Fernande
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La baronne de Barth?le attend son vieil ami et amant le comte de Montgiroux, pair de France. Son fils Maurice, mari? ? la ni?ce du comte, se meurt de fi?vre c?r?brale. Sur la suggestion du m?decin de Maurice, la baronne a accept? de faire venir ? son ch?teau Mme Ducoudray qui pourrait apaiser la fi?vre du mourant. ? son arriv?e, la dame apprend le but de sa visite, sauver Maurice – Maurice, pr?nom qui ne lui est pas inconnu. Le comte d?couvre lui que Mme Ducoudray n'autre que Fernande,la courtisane qu’il a pris pour ma?tresse. Arrive ensuite Mme de Neuilly, parente de la baronne, veuve envieuse qui reconna?t en Fernande une ancienne pensionnaire d’orphelinat et qui voudrait bien savoir comment elle s'y est pris pour faire ce riche mariage avec M. Ducoudray. Elle r?v?le que Fernande est de sang noble, fille de la famille de Mormant. Par son entremise, Fernande apprend ? son tour que Maurice est en fait le fils du baron…
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– Oui, s’écria Maurice, oui, je sais tout cela; mais Clotilde est une statue; Clotilde est une enfant sans passions, Clotilde n’aime pas.
Il sembla à Fernande qu’elle entendait un second gémissement. Elle regarda de nouveau autour d’elle, mais, comme elle ne vit personne, et que d’ailleurs, la situation l’emportait, elle reprit:
– Tout cela était vrai hier, Maurice, tout cela est faux aujourd’hui.
– Que voulez-vous dire? s’écria le jeune homme.
– Que depuis hier, la statue s’est animée; que depuis hier l’enfant est devenue femme, et que la femme est devenue jalouse.
– Jalouse! Clotilde, jalouse! reprit Maurice avec un accent qui n’était pas exempt d’amertume, tant l’amour-propre est un sentiment profondément enraciné dans le cœur de l’homme! Certes, si Clotilde est jalouse, ce n’est point de moi.
– Vous vous trompez, Maurice, c’est de vous, et remerciez Dieu que ce sentiment soit né chez elle d’hier seulement; car qui sait, Maurice, si son cœur eût ressenti depuis trois mois ce qu’il éprouve depuis hier, quels malheurs irréparables pouvaient en résulter pour vous?
– Que voulez-vous dire? demanda Maurice. Expliquez vous, Fernande, car je ne vous comprends pas.
– Mon Dieu! dit Fernande, quel étrange aveuglement est celui des hommes! Vous ne comprenez pas, Maurice, qu’une femme jeune, belle et délaissée…
– Fernande, s’écria Maurice, soupçonneriez-vous Clotilde?
– Non, certes, et Dieu m’en garde, répondit la jeune fille.
Puis, comme Maurice demeurait le sourcil froncé.
– Écoutez-moi bien, mon ami, dit-elle, ce que j’ai à vous dire touche un point délicat à traiter; mais on m’a fait pénétrer malgré moi dans votre maison, j’y suis pour y apporter le calme, et, si je le puis, le bonheur à tout le monde. Laissez-moi donc entrer jusque dans le sanctuaire de votre famille. Maurice, votre honneur m’est cher; je veux que, comme par le passé, il soit dans l’avenir, sinon à l’abri de toute atteinte, du moins pur de tout soupçon. Eh bien! votre honneur, Maurice, vous l’avez imprudemment exposé, comme un joueur insensé expose sa fortune sur un coup de dé.
Le jeune homme releva la tête à ces paroles, et son regard étincela. Fernande avait visé au cœur et avait touché juste; elle le vit et s’en félicita en elle-même.
– Fernande, dit Maurice, que signifie ce langage? Parlez. Aviez-vous quelque chose à m’apprendre? Vous parliez de Clotilde; songez-y, vous parliez de la femme qui porte mon nom.
– Oui, je vous parlais d’elle, Maurice, et je me hâte de vous le dire, l’ombre d’une mauvaise pensée n’a pas encore obscurci son front. Mais savez-vous si votre délaissement n’eût pas altéré bientôt la pureté de son âme, si peu à peu ce nuage d’innocence qui l’entoure, comme cette vapeur dont s’enveloppaient les déesses antiques pour se rendre invisibles au regard des hommes, ne se fût pas dissipé au souffle des suggestions intérieures? La jalousie est mauvaise conseillère, Maurice. Justifiée qu’elle était par votre exemple, peut-être eût-elle fini par envisager la vertu comme une duperie, et le crime comme la justice des représailles.
– Oh! de pareilles idées ne seraient jamais venues à Clotilde, s’écria Maurice.
– Oui; mais quand ces idées ne viennent pas aux femmes délaissées trop jeunes pour les concevoir d’elles-mêmes, croyez-moi, Maurice, il y a toujours quelqu’un qui les leur fait venir.
