La Mare Au Diable
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La Mare au Diable est un lieu maudit o? souffle l'angoisse. Pr?s d'elle se d?roule toute l'histoire. Un paysan, veuf avec ses enfants, cherche femme. Qui ?pousera-t-il? celle qu'on lui a promise, ou une pauvre paysanne, harcel?e par son patron? Cette petite Marie est l'?me d'un paysage de r?ve, et l'embl?me de l'enfance ?ternelle. Un roman d'amour, mais travers? par le cri des chiens fous, la nu?e sanglotante des oiseaux, le fossoyeur ?pileptique. La voix de la terre s'y accorde avec celle de l'Ame enfantine: George Sand y parle avec force du sol natal et des premiers souvenirs.
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À l’offrande, Germain mit, selon l’usage, le treizain, c’est-à-dire treize pièces d’argent, dans la main de sa fiancée. Il lui passa au doigt une bague d’argent, d’une forme invariable depuis des siècles, mais que l’alliance d’or a remplacée désormais. Au sortir de l’église, Marie lui dit tout bas: Est-ce bien la bague que je souhaitais? celle que je vous ai demandée, Germain?
– Oui, répondit-il, celle que ma Catherine avait au doigt lorsqu’elle est morte. C’est la même bague pour mes deux mariages.
– Je vous remercie, Germain, dit la jeune femme d’un ton sérieux et pénétré. Je mourrai avec, et si c’est avant vous, vous la garderez pour le mariage de votre petite Solange.
IV. Le chou
On remonta à cheval et on revint très vite à Belair. Le repas fut splendide et dura, entremêlé de danses et de chants, jusqu’à minuit. Les vieux ne quittèrent point la table pendant quatorze heures. Le fossoyeur fit la cuisine et la fit fort bien. Il était renommé pour cela et il quittait ses fourneaux pour venir danser et chanter entre chaque service. Il était épileptique pourtant, ce pauvre père Bontemps! Qui s’en serait douté? Il était frais, fort et gai comme un jeune homme. Un jour nous le trouvâmes comme mort, tordu par son mal dans un fossé, à l’entrée de la nuit. Nous le rapportâmes chez nous dans une brouette et nous passâmes la nuit à le soigner. Trois jours après il était de noce, chantait comme une grive et sautait comme un cabri, se trémoussant à l’ancienne mode. En sortant d’un mariage, il allait creuser une fosse et clouer une bière. Il s’en acquittait pieusement, et quoiqu’il n’y parût point ensuite à sa belle humeur, il en conservait une impression sinistre qui hâtait le retour de son accès. Sa femme, paralytique, ne bougeait de sa chaise depuis vingt ans. Sa mère en a cent quatre et vit encore. Mais lui, le pauvre homme, si gai, si bon, si amusant, il s’est tué l’an dernier en tombant de son grenier sur le pavé. Sans doute, il était en proie au fatal accès de son mal et, comme d’habitude, il s’était caché dans le foin pour ne pas effrayer et affliger sa famille. Il termina ainsi, d’une manière tragique, une vie étrange comme lui-même, un mélange de choses lugubres et folles, terribles et riantes, au milieu desquelles son cœur était toujours resté bon et son caractère aimable.
Mais nous arrivons à la troisième journée des noces, qui est la plus curieuse, et qui s’est maintenue dans toute sa rigueur jusqu’à nos jours. Nous ne parlerons pas de la rôtie que l’on porte au lit nuptial; c’est un assez sot usage qui fait souffrir la pudeur de la mariée et tend à détruire celle des jeunes filles qui y assistent. D’ailleurs je crois que c’est un usage de toutes les provinces, et qui n’a chez nous rien de particulier.
De même que la cérémonie des livrées est le symbole de la prise de possession du cœur et du domicile de la mariée, celle du chou est le symbole de la fécondité de l’hymen. Après le déjeuner du lendemain de noces commence cette bizarre représentation d’origine gauloise mais qui, en passant par le christianisme primitif, est devenue peu à peu une sorte de mystère ou de moralité bouffonne du moyen âge.
Deux garçons (les plus enjoués et les mieux disposés de la bande) disparaissent pendant le déjeuner, vont se costumer et enfin reviennent escortés de la musique, des chiens, des enfants et des coups de pistolet. Ils représentent un couple de gueux, mari et femme, couverts des haillons les plus misérables. Le mari est le plus sale des deux: c’est le vice qui l’a ainsi dégradé; la femme n’est que malheureuse et avilie par les désordres de son époux.
Ils s’intitulent le jardinier et la jardinière, et se disent préposés à la garde et à la culture du chou sacré. Mais le mari porte diverses qualifications qui toutes ont un sens. On l’appelle indifféremment le pailloux, parce qu’il est coiffé d’une perruque de paille et de chanvre, et que, pour cacher sa nudité mal garantie par ses guenilles, il s’entoure les jambes et une partie du corps de paille. Il se fait aussi un gros ventre ou une bosse avec de la paille ou du foin cachés sous sa blouse. Le peilloux, parce qu’il est couvert de peille (de guenilles). Enfin, le païen, ce qui est plus significatif encore, parce qu’il est censé, par son cynisme et ses débauches, résumer en lui l’antipode de toutes les vertus chrétiennes.
