La Mare Au Diable
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La Mare au Diable est un lieu maudit o? souffle l'angoisse. Pr?s d'elle se d?roule toute l'histoire. Un paysan, veuf avec ses enfants, cherche femme. Qui ?pousera-t-il? celle qu'on lui a promise, ou une pauvre paysanne, harcel?e par son patron? Cette petite Marie est l'?me d'un paysage de r?ve, et l'embl?me de l'enfance ?ternelle. Un roman d'amour, mais travers? par le cri des chiens fous, la nu?e sanglotante des oiseaux, le fossoyeur ?pileptique. La voix de la terre s'y accorde avec celle de l'Ame enfantine: George Sand y parle avec force du sol natal et des premiers souvenirs.
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Il y eut alors beaucoup de rires et de discussions fanfaronnes. Chacun montrait les horions qu’il avait reçus, et comme c’était souvent la main d’un ami qui avait frappé, personne ne se plaignit ni se querella. Le chanvreur, à demi aplati, se frottait les reins, disant qu’il s’en souciait fort peu, mais qu’il protestait contre la ruse de son compère le fossoyeur, et que, s’il n’eût été à demi mort, le foyer n’eût pas été conquis si facilement. Les matrones balayaient le pavé et l’ordre se faisait. La table se couvrait de brocs de vin nouveau. Quand on eut trinqué ensemble et repris haleine, le fiancé fut amené au milieu de la chambre et, armé d’une baguette, il dut se soumettre à une nouvelle épreuve.
Pendant la lutte, la fiancée avait été cachée avec trois de ses compagnes par sa mère, sa marraine et ses tantes, qui avaient fait asseoir les quatre jeunes filles sur un banc, dans un coin reculé de la salle et les avaient couvertes d’un grand drap blanc. Les trois compagnes avaient été choisies de la même taille que Marie, et leurs cornettes de hauteur identique, de sorte que le drap leur couvrant la tête et les enveloppant jusque par-dessous les pieds, il était impossible de les distinguer l’une de l’autre.
Le fiancé ne devait les toucher qu’avec le bout de sa baguette, et seulement pour désigner celle qu’il jugeait être sa femme. On lui donnait le temps d’examiner, mais avec les yeux seulement, et les matrones, placées à ses côtés, veillaient rigoureusement à ce qu’il n’y eût point de supercherie. S’il se trompait, il ne pouvait danser de la soirée avec sa fiancée, mais seulement avec celle qu’il avait choisie par erreur.
Germain, se voyant en présence de ces fantômes enveloppés sous le même suaire, craignait fort de se tromper; et, de fait, cela était arrivé à bien d’autres car les précautions étaient toujours prises avec un soin consciencieux. Le cœur lui battait. La petite Marie essayait bien de respirer fort et d’agiter un peu le drap, mais ses malignes rivales en faisaient autant, poussaient le drap avec leurs doigts, et il y avait autant de signes mystérieux que de jeunes filles sous le voile. Les cornettes carrées maintenaient ce voile si également qu’il était impossible de voir la forme d’un front dessiné par ses plis.
Germain, après dix minutes d’hésitation, ferma les yeux, recommanda son âme à Dieu, et tendit la baguette au hasard. Il toucha le front de la petite Marie, qui jeta le drap loin d’elle en criant victoire. Il eut alors la permission de l’embrasser et, l’enlevant dans ses bras robustes, il la porta au milieu de la chambre et ouvrit avec elle le bal, qui dura jusqu’à deux heures du matin.
Alors on se sépara pour se réunir à huit heures. Comme il y avait un certain nombre de jeunes gens venus des environs, et qu’on n’avait pas de lits pour tout le monde, chaque invitée du village reçut dans son lit deux ou trois jeunes compagnes, tandis que les garçons allèrent pêle-mêle s’étendre sur le fourrage du grenier de la métairie. Vous pouvez bien penser que là ils ne dormirent guère, car ils ne songèrent qu’à se lutiner les uns les autres, à échanger des lazzis et à se conter de folles histoires. Dans les noces, il y a de rigueur trois nuits blanches, qu’on ne regrette point.
À l’heure marquée pour le départ, après qu’on eut mangé la soupe au lait relevée d’une forte dose de poivre pour se mettre en appétit, car le repas de noces promettait d’être copieux, on se rassembla dans la cour de la ferme. Notre paroisse étant supprimée, c’est à une demi-lieue de chez nous qu’il fallait aller chercher la bénédiction nuptiale. Il faisait un beau temps frais, mais les chemins étant fort gâtés, chacun s’était muni d’un cheval et chaque homme prit en croupe une compagne jeune ou vieille. Germain partit sur la Grise qui, bien pansée, ferrée à neuf et ornée de rubans, piaffait et jetait le feu par les naseaux. Il alla chercher sa fiancée à la chaumière avec son beau-frère Jacques, lequel, monté sur la vieille Grise, prit la bonne mère Guillette en croupe tandis que Germain rentra dans la cour de la ferme, amenant sa chère petite femme d’un air de triomphe.
Puis la joyeuse cavalcade se mit en route, escortée par les enfants à pied qui couraient en tirant des coups de pistolet et faisaient bondir les chevaux. La mère Maurice était montée sur une petite charrette avec les trois enfants de Germain et les ménétriers. Ils ouvraient la marche au son des instruments. Petit-Pierre était si beau que la vieille grand’mère en était tout orgueilleuse. Mais l’impétueux enfant ne tint pas longtemps à ses côtés. À un temps d’arrêt qu’il fallut faire à mi-chemin pour s’engager dans un passage difficile, il s’esquiva et alla supplier son père de l’asseoir devant lui sur la Grise.
