Les Enfants Du Capitaine Grant
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Lord et Lady Glenarvan, ainsi que le g?ographe Paganel, aident Mary et Robert Grant ? retrouver leur p?re qui a fait naufrage sur une ?le dont on ne connait que la latitude, ce qui les am?ne ? traverser l'Am?rique du sud, puis l'Australie o? un bagnard ?vad?, Ayrton, tente de s'emparer du yacht de Glenarvan, et enfin l'Oc?anie o?, apr?s avoir ?chapp? aux anthropophages, il retrouveront enfin la trace de leur p?re…
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Alors, sous ce morceau de toile, le Duncan laissa porter et se prit à fuir vent arrière avec une incalculable rapidité. Il allait ainsi dans le nord-est où le poussait la tempête. Il lui fallait conserver le plus de vitesse possible, car d’elle seule dépendait sa sécurité. Quelquefois, dépassant les lames emportées avec lui, il les tranchait de son avant effilé, s’y enfonçait comme un énorme cétacé, et laissait balayer son pont de l’avant à l’arrière. En d’autres moments, sa vitesse égalait celle des flots, son gouvernail perdait toute action, et il faisait d’énormes embardées qui menaçaient de le rejeter en travers. Enfin, il arrivait aussi que les vagues couraient plus vite que lui sous le souffle de l’ouragan; elles sautaient alors par-dessus le couronnement, et tout le pont était balayé de l’arrière à l’avant avec une irrésistible violence.
Ce fut dans cette alarmante situation, au milieu d’alternatives d’espoir et de désespoir, que se passèrent la journée du 15 décembre et la nuit qui suivit. John Mangles ne quitta pas un instant son poste; il ne prit aucune nourriture; il était torturé par des craintes que son impassible figure ne voulait pas trahir, et son regard cherchait obstinément à percer les brumes amoncelées dans le nord.
En effet, il pouvait tout craindre. Le Duncan, rejeté hors de sa route, courait à la côte australienne avec une vitesse que rien ne pouvait enrayer. John Mangles sentait aussi par instinct, non autrement, qu’un courant de foudre l’entraînait.
À chaque instant, il redoutait le choc d’un écueil sur lequel le yacht se fût brisé en mille pièces. Il estimait que la côte ne devait pas se rencontrer à moins de douze milles sous le vent. Or, la terre c’est le naufrage, c’est la perte d’un bâtiment.
Cent fois mieux vaut l’immense océan, contre les fureurs duquel un navire peut se défendre, fût-ce en lui cédant. Mais lorsque la tempête le jette sur des atterrages, il est perdu.
John Mangles alla trouver lord Glenarvan; il l’entretint en particulier; il lui dépeignit la situation sans diminuer sa gravité; il l’envisagea avec le sang-froid d’un marin prêt à tout, et termina en disant qu’il serait peut-être obligé de jeter le Duncan à la côte.
«Pour sauver ceux qu’il porte, si c’est possible, mylord.
– Faites, John, répondit Glenarvan.
– Et lady Helena? Miss Grant?
– Je ne les préviendrai qu’au dernier moment, lorsque tout espoir sera perdu de tenir la mer. Vous m’avertirez.
– Je vous avertirai, mylord.»
Glenarvan revint auprès des passagères, qui, sans connaître tout le danger, le sentaient imminent.
Elles montraient un grand courage, égal au moins à celui de leurs compagnons. Paganel se livrait aux théories les plus inopportunes sur la direction des courants atmosphériques; il faisait à Robert, qui l’écoutait, d’intéressantes comparaisons entre les tornades, les cyclones et les tempêtes rectilignes. Quant au major, il attendait la fin avec le fatalisme d’un musulman. Vers onze heures, l’ouragan parut mollir un peu, les humides brumes se dissipèrent, et, dans une rapide éclaircie, John put voir une terre basse qui lui restait à six milles sous le vent. Il y courait en plein. Des lames monstrueuses déferlaient à une prodigieuse hauteur, jusqu’à cinquante pieds et plus. John comprit qu’elles trouvaient là un point d’appui solide pour rebondir à une telle élévation.
«Il y a des bancs de sable, dit-il à Austin.
– C’est mon avis, répondit le second.
– Nous sommes dans la main de Dieu, reprit John.
S’il n’offre pas une passe praticable au Duncan, et s’il ne l’y conduit lui-même, nous sommes perdus.
– La marée est haute en ce moment, capitaine, peut-être pourrons-nous franchir ces bancs?
– Mais voyez donc, Austin, la fureur de ces lames. Quel navire pourrait leur résister? Prions Dieu qu’il nous aide, mon ami!»
Cependant le Duncan, sous son tourmentin, portait à la côte avec une vitesse effrayante. Bientôt il ne fut plus qu’à deux milles des accores du banc. Les vapeurs cachaient à chaque instant la terre.
Néanmoins, John crut apercevoir au delà de cette lisière écumeuse un bassin plus tranquille. Là, le Duncan se fût trouvé dans une sûreté relative.
Mais comment passer?
John fit monter ses passagers sur le pont; il ne voulait pas que, l’heure du naufrage venue, ils fussent renfermés dans la dunette. Glenarvan et ses compagnons regardèrent la mer épouvantable. Mary Grant pâlit.
«John, dit tout bas Glenarvan au jeune capitaine, j’essayerai de sauver ma femme, ou je périrai avec elle. Charge-toi de miss Grant.
– Oui, votre honneur», répondit John Mangles, en portant la main du lord à ses yeux humides.
Le Duncan n’était plus qu’à quelques encablures du pied des bancs. La mer, haute alors, eût sans doute laissé assez d’eau sous la quille du yacht pour lui permettre de franchir ces dangereux bas-fonds. Mais alors les vagues énormes, le soulevant et l’abandonnant tour à tour, devaient le faire immanquablement talonner. Y avait-il donc un moyen d’adoucir les mouvements de ces lames, de faciliter le glissement de leurs molécules liquides, en un mot, de calmer cette mer tumultueuse?
John Mangles eut une dernière idée.
«L’huile! s’écria-t-il; mes enfants, filez de l’huile! Filez de l’huile!»
Ces paroles furent rapidement comprises de tout l’équipage. Il s’agissait d’employer un moyen qui réussit quelquefois; on peut apaiser la fureur des vagues, en les couvrant d’une nappe d’huile; cette nappe surnage, et détruit le choc des eaux, qu’elle lubrifie. L’effet en est immédiat, mais il passe vite.
Quand un navire a franchi cette mer factice, elle redouble ses fureurs, et malheur à qui se hasarderait à sa suite. Les barils contenant la provision d’huile de phoque furent hissés sur le gaillard d’avant par l’équipage, dont le danger centuplait les forces. Là, ils furent défoncés à coups de hache, et suspendus au-dessus des bastingages de tribord et de bâbord.
«Tiens bon!» cria John Mangles, épiant le moment favorable.
En vingt secondes, le yacht atteignit l’entrée de la passe barrée par un mascaret mugissant. C’était l’instant.
«À dieu vat!» cria le jeune capitaine.
Les barils furent chavirés, et de leurs flancs s’échappèrent des flots d’huile. Instantanément, la nappe onctueuse nivela, pour ainsi dire, l’écumeuse surface de la mer. Le Duncan vola sur les eaux calmées et se trouva bientôt dans un bassin paisible, au delà des redoutables bancs.