeth Nikolaïevna, tout cela n’est pas mon affaire, je suis tout à fait désintéressé dans la question, et vous le savez vous-même; mais en somme je vous porte de l’intérêt… Si nous nous sommes trompés sur le compte de notre «navire», s’il se trouve n’être qu’une vieille barque pourrie, bonne à démolir…
– Ah! parfait! cria Lisa.
– Parfait, dit-elle, et elle pleure. Il faut ici de la virilité. Il faut ne le céder en rien à un homme. Dans notre siècle, quand une femme… fi, diable (Pierre Stépanovitch avait peine à se débarrasser de sa pituite)! Mais surtout il ne faut rien regretter: l’affaire peut encore s’arranger admirablement. Maurice Nikolaïévitch est un homme… en un mot, c’est un homme sensible, quoique peu communicatif, ce qui, du reste, est bon aussi, bien entendu à condition qu’il soit sans préjugés…
– À merveille, à merveille! répéta la jeune fille avec un rire nerveux.
– Allons, diable… Élisabeth Nikolaïevna, reprit Pierre Stépanovitch d’un ton piqué, – moi, ce que je vous en dis, c’est uniquement dans votre intérêt… Qu’est-ce que cela peut me faire, à moi?… Je vous ai rendu service hier, j’ai déféré à votre désir, et aujourd’hui… Eh bien, tenez, d’ici l’on aperçoit Maurice Nikolaïévitch, le voilà, là-bas, il ne vous voit pas. Vous savez, Élisabeth Nikolaïevna, avez-vous lu Pauline Sax?
– Qu’est-ce que c’est?
– C’est une nouvelle; je l’ai lue quand j’étais étudiant… Le héros est un certain Sax, un riche employé qui surprend sa femme en flagrant délit d’adultère à la campagne… Allons, diable, il faut cracher là-dessus. Vous verrez qu’avant de vous avoir ramenée chez vous, Maurice Nikolaïévitch vous aura déjà adressé une demande en mariage. Il ne vous voit pas encore.
– Ah! qu’il ne me voie point! cria tout à coup Lisa comme affolée; – allons-nous-en, allons-nous-en! Dans le bois, dans la plaine!
Et elle rebroussa chemin en courant.
– Pierre Stépanovitch s’élança à sa poursuite.
– Élisabeth Nikolaïevna, quelle pusillanimité! Et pourquoi ne voulez-vous pas qu’il vous voie? Au contraire, regardez-le en face, carrément, fièrement… Si vous êtes honteuse parce que vous avez perdu votre… virginité… c’est un préjugé si arriéré… Mais où allez-vous donc, où allez-vous donc? Eh! comme elle trotte! Retournons plutôt chez Stavroguine, nous monterons dans mon drojki… Mais où allez-vous donc? Par là ce sont les champs, allons, la voilà qui tombe!…
Il s’arrêta. Lisa volait comme un oiseau, sans savoir où elle allait; déjà une distance de cinquante pas la séparait de Pierre Stépanovitch, quand elle choppa contre un petit monceau de terre et tomba. Au même instant un cri terrible retentit derrière elle. Ce cri avait été poussé par Maurice Nikolaïévitch qui, ayant vu la jeune fille s’enfuir à toutes jambes, puis tomber, courait après elle à travers champs. Aussitôt Pierre Stépanovitch battit en retraite vers la maison de Stavroguine pour monter au plus vite dans son drojki.
Mais Maurice Nikolaïévitch fort effrayé se trouvait déjà près de Lisa qui venait de se relever; il s’était penché sur elle et lui avait pris la main, qu’il tenait dans les siennes. Cette rencontre se produisant dans des conditions si invraisemblables avait ébranlé la raison du capitaine d’artillerie, et des larmes coulaient sur ses joues. Il voyait celle qu’il aimait d’un amour si respectueux courir comme une folle à travers champs, à une pareille heure, par un temps pareil, n’ayant d’autre vêtement que sa robe, cette superbe robe de la veille, maintenant fripée et couverte de boue… Sans proférer un mot, car il n’en aurait pas eu la force, il ôta son manteau et le posa en tremblant sur les épaules de Lisa. Tout à coup un cri lui échappa: il avait senti sur sa main les lèvres de la jeune fille.