Il arrive, le visage barbouillé de suie et de lie de vin, quelquefois affublé d’un masque grotesque. Une mauvaise tasse de terre ébréchée, ou un vieux sabot, pendu à sa ceinture par une ficelle, lui sert à demander l’aumône du vin. Personne ne lui refuse et il feint de boire, puis il répand le vin par terre, en signe de libation. À chaque pas, il tombe, il se roule dans la boue; il affecte d’être en proie à l’ivresse la plus honteuse. Sa pauvre femme court après lui, le ramasse, appelle au secours, arrache les cheveux de chanvre qui sortent en mèches hérissées de sa cornette immonde, pleure sur l’abjection de son mari et lui fait des reproches pathétiques.
– Malheureux! lui dit-elle, vois où nous a réduits ta mauvaise conduite! J’ai beau filer, travailler pour toi, raccommoder tes habits! tu te déchires, tu te souilles sans cesse. Tu m’as mangé mon pauvre bien, nos six enfants sont sur la paille, nous vivons dans une étable avec les animaux; nous voilà réduits à demander l’aumône, et encore tu es si laid, si dégoûtant, si méprisé, que bientôt on nous jettera le pain comme à des chiens. Hélas! mes pauvres mondes (mes pauvres gens), ayez pitié de nous! ayez pitié de moi! Je n’ai pas mérité mon sort, et jamais femme n’a eu un mari plus malpropre et plus détestable. Aidez-moi à le ramasser, autrement les voitures l’écraseront comme un vieux tesson de bouteille et je serai veuve, ce qui achèverait de me faire mourir de chagrin, quoique tout le monde dise que ce serait un grand bonheur pour moi.
Tel est le rôle de la jardinière et ses lamentations continuelles durant toute la pièce. Car c’est une véritable comédie libre, improvisée, jouée en plein air, sur les chemins, à travers champs, alimentée par tous les accidents fortuits qui se présentent, et à laquelle tout le monde prend part, gens de la noce et du dehors, hôtes des maisons et passants des chemins pendant trois ou quatre heures de la journée, ainsi qu’on va le voir. Le thème est invariable, mais on brode à l’infini sur ce thème, et c’est là qu’il faut voir l’instinct mimique, l’abondance d’idées bouffonnes, la faconde, l’esprit de répartie, et même l’éloquence naturelle de nos paysans.
Le rôle de la jardinière est ordinairement confié à un homme mince, imberbe et à teint frais, qui sait donner une grande vérité à son personnage, et jouer le désespoir burlesque avec assez de naturel pour qu’on en soit égayé et attristé en même temps comme d’un fait réel. Ces hommes maigres et imberbes ne sont pas rares dans nos campagnes, et, chose étrange, ce sont parfois les plus remarquables pour la force musculaire.
Après que le malheur de la femme est constaté, les jeunes gens de la noce l’engagent à laisser là son ivrogne de mari et à se divertir avec eux. Ils lui offrent le bras et l’entraînent. Peu à peu elle s’abandonne, s’égaie et se met à courir, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, prenant des allures dévergondées: nouvelle moralité, l’inconduite du mari provoque et amène celle de la femme.
Le païen se réveille alors de son ivresse, il cherche des yeux sa compagne, s’arme d’une corde et d’un bâton, et court après elle. On le fait courir, on se cache, on passe la femme de l’un à l’autre, on essaie de distraire et de tromper le jaloux. Ses amis s’efforcent de l’enivrer. Enfin il rejoint son infidèle et veut la battre. Ce qu’il y a de plus réel et de mieux observé dans cette parodie des misères de la vie conjugale, c’est que le jaloux ne s’attaque jamais à ceux qui lui enlèvent sa femme. Il est fort poli et prudent avec eux, il ne veut s’en prendre qu’à la coupable, parce qu’elle est censée ne pouvoir lui résister.
Mais au moment où il lève son bâton et apprête sa corde pour attacher la délinquante, tous les hommes de la noce s’interposent et se jettent entre les deux époux.
– Ne la battez pas! ne battez jamais votre femme! est la formule qui se répète à satiété dans ces scènes.
On désarme le mari, on le force à pardonner, à embrasser sa femme, et bientôt il affecte de l’aimer plus que jamais. Il s’en va bras dessus, bras dessous avec elle, en chantant et en dansant, jusqu’à ce qu’un nouvel accès d’ivresse le fasse rouler par terre; et alors recommencent les lamentations de la femme, son découragement, ses égarements simulés, la jalousie du mari, l’intervention des voisins et le raccommodement. Il y a dans tout cela un enseignement naïf, grossier même, qui sent fort son origine moyen âge, mais qui fait toujours impression, sinon sur les mariés, trop amoureux ou trop raisonnables aujourd’hui pour en avoir besoin, du moins sur les enfants et les adolescents. Le païen effraie et dégoûte tellement les jeunes filles, en courant après elles et en feignant de vouloir les embrasser, qu’elles fuient avec une émotion qui n’a rien de joué. Sa face barbouillée et son grand bâton (inoffensif pourtant) font jeter les hauts cris aux marmots. C’est de la comédie de mœurs à l’état le plus élémentaire, mais aussi le plus frappant.
Quand cette farce est bien mise en train, on se dispose à aller chercher le chou. On apporte une civière sur laquelle on place le païen armé d’une bêche, d’une corde et d’une grande corbeille. Quatre hommes vigoureux l’enlèvent sur leurs épaules. Sa femme le suit à pied, les anciens viennent en groupe après lui d’un air grave et pensif puis la noce marche par couples au pas réglé par la musique. Les coups de pistolet recommencent, les chiens hurlent plus que jamais à la vue du païen immonde, ainsi porté en triomphe. Les enfants l’encensent dérisoirement avec des sabots au bout d’une ficelle.