– Fernande! Fernande! s’écria Maurice, prenez garde! je jette en ce moment les yeux autour de moi, et je cherche l’homme que vous voulez dire.
– Vous vous trompez, Maurice, reprit vivement Fernande qui craignait que Maurice ne se laissât emporter plus loin qu’elle ne voulait le conduire. Je n’ai eu l’intention de désigner personne, j’ai parlé par hypothèse, j’ai raisonné sur des généralités.
– Oh! reprit Maurice, malheur à celui qui aurait conçu même une espérance! car je vous jure, Fernande, que cette espérance, s’il ne l’avait pas renfermée au plus profond de son cœur, il la payerait de sa vie.
– Mais vous l’oubliez, Maurice, l’homme que vous menacez, c’est vous-même; le coupable, c’est vous et pas un autre. Il en sera donc toujours ainsi, et votre égoïsme, à vous autres hommes, vous empêchera donc de juger sainement les situations que vous faites. Vous si droit, si loyal, Maurice, est-il possible que dans un seul cas vous ne compreniez pas votre injustice! Comment, vous voulez exiger de votre femme l’observation des lois que vous avez enfreintes, des vertus que vous aviez juré solennellement d’avoir, et que vous n’avez pas su conserver, la continuité des forces qui vous manquent; et cela quand, sous l’illusion de vos droits prétendus et de votre autorité imaginaire vous marchez libre et abusant de tout! Où le contrat existe, Maurice, le privilège cesse; le lien est fait pour le mari comme pour la femme: celui qui prend sa liberté en le dénouant donne nécessairement la liberté à l’autre. Maurice, remerciez donc le ciel qu’il vous ait accordé une femme telle que, lorsqu’elle a tout à vous reprocher, vous n’ayez pas l’ombre d’un reproche à lui faire, et que, quand vous avez tout oublié, elle se soit, elle, souvenue de tout. Maurice, vous êtes privilégié en toute chose, car madame de Barthèle est digne de votre respect comme elle est digne de votre amour.
Maurice s’était soulevé sur son coude, et l’on voyait à son poing crispé, à sa respiration haletante, à ses narines dilatées, que l’impression était profonde. Fernande, heureuse d’avoir produit ce résultat et d’avoir jeté dans le cœur qui prétendait n’être plus bon qu’à mourir un nouveau ferment de vie, un principe de crainte inconnu, commença dès-lors à concevoir réellement des espérances pour l’avenir de celui qu’elle avait tant aimé. Alors, ne songeant plus qu’à la séparation éternelle à laquelle elle voulait arriver, elle continua:
– Hélas! Maurice, je vous ai fait rougir tout-à-l’heure de votre égoïsme à vous autres hommes, et cependant nous ne sommes pas meilleures que vous; je vous parle ainsi de votre femme, parce que je l’ai observée avec attention, scrutée avec persévérance. J’avais des raisons pour cela, car si j’avais eu un tort réel à vous signaler, si j’avais reconnu le moindre indice d’une faute, j’eusse gardé le silence; et peut-être, tant le principe du mal combat victorieusement en nous celui du bien, étouffant en moi de saints scrupules, repoussant de pieuses inspirations, serais-je venue vous dire: Maurice, aimons-nous, ne soyons pas meilleurs que les autres, acceptons notre bonheur dans la corruption générale, par une indulgence réciproque, quoique tacite. J’aurais ajouté, puisqu’un homme grave et haut placé dans l’estime du monde ne croyait pas commettre une faute en m’épousant, puisqu’un faiseur de lois, un architecte social, ne croyait pas commettre un crime en succédant à son fils, j’aurais ajouté: Maurice, nous pouvons mépriser le monde en le trompant; nous pouvons demander à un amour ignoré les délices de l’égoïsme, faire de nos sentiments un abri contre l’orage, et de la volupté un oubli nécessaire; vous pouvez supporter la présence de votre femme, coupable comme vous; moi, celle de tous ces hommes, dont certes pas un n’est sans reproche, le sarcasme à la bouche et le mépris au cœur. Mais, je vous le répète, je m’incline devant celle que vous nommez Clotilde, sa vertu m’impose son exemple, me relève; en la voyant innocente, je me suis rappelé mon innocence; en la voyant honorable, j’ai compris que je pouvais encore être honorée. Maurice, ce n’est pas vous qui viendrez combattre une pareille résolution, je l’espère; ce n’est pas vous qui me repousserez dans l’abîme, quand je me sens la force d’en sortir. Maurice, que je remonte aux hauteurs dont je suis descendue, appuyée sur vous; ne m’écartez pas de la seule gloire qui puisse m’être encore réservée; vous le savez, Dieu le dit: «Celui qui se repent est plus grand que celui qui n’a jamais péché.»