Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Comment dont vous-même étiez-vous là? lui demandâmes-nous, – et comment savez-vous de science certaine qu’elle est allée à Skvorechniki?
– Je passais en cet endroit par hasard, répondit-il, – et, en apercevant Lisa, j’ai couru vers la voiture.
Et pourtant, lui si curieux, il n’avait pas remarqué qui était dans cette voiture!
– Quant à Maurice Nikolaïévitch, acheva le narrateur, – non seulement il ne s’est pas mis à la poursuite de la jeune fille, mais il n’a même pas essayé de la retenir, et il a fait taire la maréchale de la noblesse qui s’époumonait à crier: «Elle va chez Stavroguine! Elle va chez Stavroguine!»
Je ne pus me contenir plus longtemps:
– C’est toi, scélérat, qui as tout organisé! vociférai-je avec rage. – Voilà à quoi tu as employé ta matinée! Tu as été le complice de Stavroguine, c’est toi qui étais dans la voiture et qui y a fait monter Lisa… toi, toi, toi! Julie Mikhaïlovna, cet homme est votre ennemi, il vous perdra aussi! Prenez garde!
Et je sortis précipitamment de la maison.
J’en suis encore à me demander aujourd’hui comment j’ai pu alors lancer une accusation si nette à la face de Pierre Stépanovitch. Mais j’avais deviné juste: on découvrit plus tard que les choses s’étaient passées à très peu près comme je l’avais dit. En premier lieu, j’avais trouvé fort louche la façon dont il s’y était pris pour entrer en matière. Une nouvelle aussi renversante, il aurait dû, ce semble, la raconter de prime abord, dès son arrivée dans la maison; au lieu de cela, il avait fait mine de croire que nous la savions déjà, ce qui était impossible, vu le peu de temps écoulé depuis l’événement. Pour la même raison, il ne pouvait non plus avoir déjà entendu dire partout que la maréchale de la noblesse avec servi d’entremetteuse. En outre, pendant qu’il parlait, j’avais deux fois surpris sur ses lèvres le sourire malicieux du fourbe qui s’imagine en conter à des jobards. Mais peu m’importait Pierre Stépanovitch; le fait principal n’était pas douteux à mes yeux, et, en sortant de chez Julie Mikhaïlovna, je ne me connaissais plus. Cette catastrophe m’atteignait à l’endroit le plus sensible du cœur; j’avais envie de fondre en larmes et il se put même que j’aie pleuré. Je ne savais à quoi me décider. Je courus chez Stépan Trophimovitch, mais l’irritant personnage refusa encore de me recevoir. Nastasia eut beau m’assurer à voix basse qu’il était couché, je n’en crus rien. Chez Lisa, j’interrogeai les domestiques: ils me confirmèrent la fuite de leur jeune maîtresse, mais eux-mêmes n’en savaient pas plus que moi. La consternation régnait dans cette demeure; Prascovie Ivanovna avait déjà eu plusieurs syncopes, Maurice Nikolaïévitch se trouvait auprès d’elle; je ne jugeai pas à propos de le demander. En réponse à mes questions, les gens de la maison m’apprirent que dans ces derniers temps Pierre Stépanovitch était venu très souvent chez eux: il lui arrivait parfois de faire jusqu’à deux visites dans la même journée. Les domestiques étaient tristes et parlaient de Lisa avec un respect particulier; ils l’aimaient. Qu’elle fût perdue, irrévocablement perdue, – je n’en doutais pas, mais le côté psychologique de l’affaire restait incompréhensible pour moi, surtout après la scène que la jeune fille avait eue la veille avec Stavroguine. Courir la ville en quête de renseignements, m’informer auprès de personnes malveillantes que cette lamentable aventure devait réjouir, cela me répugnait, et, d’ailleurs, par égard pour Lisa, je ne l’aurais point voulu faire. Mais ce qui m’étonne, c’est que je sois allé chez Daria Pavlovna, où, du reste, je ne fus pas reçu (depuis la veille, la porte de la maison Stavroguine ne s’ouvrait pour aucun visiteur); je ne sais ce que j’aurais pu lui dire et quel motif m’avait déterminé à cette démarche. De chez Dacha, je me rendis au domicile de son frère. Je trouvai Chatoff plus sombre que jamais. Pensif et morne, il semblait faire un effort sur lui-même pour m’écouter; tandis que je parlais, il se promenait silencieusement dans sa chambrette, et je pus à peine lui arracher une parole. J’étais déjà en bas de l’escalier quand il me cria du carré: «Passez chez Lipoutine, là vous saurez tout.» Mais je n’allais pas chez Lipoutine, et je revins plus tard chez Chatoff. Je me contentai d’entre-bâiller sa porte: «N’irez-vous pas aujourd’hui chez Marie Timoféievna?» lui dis-je sans entrer. Il me répondit par des injures, et je me retirai. Je note, pour ne pas l’oublier, que, le même soir, il se rendit exprès tout au bout de la ville chez Marie Timoféievna qu’il n’avait pas vue depuis assez longtemps. Il la trouva aussi bien que possible, physiquement et moralement; Lébiadkine ivre-mort dormait sur un divan dans la première pièce. Il était alors dix heures juste. Chatoff lui-même me fit part de ces détails le lendemain, en me rencontrant par hasard dans la rue. À neuf heures passées, je me décidai à me rendre au bal. Je ne devais plus y assister en qualité de commissaire, car j’avais laissé ma rosette chez Julie Mikhaïlovna, mais j’étais curieux de savoir ce qu’on disait en ville de tous ces événements. De plus, je voulais avoir l’œil sur la gouvernante, ne dussé-je la voir que de loin. Je me reprochais fort la précipitation avec laquelle je l’avais quittée tantôt.
