Les Quarante-Cinq Tome I
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Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
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XXXI Comment M. de Loignac fit une allocution aux Quarante-Cinq
Chacun des deux jeunes gens se mit à la fenêtre de son petit logis pour guetter le retour du roi.
Chacun d'eux s'y établit avec des idées bien différentes.
Sainte-Maline, tout à sa haine, tout à sa honte, tout à son ambition, le sourcil froncé, le cœur ardent.
Ernauton, oublieux déjà de ce qui s'était passé et préoccupé d'une seule chose, c'est-à-dire de ce que pouvait être cette femme qu'il avait introduite dans Paris sous un costume de page, et qu'il venait de retrouver dans une riche litière.
Il y avait là ample matière à réflexion pour un cœur plus disposé aux aventures amoureuses qu'aux calculs de l'ambition.
Aussi Ernauton s'ensevelit-il peu à peu dans ses réflexions, et cela si profondément que ce ne fut qu'en levant la tête qu'il s'aperçut que Sainte-Maline n'était plus là.
Un éclair lui traversa l'esprit. Moins préoccupé que lui, Sainte-Maline avait guetté le retour du roi; le roi était rentré, et Sainte-Maline était chez le roi.
Il se leva vivement, traversa la galerie et arriva chez le roi juste au moment où Sainte-Maline en sortait.
– Tenez, dit-il, radieux, à Ernauton, voici ce que le roi m'a donné.
Et il lui montra une chaîne d'or.
– Je vous fais mon compliment, monsieur, dit Ernauton, sans que sa voix trahît la moindre émotion.
Et il entra à son tour chez le roi.
Sainte-Maline s'attendait à quelque manifestation de jalousie de la part de M. de Carmainges. Il demeura en conséquence tout stupéfait de ce calme, attendant que Ernauton sortît à son tour.
Ernauton demeura dix minutes à peu près chez Henri: ces dix minutes furent des siècles pour Sainte-Maline.
Il sortit enfin: Sainte-Maline était à la même place; d'un regard rapide il enveloppa son compagnon, puis son cœur se dilata. Ernauton ne rapportait rien, rien de visible du moins.
– Et à vous, demanda Sainte-Maline, poursuivant sa pensée, quelle chose le roi vous a-t-il donnée, monsieur?
– Sa main à baiser, répondit Ernauton.
Sainte-Maline froissa sa chaîne entre ses mains, de manière qu'il en brisa un anneau.
Tous deux s'acheminèrent en silence vers le logis.
Au moment où ils entraient dans la salle, la trompette retentissait: à ce signal d'appel, les quarante-cinq sortirent chacun de son logis, comme les abeilles de leurs alvéoles.
Chacun se demandait ce qui était survenu de nouveau, tout en profitant de cet instant de réunion générale pour admirer le changement qui s'était opéré dans la personne et les habits de ses compagnons.
La plupart avaient affiché un grand luxe, de mauvais goût peut-être, mais qui compensait l'élégance par l'éclat.
D'ailleurs, ils avaient ce qu'avait cherché d'Épernon, assez adroit politique s'il était mauvais soldat: les uns la jeunesse, les autres la vigueur, d'autres l'expérience, et cela rectifiait chez tous au moins une imperfection.
En somme, ils ressemblaient à un corps d'officiers en habits de ville, la tournure militaire étant, à très peu d'exception près, celle qu'ils avaient le plus ambitionnée.
Ainsi, de longues épées, des éperons sonnants, des moustaches aux ambitieux crochets, des bottes et des gants de daim ou de buffle; le tout bien doré, bien pommadé ou bien enrubanné, pour paraistre, comme on disait alors, voilà la tenue d'instinct adoptée par le plus grand nombre.
Les plus discrets se reconnaissaient aux couleurs sombres; les plus avares, aux draps solides; les fringants, aux dentelles et aux satins roses ou blancs.
Perducas de Pincorney avait trouvé, chez quelque juif, une chaîne de cuivre doré, grosse comme une chaîne de prison.
Pertinax de Montcrabeau n'était que faveurs et broderies; il avait acheté son costume d'un marchand de la rue des Haudriettes, lequel avait recueilli un gentilhomme blessé par des voleurs. Le gentilhomme avait fait venir un autre vêtement de chez lui, et, reconnaissant de l'hospitalité reçue, il avait laissé au marchand son habit, quelque peu souillé de fange et de sang; mais le marchand avait fait détacher l'habit, qui était demeuré fort présentable: restaient bien deux trous, traces de deux coups de poignard; mais Pertinax avait fait broder d'or ces deux endroits, ce qui remplaçait un défaut par un ornement.
Eustache de Miradoux ne brillait pas; il lui avait fallu habiller Lardille, Militor et les deux enfants. Lardille avait choisi un costume aussi riche que les lois somptuaires permettaient aux femmes de le porter à cette époque; Militor s'était couvert de velours et de damas, s'était orné d'une chaîne d'argent, d'un toquet à plumes et de bas brodés; de sorte qu'il n'était plus resté au pauvre Eustache qu'une somme à peine suffisante pour n'être pas déguenillé.
M. de Chalabre avait conservé son pourpoint gris de fer, qu'un tailleur avait rafraîchi et doublé à neuf: quelques bandes de velours habilement semées ça et là donnaient un relief nouveau à ce vêtement inusable. M. de Chalabre prétendait qu'il n'avait pas demandé mieux que de changer de pourpoint; mais que, malgré les recherches les plus minutieuses, il lui avait été impossible de trouver un drap mieux fait et plus avantageux.
Du reste, il avait fait la dépense d'un haut-de-chausse ponceau, de bottes, manteau et chapeau; le tout harmonieux à l'œil, comme cela arrive toujours dans le vêtement de l'avare.
Quant à ses armes, elles étaient irréprochables; vieil homme de guerre, il avait su trouver une excellente épée espagnole, une dague du bon faiseur et un hausse-col parfait.
C'était encore une économie de cols godronnés et de fraises.
Ces messieurs s'admiraient donc réciproquement quand M. de Loignac entra, le sourcil froncé. Il fit former le cercle et se plaça au milieu de ce cercle, avec une contenance qui n'annonçait rien d'agréable.
Il est inutile de dire que tous les yeux se fixèrent sur le chef.
– Messieurs, demanda-t-il, êtes-vous tous ici?
– Tous, répondirent quarante-cinq voix, avec un ensemble plein de promesses pour les manœuvres à venir.
– Messieurs, continua Loignac, vous avez été mandés ici pour servir de garde particulière au roi; c'est un titre honorable, mais qui engage beaucoup.
Loignac fit une pause qui fut occupée par un doux murmure de satisfaction.
– Cependant plusieurs d'entre vous me paraissent n'avoir point parfaitement compris leurs devoirs; je vais les leur rappeler.
Chacun tendit l'oreille: il était évident que l'on était ardent à connaître ses devoirs, sinon empressé à les accomplir.