Les Enfants Du Capitaine Grant
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Lord et Lady Glenarvan, ainsi que le g?ographe Paganel, aident Mary et Robert Grant ? retrouver leur p?re qui a fait naufrage sur une ?le dont on ne connait que la latitude, ce qui les am?ne ? traverser l'Am?rique du sud, puis l'Australie o? un bagnard ?vad?, Ayrton, tente de s'emparer du yacht de Glenarvan, et enfin l'Oc?anie o?, apr?s avoir ?chapp? aux anthropophages, il retrouveront enfin la trace de leur p?re…
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À midi, on dépassait le fort abandonné de Tapalquem, premier anneau de cette chaîne de fortins tendue sur la lisière du sud contre les indigènes pillards. Mais d’indiens, on n’en rencontra pas l’ombre, à la surprise croissante de Thalcave. Cependant, vers le milieu du jour, trois coureurs des plaines, bien montés et bien armés, observèrent un instant la petite troupe; mais ils ne se laissèrent pas approcher, et s’enfuirent avec une incroyable rapidité. Glenarvan était furieux.
«Des gauchos», dit le patagon, en donnant à ces indigènes la dénomination qui avait amené une discussion entre le major et Paganel.
«Ah! Des gauchos, répondit Mac Nabbs. Eh bien, Paganel, le vent du nord ne souffle pas aujourd’hui. Qu’est-ce que vous pensez de ces animaux-là?
– Je pense qu’ils ont l’air de fameux bandits, répondit Paganel.
– Et de là à en être, mon cher savant?
– Il n’y a qu’un pas, mon cher major!»
L’aveu de Paganel fut suivi d’un rire général qui ne le déconcerta point, et il fit même, à l’occasion de ces indiens, une très curieuse observation.
«J’ai lu quelque part, dit-il, que chez l’arabe la bouche a une rare expression de férocité, tandis que l’expression humaine se trouve dans le regard. Eh bien, chez le sauvage américain, c’est tout le contraire. Ces gens-là ont l’œil particulièrement méchant.»
Un physionomiste de profession n’eût pas mieux dit pour caractériser la race indienne.
Cependant, d’après les ordres de Thalcave, on marchait en peloton serré; quelque désert que fût le pays, il fallait se défier des surprises; mais la précaution fut inutile, et le soir même on campait dans une vaste tolderia abandonnée, où le cacique Catriel réunissait ordinairement ses bandes d’indigènes. À l’inspection du terrain, au défaut de traces récentes, le patagon reconnut que la tolderia n’avait pas été occupée depuis longtemps.
Le lendemain, Glenarvan et ses compagnons se retrouvaient dans la plaine: les premières estancias qui avoisinent la sierra Tandil furent aperçues; mais Thalcave résolut de ne pas s’y arrêter et de marcher droit au fort indépendance, où il voulait se renseigner, particulièrement sur la situation singulière de ce pays abandonné.
Les arbres, si rares, depuis la cordillère, reparurent alors, la plupart plantés après l’arrivée des européens sur le territoire américain. Il y avait là des azedarachs, des pêchers, des peupliers, des saules, des acacias, qui poussaient tout seuls, vite et bien. Ils entouraient généralement les «corrales», vastes enceintes à bétail garnies de pieux. Là paissaient et s’engraissaient par milliers bœufs, moutons, vaches et chevaux, marqués au fer chaud de l’estampille du maître, tandis que de grands chiens vigilants et nombreux veillaient aux alentours. Le sol un peu salin qui s’étend au pied des montagnes convient admirablement aux troupeaux et produit un fourrage excellent. On le choisit donc de préférence pour l’établissement des estancias, qui sont dirigées par un majordome et un contremaître, ayant sous leurs ordres quatre péons pour mille têtes de bétail.
Ces gens-là mènent la vie des grands pasteurs de la bible; leurs troupeaux sont aussi nombreux, plus nombreux peut-être, que ceux dont s’emplissaient les plaines de la Mésopotamie; mais ici la famille manque au berger, et les grands «estanceros» de la pampa ont tout du grossier marchand de bœufs, rien du patriarche des temps bibliques.
C’est ce que Paganel expliqua fort bien à ses compagnons, et, à ce sujet, il se livra à une discussion anthropologique pleine d’intérêt sur la comparaison des races. Il parvint même à intéresser le major, qui ne s’en cacha point.
Paganel eut aussi l’occasion de faire observer un curieux effet de mirage très commun dans ces plaines horizontales: les estancias, de loin, ressemblaient à de grandes îles; les peupliers et les saules de leur lisière semblaient réfléchis dans une eau limpide qui fuyait devant les pas des voyageurs; mais l’illusion était si parfaite que l’œil ne pouvait s’y habituer.
Pendant cette journée du 6 novembre, on rencontra plusieurs estancias, et aussi un ou deux saladeros.
C’est là que le bétail, après avoir été engraissé au milieu de succulents pâturages, vient tendre la gorge au couteau du boucher. Le saladero, ainsi que son nom l’indique, est l’endroit où se salent les viandes. C’est à la fin du printemps que commencent ces travaux répugnants. Les «saladeros» vont alors chercher les animaux au corral; ils les saisissent avec le lazo, qu’ils manient habilement, et les conduisent au saladero; là, bœufs, taureaux, vaches, moutons sont abattus par centaines, écorchés et décharnés. Mais souvent les taureaux ne se laissent pas prendre sans résistance.
L’écorcheur se transforme alors en toréador, et ce métier périlleux, il le fait avec une adresse et, il faut le dire, une férocité peu communes. En somme, cette boucherie présente un affreux spectacle. Rien de repoussant comme les environs d’un saladero; de ces enceintes horribles s’échappent, avec une atmosphère chargée d’émanations fétides, des cris féroces d’écorcheurs, des aboiements sinistres de chiens, des hurlements prolongés de bêtes expirantes, tandis que les urubus et les auras, grands vautours de la plaine argentine, venus par milliers de vingt lieues à la ronde, disputent aux bouchers les débris encore palpitants de leurs victimes. Mais en ce moment les saladeros étaient muets, paisibles et inhabités.
L’heure de ces immenses tueries n’avait pas encore sonné.
Thalcave pressait la marche; il voulait arriver le soir même au fort indépendance; les chevaux, excités par leurs maîtres et suivant l’exemple de Thaouka, volaient à travers les hautes graminées du sol. On rencontra plusieurs fermes crénelées et défendues par des fossés profonds; la maison principale était pourvue d’une terrasse du haut de laquelle les habitants, organisés militairement, peuvent faire le coup de fusil avec les pillards de la plaine. Glenarvan eût peut-être trouvé là les renseignements qu’il cherchait, mais le plus sûr était d’arriver au village de Tandil. On ne s’arrêta pas. On passa à gué le rio de los Huesos, et, quelques milles plus loin, le Chapaléofu. Bientôt la sierra Tandil offrit au pied des chevaux le talus gazonné de ses premières pentes, et, une heure après, le village apparut au fond d’une gorge étroite, dominée par les murs crénelés du fort indépendance.