III
Toute cette nuit avec ces incidents absurdes aboutissant à une épouvantable catastrophe me fait encore aujourd’hui l’effet d’un affreux cauchemar, et c’est ici que ma tâche de chroniqueur devient particulièrement pénible. Il était plus de dix heures quand j’arrivai chez la maréchale de la noblesse. Malgré le peu de temps dont on disposait, la vaste salle où s’était donnée la séance littéraire avait été convertie en salle de danse, et l’on espérait y voir toute la ville. Pour moi, depuis la matinée, je ne me faisais aucune illusion à cet égard, mais l’événement dépassa mes prévisions les plus pessimistes. Pas une famille de la haute société ne vint au bal, et tous les fonctionnaires de quelque importance firent également défaut. L’abstention presque générale du public féminin donna un démenti au pronostic de Pierre Stépanovitch (sans doute celui-ci avait sciemment trompé la gouvernante): il y avait tout au plus une dame pour quatre cavaliers, et encore quelles dames! Des femmes d’officiers subalternes, d’employés de la poste et de petits bureaucrates, trois doctoresses accompagnées de leurs filles, deux ou trois représentantes de la petite propriété, les sept filles et la nièce du secrétaire dont j’ai parlé plus haut, des boutiquières, – était-ce cela qu’attendait Julie Mikhaïlovna? La moitié des marchands même restèrent chez eux. Du côté des hommes, quoique le gratin tout entier brillât par son absence, la quantité, du moins, suppléait en un certain sens à la qualité, mais l’aspect de cette foule n’avait rien de rassurant. Çà et là on apercevait bien quelques officiers fort tranquilles, venus avec leurs femmes, et plusieurs pères de famille dont la condition et les manières étaient également modestes. Tous ces humbles se trouvaient au bal en quelque sorte «par nécessité», comme disait l’un d’eux. Mais, par contre, les mauvaises têtes et les gens entrés sans billets étaient en nombre plus considérable encore que le matin; tout, à peine arrivés, se dirigeaient vers le buffet; on aurait dit que quelqu’un leur avait assigné d’avance cet endroit comme lieu de réunion. Telle fut du moins l’impression que j’éprouvai. Prokhoritch s’était installé avec tout le matériel culinaire du club dans une vaste pièce située tout au bout d’une enfilade de chambres. Je remarquai là des gens fort débraillés, des pochards encore sous l’influence d’un reste d’ivresse, des individus sortis Dieu sait d’où, des hommes étrangers à notre ville. Sans doute je n’ignorais pas que Julie Mikhaïlovna s’était proposé de donner au bal le caractère le plus démocratique: «On recevra même les bourgeois, avait-elle dit, s’il en est qui veuillent prendre un billet.» La gouvernante l’avait belle à parler ainsi dans son comité, car elle était bien sûre, vu l’extrême misère de tous nos bourgeois, que l’idée de faire la dépense d’un billet ne viendrait à l’esprit d’aucun d’eux. N’importe, tout en tenant compte des intentions démocratiques du comité, je ne pouvais comprendre comment des toilettes si négligées n’avaient pas été refusées au contrôle. Qui donc les avait laissées entrer, et dans quel but s’était-on montré si tolérant? Lipoutine et Liamchine avaient été relevés de leurs fonctions de commissaires (ils se trouvaient cependant au bal, devant figurer dans le «quadrille de la littérature»), mais, à mon grand étonnement, la rosette du premier ornait maintenant l’épaule du séminariste qui, en prenant violemment à partie Stépan Trophimovitch, avait plus que personne contribué au scandale de la matinée. Quant au commissaire nommé en remplacement de Liamchine, c’était Pierre Stépanovitch lui-même. À quoi ne pouvait-on pas s’attendre dans de pareilles conditions?