Les Enfants Du Capitaine Grant
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Lord et Lady Glenarvan, ainsi que le g?ographe Paganel, aident Mary et Robert Grant ? retrouver leur p?re qui a fait naufrage sur une ?le dont on ne connait que la latitude, ce qui les am?ne ? traverser l'Am?rique du sud, puis l'Australie o? un bagnard ?vad?, Ayrton, tente de s'emparer du yacht de Glenarvan, et enfin l'Oc?anie o?, apr?s avoir ?chapp? aux anthropophages, il retrouveront enfin la trace de leur p?re…
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Son territoire est étonnamment fertile. Un climat particulièrement salubre règne sur cette plaine couverte de graminées et de plantes arborescentes légumineuses, qui présente une horizontalité presque parfaite jusqu’au pied des sierras Tandil et Tapalquem.
Depuis qu’ils avaient quitté la Guamini, les voyageurs constataient, non sans grande satisfaction, une amélioration notable dans la température. Sa moyenne ne dépassait pas dix-sept degrés centigrades, grâce aux vents violents et froids de la Patagonie qui agitent incessamment les ondes atmosphériques. Bêtes et gens n’avaient donc aucun motif de se plaindre, après avoir tant souffert de la sécheresse et de la chaleur. On s’avançait avec ardeur et confiance. Mais, quoi qu’en eût dit Thalcave, le pays semblait être entièrement inhabité, ou, pour employer un mot plus juste, «déshabité.»
Souvent la ligne de l’est côtoya ou coupa des petites lagunes, faites tantôt d’eaux douces, tantôt d’eaux saumâtres.
Sur les bords et à l’abri des buissons sautillaient de légers roitelets et chantaient de joyeuses alouettes, en compagnie des «tangaras», ces rivaux en couleurs des colibris étincelants. Ces jolis oiseaux battaient gaiement de l’aile sans prendre garde aux étourneaux militaires qui paradaient sur les berges avec leurs épaulettes et leurs poitrines rouges. Aux buissons épineux se balançait, comme un hamac de créole, le nid mobile des «annubis», et sur le rivage des lagunes, de magnifiques flamants, marchant en troupe régulière, déployaient au vent leurs ailes couleur de feu. On apercevait leurs nids groupés par milliers, en forme de cônes tronqués d’un pied de haut, qui formaient comme une petite ville. Les flamants ne se dérangeaient pas trop à l’approche des voyageurs. Ce qui ne fit pas le compte du savant Paganel.
«Depuis longtemps, dit-il au major, je suis curieux de voir voler un flamant.
– Bon! dit le major.
– Or, puisque j’en trouve l’occasion, j’en profite.
– Profitez-en, Paganel.
– Venez avec moi, major. Viens aussi, Robert. J’ai besoin de témoins.»
Et Paganel, laissant ses compagnons marcher en avant, se dirigea, suivi de Robert Grant et du major, vers la troupe des phénicoptères.
Arrivé à bonne portée, il tira un coup de fusil à poudre, car il n’aurait pas versé inutilement le sang d’un oiseau, et tous les flamants de s’envoler d’un commun accord, pendant que Paganel les observait attentivement à travers ses lunettes.
«Eh bien, dit-il au major quand la troupe eut disparu, les avez-vous vus voler?
– Oui certes, répondit Mac Nabbs, et, à moins d’être aveugle, on ne pouvait faire moins.
– Avez-vous trouvé qu’en volant ils ressemblaient à des flèches empennées?
– Pas le moins du monde.
– Pas du tout, ajouta Robert.
– J’en étais sûr! reprit le savant d’un air de satisfaction. Cela n’a pas empêché le plus orgueilleux des gens modestes, mon illustre compatriote Chateaubriand, d’avoir fait cette comparaison inexacte entre les flamants et les flèches! Ah! Robert, la comparaison, vois-tu bien, c’est la plus dangereuse figure de rhétorique que je connaisse. Défie-t’en toute la vie, et ne l’emploie qu’à la dernière extrémité.
– Ainsi vous êtes satisfait de votre expérience? dit le major.
