Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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IV
Notre public d’au-delà de la rivière s’était surtout ému de cette circonstance que l’incendie avait été évidemment allumé par des mains criminelles. Chose remarquable, le premier cri «Au feu!» venait à peine d’être proféré que tout le monde accusait les ouvriers des Chpigouline. Maintenant on sait trop bien qu’en effet trois d’entre eux participèrent à l’incendie, mais tous les autres ont été reconnus innocents aussi bien par les tribunaux que par l’opinion publique. La culpabilité du forçat Fedka n’est pas moins bien établie que celle des trois gredins dont je viens de parler. Voilà toutes les données positives qu’on a recueillies jusqu’à présent concernant l’origine de l’incendie. Mais quel but se proposaient ces trois drôles? Ont-ils agi de leur propre initiative ou à l’instigation de quelqu’un? ce sont là des questions auxquelles maintenant encore il est impossible de répondre autrement que par des conjectures.
Allumé sur trois points et favorisé par un vent violent, le feu se propagea avec d’autant plus de rapidité que, dans cette partie de la ville, la plupart des maisons sont construites en bois (du reste, un des trois foyers de l’incendie fut éteint presque aussitôt, comme on le verra plus bas). On a cependant exagéré notre malheur dans les correspondances envoyées aux journaux de la capitale: un quart du Zariétchié, tout au plus, fut dévoré par les flammes. Notre corps de pompiers, quoique peu considérable eu égard à l’étendue et à la population de la ville, montra un courage et un dévouement au-dessus de tout éloge, mais ses efforts, même secondés, comme ils le furent, par ceux des habitants, n’auraient pas servi à grand’chose, si aux premières lueurs de l’aurore le vent n’était tombé tout à coup. Quand, une heure après avoir quitté le bal, j’arrivai sur les lieux, je trouvai l’incendie dans toute sa force. La rue parallèle à la rivière n’était qu’un immense brasier. Il faisait clair comme en plein jour. Inutile de retracer les divers détails d’un tableau que tout lecteur russe a eu bien des fois sous les yeux. Dans les péréouloks voisins de la rue en proie aux flammes régnait une agitation extraordinaire. Directement menacés par les progrès du feu, les habitants de ces ruelles se hâtaient d’opérer leur déménagement; toutefois ils ne s’éloignaient pas encore de leurs logis; après avoir transporté hors de chez eux leurs coffres et leurs lits de plume, ils s’asseyaient dessus en attendant. Une partie de la population mâle était occupée à un travail pénible: elle abattait à coups de hache les clôtures en planches et même les cabanes qui se trouvaient à proximité de l’endroit où l’incendie exerçait ses ravages. Les petits enfants réveillés en sursaut poussaient des cris auxquels se joignaient ceux des femmes qui avaient déjà réussi à déménager leurs meubles; quant aux autres, elles procédaient silencieusement, mais avec la plus grande activité, au sauvetage de leur mobilier. Au loin volaient des étincelles et des flammèches, on les éteignait autant que possible. Sur le théâtre même du sinistre s’étaient groupés quantité de gens accourus de tous les coins de la ville; les uns aidaient à combattre le feu, les autres contemplaient ce spectacle en amateurs.
Emboîtant le pas à la foule curieuse, j’arrivai, sans questionner personne, à l’endroit le plus dangereux, et là j’aperçus enfin André Antonovitch à la recherche de qui m’avait envoyé Julie Mikhaïlovna elle-même. Le gouverneur était debout sur un monceau de planches provenant d’une clôture abattue. À sa gauche, à trente pas de distance, se dressait le noir squelette d’une maison de bois presque entièrement consumée déjà: aux deux étages les fenêtres étaient remplacées par des trous béants, la toiture s’effondrait, et des flammes serpentaient encore çà et là le long des solives carbonisées. Au fond d’une cour, à vingt pas de la maison incendiée, un pavillon composé aussi de deux étages commençait à brûler et on le disputait aux flammes du mieux que l’on pouvait. À droite, des pompiers et des gens du peuple s’efforçaient de préserver un assez grand bâtiment en bois que le feu n’avait pas encore atteint, mais qui courait un danger imminent. Le visage tourné vers le pavillon, Lembke criait, gesticulait et donnait des ordres qui n’étaient exécutés par personne. Je crus remarquer que tout le monde le délaissait. Autour de lui, la foule comprenait les éléments les plus divers: à côté de la populace il y avait des messieurs, entre autres l’archiprêtre de la cathédrale. On écoutait André Antonovitch avec surprise, mais personne ne lui adressait la parole et n’essayait de l’emmener ailleurs. Pâle, les yeux étincelants, Von Lembke disait les choses les plus stupéfiantes; pour comble, il était nu-tête, ayant depuis longtemps perdu son chapeau.
– L’incendie est toujours dû à la malveillance! C’est le nihilisme! Si quelque chose brûle, c’est le nihilisme! entendis-je avec une sorte d’épouvante, quoique ce langage ne fût plus une révélation pour moi.
– Excellence, observa un commissaire de police qui se trouvait près du gouverneur, – si vous consentiez à retourner chez vous et à prendre du repos… Il y a même danger pour Votre Excellence à rester ici…
Comme je l’appris plus tard, ce commissaire de police avait été laissé par Ilia Ilitch auprès de Von Lembke avec mission expresse de veiller sur sa personne et de ne rien négliger pour le ramener chez lui; en cas de besoin urgent, il devait même employer la force, mais comment aurait-il fait pour exécuter un pareil ordre?
