Les Quarante-Cinq Tome I
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Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
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– Parce que je ne le comprends pas.
– Vous me cherchez querelle, n'est-ce pas? dit flegmatiquement Ernauton; tant pis pour vous.
– Et à quel propos vous chercherais-je querelle? est-ce que je vous connais, moi? riposta dédaigneusement Sainte-Maline.
– Vous me connaissez parfaitement, monsieur, dit Ernauton. D'abord, parce que là-bas d'où nous venons, ma maison est à deux lieues de la vôtre, et que je suis connu dans le pays, étant de vieille souche; ensuite, parce que vous êtes furieux de me voir à Paris, quand vous croyiez y avoir été mandé seul; en dernier lieu, parce que le roi m'a donné sa lettre à porter.
– Eh bien! soit, s'écria Sainte-Maline blême de fureur, j'accepte tout cela pour vrai. Mais il en résulte une chose…
– Laquelle?
– C'est que je me trouve mal près de vous.
– Allez-vous-en si vous voulez; pardieu! ce n'est pas moi qui vous retiens.
– Vous faites semblant de ne me point comprendre.
– Au contraire, monsieur, je vous comprends à merveille. Vous aimeriez assez à me prendre la lettre pour la porter vous-même, malheureusement il faudrait me tuer pour cela.
– Qui vous dit que je n'en ai pas envie?
– Désirer et faire sont deux.
– Descendez avec moi jusqu'au bord de l'eau seulement, et vous verrez si, pour moi, désirer et faire sont plus d'un.
– Mon cher monsieur, quand le roi me donne à porter une lettre…
– Eh bien?
– Eh bien, je la porte.
– Je vous l'arracherai de force, fat que vous êtes!
– Vous ne me mettrez pas, je l'espère, dans la nécessité de vous casser la tête comme à un chien sauvage?
– Vous?
– Sans doute, j'ai un grand pistolet, et vous n'en avez pas.
– Ah! tu me paieras cela! dit Sainte-Maline, en faisant faire un écart à son cheval.
– Je l'espère bien; après ma commission faite.
– Schelme!
– Pour ce moment observez-vous, je vous en supplie, monsieur de Sainte-Maline! car nous avons l'honneur d'appartenir au roi, et nous donnerions mauvaise opinion de la maison, en ameutant le peuple. Et puis, songez quel triomphe pour les ennemis de Sa Majesté, en voyant la discorde parmi les défenseurs du trône.
Sainte-Maline mordait ses gants; le sang coulait sous sa dent furibonde.
– Là, là, monsieur, dit Ernauton, gardez vos mains pour tenir l'épée quand nous y serons.
– Oh! j'en crèverai! cria Sainte-Maline.
– Alors ce sera une besogne toute faite pour moi, dit Ernauton.
On ne peut savoir où serait allée la rage toujours croissante de Sainte-Maline, quand tout à coup Ernauton, en traversant la rue Saint-Antoine, près de Saint-Paul, vit une litière, poussa un cri de surprise et s'arrêta pour regarder une femme à demi voilée.
– Mon page d'hier! murmura-t-il.
La dame n'eut pas l'air de le reconnaître et passa sans sourciller, mais en se rejetant cependant au fond de sa litière.
– Cordieu! vous me faites attendre, je crois, dit Sainte-Maline, et cela pour regarder des femmes!
– Je vous demande pardon, monsieur, dit Ernauton en reprenant sa course.
Les jeunes gens, à partir de ce moment, suivirent au grand trot la rue du Faubourg-Saint-Marceau: ils ne se parlaient plus, même pour quereller.
Sainte-Maline paraissait assez calme extérieurement; mais, en réalité, tous les muscles de son corps frémissaient encore de colère.
En outre, il avait reconnu, et cette découverte ne l'avait aucunement adouci, comme on le comprendra facilement; en outre, il avait reconnu que, tout bon cavalier qu'il était, il ne pourrait dans aucun cas donné suivre Ernauton, son cheval étant fort inférieur à celui de son compagnon, et suant déjà sans avoir couru.
Cela le préoccupait fort; aussi, comme pour se rendre positivement compte de ce que pourrait faire sa monture, la tourmentait-il de la houssine et de l'éperon.
Cette insistance amena une querelle entre son cheval et lui. Cela se passait aux environs de la Bièvre. La bête ne se mit point en frais d'éloquence, comme avait fait Ernauton; mais, se souvenant de son origine (elle était Normande), elle fit à son cavalier un procès que celui-ci perdit.
Elle débuta par un écart, puis se cabra, puis fit un saut de mouton et se déroba jusqu'à la Bièvre où elle se débarrassa de son cavalier, en roulant avec lui jusque dans la rivière, où ils se séparèrent.
On eût entendu d'une lieue les imprécations de Sainte-Maline, quoiqu'à moitié étouffées par l'eau. Quand il fut parvenu à se mettre sur ses jambes, les yeux lui sortaient de la tête, et quelques gouttes de sang, coulant de son front écorché, sillonnaient sa figure.
Moulu comme il l'était, couvert de boue, trempé jusqu'aux os, tout saignant et tout contusionné, Sainte-Maline comprenait l'impossibilité de rattraper sa bête; l'essayer même était une tentative ridicule.
Ce fut alors que les paroles qu'il avait dites à Ernauton lui revinrent à l'esprit: s'il n'avait pas voulu attendre son compagnon une seconde rue Saint-Antoine, pourquoi son compagnon aurait-il l'obligeance de l'attendre une ou deux heures sur la route?
Cette réflexion conduisit Sainte-Maline de la colère au plus violent désespoir, surtout lorsqu'il vit, du fond de son encaissement, le silencieux Ernauton piquer des deux en obliquant par quelque chemin qu'il jugeait sans doute le plus court.
Chez les hommes véritablement irascibles, le point culminant de la colère est un éclair de folie, quelques-uns n'arrivent qu'au délire; d'autres vont jusqu'à la prostration totale des forces et de l'intelligence.
Sainte-Maline tira machinalement son poignard; un instant il eut l'idée de se le planter jusqu'à la garde dans la poitrine. Ce qu'il souffrit en ce moment, nul ne pourrait le dire, pas même lui. On meurt d'une pareille crise, ou, si on la supporte, on y vieillit de dix ans.
Il remonta le talus de la rivière, s'aidant de ses mains et de ses genoux jusqu'à ce qu'il fût arrivé au sommet: arrivé là, son œil égaré interrogea la route; on n'y voyait plus rien. À droite, Ernauton avait disparu, se portant sans doute en avant; au fond, son propre cheval était disparu également.
Tandis que Sainte-Maline roulait dans son esprit exaspéré mille pensées sinistres contre les autres et contre lui-même, le galop d'un cheval retentit à son oreille, et il vit déboucher de cette route de droite, choisie par Ernauton, un cheval et un cavalier.