Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Je me mis à écouter ce qui se disait. Certaines idées avaient un cachet d’excentricité tout à fait singulier. Par exemple, on assurait dans un groupe que l’histoire de Lisa avec Nicolas Vsévolodovitch était l’œuvre de Julie Mikhaïlovna qui avait reçu pour cela de l’argent de Stavroguine, on allait jusqu’à spécifier la somme. La fête même, affirmait-on, n’avait pas eu d’autre but dans la pensée de la gouvernante; ainsi s’expliquait, au dire de ces gens bien informés, l’abstention de la moitié de la ville: on n’avait pas voulu venir au bal quand on avait su de quoi il retournait, et Lembke lui-même en avait été frappé au point de perdre la raison; à présent c’était un fou que sa femme «conduisait». J’entendis force rires étranges, gutturaux, sournois. Tout le monde faisait aussi d’amères critiques du bal et s’exprimait dans les termes les plus injurieux sur le compte de Julie Mikhaïlovna. En général, les conversations étaient si décousues, si confuses, si incohérentes, qu’on pouvait difficilement en dégager quelque chose de net.
Il y avait aussi au buffet des gens franchement gais, et parmi eux plusieurs dames fort aimables, de celles qui ne s’étonnent et ne s’effrayent de rien. C’étaient, pour la plupart, des femmes d’officiers, venues en compagnie de leurs maris. Chaque société s’asseyait à une table particulière où elle buvait gaiement du thé. À un moment donné, près de la moitié du public se trouva réunie au buffet.
Sur ces entrefaites, grâce aux soins du prince, trois pauvres petits quadrilles avaient été tant bien que mal organisés dans la salle blanche. Les demoiselles dansaient, et leurs parents les contemplaient avec bonheur. Mais, malgré le plaisir qu’ils éprouvaient à voir leurs filles s’amuser, beaucoup de ces gens respectables étaient décidés à filer en temps utile, c'est-à-dire avant l’ouverture du «chahut».
La conviction qu’il y aurait du chahut était dans tous les esprits. Quant aux sentiments de Julie Mikhaïlovna elle-même, il me serait difficile de les décrire. Je ne lui parlais pas, quoique je fusse assez rapproché d’elle. Je l’avais saluée en entrant, et elle ne m’avait pas remarqué (je suis persuadé que, de sa part, ce n’était pas une feinte). Son visage était maladif; son regard, bien que hautain et méprisant, errait de tous côtés avec une expression inquiète. Par un effort visiblement douloureux elle se roidissait contre elle-même, – pourquoi et pour qui? Elle aurait dû se retirer, surtout emmener son mari, et elle restait!
Il suffisait de la voir en ce moment pour deviner que ses yeux «s’étaient ouverts», et qu’elle ne nourrissait plus aucune illusion. Elle n’appelait même pas auprès d’elle Pierre Stépanovitch (celui-ci, de son côté, semblait aussi l’éviter; je l’aperçus au buffet, il était excessivement gai). Pourtant elle restait au bal et ne souffrait point qu’André Antonovitch fit un seul pas sans elle. Oh! le matin encore, comme elle eût reçu l’imprudent qui se fût permis d’émettre en sa présence le moindre doute sur la santé intellectuelle de son époux! Mais maintenant force lui était de se rendre à l’évidence. Pour moi, à première vue, l’état d’André Antonovitch me parut empiré depuis tantôt. Le gouverneur semblait inconscient, on aurait dit qu’il n’avait aucune idée du lieu où il était. Parfois il regardait tout à coup autour de lui avec une sévérité inattendue; c’est ainsi qu’à deux reprises ses yeux se fixèrent sur moi. Une fois il ouvrit la bouche, prononça quelques mots d’une voix forte et n’acheva pas sa phrase; un vieil employé, personnage fort humble, qui se trouvait par hasard à côté de lui, eut presque peur en l’entendant parler. Mais le public de la salle blanche lui-même, ce public composé en grande majorité de subalternes, s’écartait d’un air sombre et inquiet à l’approche de Julie Mikhaïlovna; en même temps, ces gens d’ordinaire si timides vis-à-vis de leurs supérieurs tenaient leurs regards attachés sur Von Lembke avec une insistance d’autant plus étrange qu’ils n’essayaient nullement de la cacher.
– J’ai été saisie en remarquant cela, et c’est alors que l’état d’André Antonovitch m’a été révélé tout à coup, – m’avoua plus tard Julie Mikhaïlovna.