– Enchanté.
– Et moi aussi; mais pressons nos chevaux, car votre illustre Chateaubriand nous a mis d’un mille en arrière.»
Lorsqu’il eut rejoint ses compagnons, Paganel trouva Glenarvan en grande conversation avec l’indien qu’il ne semblait pas comprendre. Thalcave s’était souvent arrêté pour observer l’horizon, et chaque fois son visage avait exprimé un assez vif étonnement. Glenarvan, ne voyant pas auprès de lui son interprète ordinaire, avait essayé, mais en vain, d’interroger l’indien. Aussi, du plus loin qu’il aperçut le savant, il lui cria:
«Arrivez donc, ami Paganel, Thalcave et moi, nous ne parvenons guère à nous entendre!»
Paganel s’entretint pendant quelques minutes avec le patagon, et se retournant vers Glenarvan:
«Thalcave, lui dit-il, s’étonne d’un fait qui est véritablement bizarre.
– Lequel?
– C’est de ne rencontrer ni indiens ni traces d’indiens dans ces plaines, qui sont ordinairement sillonnées de leurs bandes, soit qu’ils chassent devant eux le bétail volé aux estancias, soit qu’ils aillent jusqu’aux Andes vendre leurs tapis de zorillo et leurs fouets en cuir tressé.
– Et à quoi Thalcave attribue-t-il cet abandon?
– Il ne saurait le dire; il s’en étonne, voilà tout.
– Mais quels indiens comptait-il trouver dans cette partie des pampas?
– Précisément ceux qui ont eu des prisonniers étrangers entre leurs mains, ces indigènes que commandent les caciques Calfoucoura, Catriel ou Yanchetruz.
– Quels sont ces gens-là?
– Des chefs de bandes qui étaient tout-puissants il y a une trentaine d’années, avant qu’ils eussent été rejetés au delà des sierras. Depuis cette époque, ils se sont soumis autant qu’un indien peut se soumettre, et ils battent la plaine de la Pampasie aussi bien que la province de Buenos-Ayres. Je m’étonne donc avec Thalcave de ne pas rencontrer leurs traces dans un pays où ils font généralement le métier de salteadores.
– Mais alors, demanda Glenarvan, quel parti devons-nous prendre?
– Je vais le savoir», répondit Paganel.
Et après quelques instants de conversation avec Thalcave, il dit:
«Voici son avis, qui me paraît fort sage. Il faut continuer notre route à l’est jusqu’au fort indépendance, – c’est notre chemin, – et là, si nous n’avons pas de nouvelles du capitaine Grant, nous saurons du moins ce que sont devenus les indiens de la plaine argentine.
– Ce fort indépendance est-il éloigné? répondit Glenarvan.
– Non, il est situé dans la sierra Tandil, à une soixantaine de milles.
– Et nous y arriverons?…
– Après-demain soir.»
Glenarvan fut assez déconcerté de cet incident. Ne pas trouver un indien dans les pampas, c’était à quoi on se fût le moins attendu. Il y en a trop ordinairement. Il fallait donc qu’une circonstance toute spéciale les eût écartés. Mais, chose grave surtout, si Harry Grant était prisonnier de l’une de ces tribus, il avait été entraîné dans le nord ou dans le sud? Ce doute ne laissa pas d’inquiéter Glenarvan. Il s’agissait de conserver à tout prix la piste du capitaine. Enfin, le mieux était de suivre l’avis de Thalcave et d’atteindre le village de Tandil. Là, du moins, on trouverait à qui parler.
Vers quatre heures du soir, une colline, qui pouvait passer pour une montagne dans un pays si plat, fut signalée à l’horizon. C’était la sierra Tapalquem, au pied de laquelle les voyageurs campèrent la nuit suivante. Le passage de cette sierra se fit le lendemain le plus facilement du monde. On suivait des ondulations sablonneuses d’un terrain à pentes douces. Une pareille sierra ne pouvait être prise au sérieux par des gens qui avaient franchi la cordillère des Andes, et les chevaux ralentirent à peine leur rapide allure.