– Oui-da! répondit Germain, cela va nous attirer de mauvaises plaisanteries! il ne faut point.
– Je ne me soucie guère de ce que diront les gens de Saint-Chartier, dit la petite Marie. Prenez-le, Germain, je vous en prie: je serai encore plus fière de lui que de ma toilette de noces.
Germain céda et le beau trio s’élança dans les rangs au galop triomphant de la Grise.
Et, de fait, les gens de Saint-Chartier, quoique très railleurs et un peu taquins à l’endroit des paroisses environnantes réunies à la leur, ne songèrent point à rire en voyant un si beau marié, une si jolie mariée, et un enfant qui eût fait envie à la femme d’un roi. Petit-Pierre avait un habit complet de drap bleu barbeau, un gilet rouge si coquet et si court qu’il ne lui descendait guère au-dessous du menton. Le tailleur du village lui avait si bien serré les entournures qu’il ne pouvait rapprocher ses deux petits bras. Aussi comme il était fier! Il avait un chapeau rond avec une ganse noir et or, et une plume de paon sortant crânement d’une touffe de plumes de pintade. Un bouquet de fleurs plus gros que sa tête lui couvrait l’épaule, et les rubans lui flottaient jusqu’aux pieds. Le chanvreur, qui était aussi le barbier et le perruquier de l’endroit, lui avait coupé les cheveux en rond, en lui couvrant la tête d’une écuelle et retranchant tout ce qui passait, méthode infaillible pour assurer le coup de ciseau. Ainsi accoutré, le pauvre enfant était moins poétique, à coup sûr, qu’avec ses longs cheveux au vent et sa peau de mouton à la saint Jean-Baptiste; mais il n’en croyait rien, et tout le monde l’admirait, disant qu’il avait l’air d’un petit homme. Sa beauté triomphait de tout, et de quoi ne triompherait pas, en effet, l’incomparable beauté de l’enfance?
Sa petite sœur Solange avait, pour la première fois de sa vie, une cornette à la place du béguin d’indienne que portent les petites filles jusqu’à l’âge de deux ou trois ans. Et quelle cornette! plus haute et plus large que tout le corps de la pauvrette. Aussi comme elle se trouvait belle! Elle n’osait pas tourner la tête et se tenait toute raide, pensant qu’on la prendrait pour la mariée.
Quant au petit Sylvain, il était encore en robe et, endormi sur les genoux de la grand’mère, il ne se doutait guère de ce que c’est qu’une noce.
Germain regardait ses enfants avec amour et, en arrivant à la mairie, il dit à sa fiancée:
– Tiens, Marie, j’arrive là un peu plus content que le jour où je t’ai ramenée chez nous, des bois de Chanteloube, croyant que tu ne m’aimerais jamais; je te pris dans mes bras pour te mettre à terre comme à présent; mais je pensais que nous ne nous retrouverions plus jamais sur la pauvre bonne Grise avec cet enfant sur nos genoux. Tiens, je t’aime tant, j’aime tant ces pauvres petits, je suis si heureux que tu m’aimes et que tu les aimes, et que mes parents t’aiment, et j’aime tant ta mère et mes amis, et tout le monde aujourd’hui, que je voudrais avoir trois ou quatre cœurs pour y suffire. Vrai, c’est trop peu d’un pour y loger tant d’amitiés et tant de contentements! J’en ai comme mal à l’estomac.
Il y eut une foule à la porte de la mairie et de l’église pour regarder la jolie mariée. Pourquoi ne dirions-nous pas son costume? il lui allait si bien! Sa cornette de mousseline claire et brodée partout avait les barbes garnies de dentelle. Dans ce temps-là les paysannes ne se permettaient pas de montrer un seul cheveu; et quoiqu’elles cachent sous leurs cornettes de magnifiques chevelures roulées dans des rubans de fil blanc pour soutenir la coiffe, encore aujourd’hui ce serait une action indécente et honteuse que de se montrer aux hommes la tête nue. Cependant elles se permettent à présent de laisser sur le front un mince bandeau qui les embellit beaucoup. Mais je regrette la coiffure classique de mon temps; ces dentelles blanches à cru sur la peau avaient un caractère d’antique chasteté qui me semblait plus solennel, et quand une figure était belle ainsi, c’était d’une beauté dont rien ne peut exprimer le charme et la majesté naïve.
La petite Marie portait encore cette coiffure, et son front était si blanc et si pur, qu’il défiait le blanc du linge de l’assombrir. Quoiqu’elle n’eût pas fermé l’œil de la nuit, l’air du matin et surtout la joie intérieure d’une âme aussi limpide que le ciel, et puis encore un peu de flamme secrète, contenue par la pudeur de l’adolescence, lui faisaient monter aux joues un éclat aussi suave que la fleur du pêcher aux premiers rayons d’avril.
Son fichu blanc, chastement croisé sur son sein, ne laissait voir que les contours délicats d’un cou arrondi comme celui d’une tourterelle; son déshabillé de drap fin vert myrte dessinait sa petite taille, qui semblait parfaite mais qui devait grandir et se développer encore, car elle n’avait pas dix-sept ans. Elle portait un tablier de soie violet pensée, avec la bavette que nos villageoises ont eu le tort de supprimer et qui donnait tant d’élégance et de modestie à la poitrine. Aujourd’hui elles étalent leur fichu avec plus d’orgueil, mais il n’y a plus dans leur toilette cette fine fleur d’antique pudicité qui les faisait ressembler à des vierges d’Holbein. Elles sont plus coquettes, plus gracieuses. Le bon genre autrefois était une sorte de raideur sévère qui rendait leur rare sourire plus profond et plus idéal.