Oui, elle avait commis une nouvelle faute! Tantôt, après avoir promis à Pierre Stépanovitch d’aller au bal, elle s’était, selon toute probabilité, rendue dans le cabinet d’André Antonovitch déjà complètement détraqué à la suite de la matinée littéraire, et, mettant en œuvre toutes ses séductions féminines, elle avait décidé le malheureux homme à l’accompagner. Mais combien elle devait souffrir à présent! Et pourtant elle ne voulait pas s’en aller! Était-ce par fierté qu’elle s’imposait ce supplice, ou bien avait-elle simplement perdu la tête? – Je n’en sais rien. Nonobstant son orgueil, on la voyait aborder certaines dames humblement, le sourire aux lèvres, et ces avances étaient en pure perte. Julie Mikhaïlovna n’obtenait pour toute réponse qu’un oui ou un non, tant les femmes à qui elle adressait la parole avaient hâte de s’éloigner d’elle.
Parmi nos personnages de marque, un seul assistait au bal: c’était le général en retraite que le lecteur a déjà rencontré chez la maréchale de la noblesse. Toujours digne, comme le jour où il pérorait sur le duel de Stavroguine avec Gaganoff, le vieux débris circulait dans les salons, ouvrant l’œil, tendant l’oreille, et cherchant à se donner toutes les apparences d’un homme venu là pour étudier les mœurs plutôt que pour s’amuser. À la fin, il s’empara de la gouvernante et ne la lâcha plus. Évidemment il voulait la réconforter par sa présence et ses paroles. C’était à coup sûr un fort bon homme, très distingué de manières, et trop âgé pour que sa pitié même pût offenser. Il était néanmoins extrêmement pénible à Julie Mikhaïlovna de se dire que cette vieille baderne osait avoir compassion d’elle et se constituait en quelque sorte son protecteur. Cependant le général bavardait sans interruption.
– Une ville ne peut subsister, dit-on, que si elle possède sept justes… je crois que c’est sept, je ne me rappelle pas positivement le chiffre. Parmi les sept justes avérés que renferme notre ville, combien ont l’honneur de se trouver à votre bal? je l’ignore, mais, malgré leur présence, je commence à me sentir un peu inquiet. Vous me pardonnerez, charmante dame, n’est-ce pas? Je parle al-lé-go-ri-quement, mais je suis allé au buffet, et, ma foi! je trouve que notre excellent Prokhoritch n’est pas là à sa place: il pourrait bien être razzié d’ici à demain matin. Du reste, je plaisante. J’attends seulement le «quadrille de la littérature», je tiens à savoir ce que ce sera, ensuite j’irai me coucher. Pardonnez à un vieux podagre, je me couche de bonne heure, et je vous conseillerais aussi d’aller «faire dodo», comme on dit aux enfants. Je suis venu pour les jeunes beautés… que votre bal m’offrait une occasion unique de voir en aussi grand nombre… Elles habitent toutes de l’autre côté de l’eau, et je ne vais jamais par là. La femme d’un officier… de chasseurs, paraît-il… elle n’est pas mal du tout et… ces fillettes sont fraîches aussi, mais voilà tout; elles n’ont pour elles que la fraîcheur. Du reste, leur vue n’est pas désagréable. Ce sont des fleurs en boutons; malheureusement les lèvres sont grosses. En général, chez les femmes russes, la beauté du visage laisse à désirer sous le rapport de la correction… Tant que dure la première jeunesse, pendant deux ans, même trois, ces petits minois sont ravissants, mais ensuite ils se fanent, d’où chez les maris ce triste indifférentisme qui contribue tant au développement de la question des femmes… si toutefois je comprends bien cette question… Hum. La salle est belle; les chambres ne sont pas mal meublées. Cela pourrait être pire. La musique pourrait être beaucoup moins bonne… je ne dis pas qu’elle devrait l’être. Le coup d’œil n’est pas joli: cela manque de femmes. Quant aux toilettes, je n’en parle pas. Je trouve mauvais que ce monsieur en pantalon gris se permette de cancaner avec un tel sans gêne. Je lui pardonne, si c’est la joie qui lui fait oublier les convenances; d’ailleurs, comme il est pharmacien ici… n’importe, danser le cancan avant onze heures, c’est commencer un peu tôt, même pour un pharmacien… Là-bas, au buffet, deux hommes se sont battus à coups de poing, et on ne les a pas mis à la porte. Avant onze heures, on doit expulser les querelleurs, quelles que soient les mœurs du public… passé deux heures du matin, je ne dis pas: il y aura lieu alors de faire des concessions aux habitudes régnantes, – à supposer que ce bal dure jusqu’à deux heures du matin. Barbara Pétrovna avait promis d’envoyer des fleurs, et elle n’a pas tenu parole. Hum, il s’agit bien de fleurs pour elle maintenant, pauvre mère! Et la pauvre Lisa, vous avez entendu parler de la chose? C’est, dit-on, une histoire mystérieuse et… et voilà encore Stavroguine sur la cimaise… Hum. J’irais volontiers me coucher, je n’en puis plus. À quand donc ce «quadrille de la littérature»?