– Ils essuieront les larmes des sinistrés, mais ils brûleront la ville. Ce sont toujours les quatre coquins, les quatre coquins et demi. Qu’on arrête le vaurien! Il s’introduit comme un ver dans l’honneur des familles. Pour brûler les maisons, on s’est servi des institutrices. C’est une lâcheté, une lâcheté! Ah! qu’est-ce qu’il fait? cria André Antonovitch apercevant tout à coup sur le toit en partie consumé du pavillon un pompier que les flammes entouraient, – qu’on le fasse descendre, qu’on l’arrache de là! La toiture va s’effondrer sous lui, et il tombera dans le feu, éteignez-le… Qu’est-ce qu’il fait là?
– Il travaille à éteindre l’incendie, Excellence.
– C’est invraisemblable. L’incendie est dans les esprits, et non sur les toits des maisons. Tirez-le de là et ne vous occupez plus de rien! C’est le mieux, c’est le mieux! Que les choses s’arrangent comme elles pourront! Ah! qui est-ce qui pleure encore? Une vieille femme! Cette vieille crie, pourquoi l’a-t-on oubliée?
En effet, au rez-de-chaussée du pavillon se faisaient entendre les cris d’une vieille femme de quatre-vingts ans, parente du maréchal à qui appartenait l’immeuble en proie aux flammes. Mais on ne l’avait pas oubliée: elle-même, avant que l’accès de la maison soit devenu impossible, avait fait la folie d’y rentrer pour sauver un lit de plume qui se trouvait dans une petite chambre jusqu’alors épargnée par l’incendie. Sur ces entrefaites, le feu avait aussi envahi cette pièce. À demi asphyxiée par la fumée, sentant une chaleur insupportable, la malheureuse poussait des cris de terreur, tout en s’efforçant de faire passer son lit par la fenêtre. Lembke courut à son secours. Tout le monde le vit s’élancer vers la croisée, saisir le lit par un bout et le tirer à lui de toutes ses forces. Mais, dans ce moment même, une planche se détachant du toit atteignit le gouverneur au cou, et le renversa, privé de connaissance, sur le sol.
L’aube parut enfin, maussade et sombre. L’incendie perdit de sa violence; le vent cessa de souffler et fut remplacé par une petite pluie fine. J’étais déjà dans un autre endroit du Zariétchié, très éloigné de celui où avait eu lieu l’accident survenu à Lembke. Là, dans la foule, j’entendis des conversations fort étranges: on avait constaté un fait singulier. Tout à l’extrémité du quartier, il y avait dans un terrain vague, derrière des jardins potagers, une maisonnette en bois, récemment construite, qui se trouvait bien à cinquante pas des autres habitations, et c’était dans cette maison écartée que le feu avait pris en premier lieu. Vu sa situation tout à fait excentrique, elle aurait pu brûler entièrement sans mettre en danger aucune autre construction, de même qu’elle aurait été seule épargnée par un incendie dévorant tout le Zariétchié. Évidemment il s’agissait ici d’un cas isolé, d’une tentative criminelle, et non d’un accident imputable aux circonstances. Mais voici où l’affaire se corsait: la maison avait pu être sauvée, et, quand on y était entré au lever du jour, on avait eu sous les yeux le spectacle le plus inattendu. Le propriétaire de cet immeuble était un bourgeois qui habitait non loin de là, dans le faubourg; il avait couru en toute hâte à sa nouvelle maison dès qu’il y avait aperçu un commencement d’incendie, et, avec l’aide de quelques voisins, il était parvenu à éteindre le feu. Dans cette demeure logeaient un capitaine connu en ville, sa sœur et une vieille servante; or, durant la nuit, tous trois avaient été assassinés, et, selon toute évidence, dévalisés. (Le maître de police était en train de visiter le lieu du crime au moment où Lembke entreprenait le sauvetage du lit de plume.) Le matin, la nouvelle se répandit, et la curiosité attira bientôt aux abords de la maisonnette une multitude d’individus de toute condition, parmi lesquels se trouvaient même plusieurs des incendiés du Zariétchié. Il était difficile de se frayer un passage à travers une foule si compacte. On me raconta qu’on avait trouvé le capitaine couché tout habillé sur un banc avec la gorge coupée; il était sans doute plongé dans le sommeil de l’ivresse lorsque le meurtrier l’avait frappé; Lébiadkine, ajoutait-on, avait saigné «comme un bœuf»; le corps de Marie Timoféievna était tout criblé de coups de couteau et gisait sur le seuil, ce qui prouvait qu’une lutte avait eu lieu entre elle et l’assassin; la servante, dont la tête n’était qu’une plaie, devait aussi être éveillée au moment du crime. Au dire du propriétaire, Lébiadkine avait passé chez lui dans la matinée de la veille; étant en état d’ivresse, il s’était vanté de posséder beaucoup d’argent et avait montré jusqu’à deux cents roubles. Son vieux portefeuille vert avait été retrouvé vide sur le parquet, mais on n’avait touché ni à ses vêtements, ni au coffre de Marie Timoféievna, pas plus qu’on n’avait enlevé la garniture en argent de l’icône. Évidemment le voleur s’était dépêché; de plus, ce devait être un homme au courant des affaires du capitaine; il n’en voulait qu’à l’argent, et il savait où le trouver. Si le propriétaire n’était pas arrivé à temps pour éteindre l’incendie, les cadavres auraient été réduits en cendres, et dès lors il eût été fort difficile de découvrir la vérité.