Aventures De Trois Russes Et De Trois Anglais Dans LAfrique Australe
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Les Aventures de trois Russes et de trois Anglais (1872) mettent en sc?ne six astronomes dont la t?che est de mesurer une portion de m?ridien terrestre. Il s'agit donc plus de g?od?sie que d'astronomie, mais historiquement, ce genre de travail a toujours ?chu aux astronomes. Les h?ros utilisent la m?thode de triangulation expos?e en d?tail dans l'Astronomie Populaire d'Arago. On retrouve le th?me des grandes exp?ditions scientifiques des Picard, Lacaille, Maupertuis, Bouguer, Godin, La Condamine, M?chain, Delambre, Arago… commandit?es par l'Acad?mie des sciences, aux ?poques o? le m?tier d'astronome ?tait un m?tier dangereux.
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Les compagnons du bushman avaient écouté silencieusement la recommandation du chasseur. Mokoum était redevenu l’homme patient des chasses. Il savait que l’affaire serait grave. Si, en effet, le lion ne se jette pas ordinairement sur l’homme qui passe sans le provoquer, sa fureur est, du moins, portée au plus haut point dès qu’il se sent attaqué. C’est alors une bête terrible, à laquelle la nature a donné la souplesse pour bondir, la force pour briser, la colère qui la rend formidable. Aussi, le bushman recommanda-t-il aux Européens de garder leur sang-froid, et surtout à sir John, qui se laissait parfois emporter par son audace.
«Tirez un lion, lui dit-il, comme vous tireriez un perdreau, sans plus d’émotion. Tout est là!»
Tout est là, en effet. Mais qui peut répondre, quand il n’est pas aguerri par l’habitude, de conserver son sang-froid en présence d’un lion.
À quatre heures du matin, les chasseurs, après avoir solidement attaché leurs chevaux au milieu d’un épais taillis, quittèrent le lieu de halte. Le jour ne se faisait pas encore. Quelques nuances rougeâtres flottaient dans les brumes de l’est. L’obscurité était profonde.
Le bushman recommanda à ses compagnons de visiter leurs armes. Sir John Murray et lui, armés chacun d’une carabine se chargeant par la culasse, n’eurent qu’à glisser dans le tonnerre la cartouche à culot de cuivre, et à essayer si le chasse-cartouche fonctionnait bien. Michel Zorn et William Emery, porteurs de rifles rayés, renouvelèrent les amorces que l’humidité de la nuit pouvait avoir endommagées. Quant aux trois indigènes, ils étaient munis d’arcs d’aloës qu’ils maniaient avec une grande adresse. Plus d’un lion, en effet, était déjà tombé sous leurs flèches.
Les six chasseurs, formant un groupe compact, se dirigèrent vers le défilé dont les deux jeunes savants avaient la veille reconnu les abords. Ils ne prononçaient pas une parole et se glissaient entre les troncs de la futaie, comme les Peaux-Rouges sous les broussailles de leurs forêts.
Bientôt, la petite troupe fut arrivée à l’étroite gorge qui formait l’amorce du défilé. À ce point commençait ce boyau, creusé entre deux murailles de granit, qui conduisait aux premières pentes du contrefort. C’était dans ce boyau, à mi-route environ, sur une portion élargie par un éboulement, que se trouvait la tanière occupée par la bande des lions.
Le bushman prit alors les dispositions suivantes: Sir John Murray, un des indigènes et lui, devaient s’avancer seuls en se glissant sur les arêtes supérieures du défilé. Ils espéraient arriver ainsi près de la tanière, et comptaient en déloger les redoutables fauves, de manière à les chasser vers l’extrémité inférieure du défilé. Là, les deux jeunes Européens et les deux Bochjesmen, postés à l’affût, devaient recevoir les fuyards à coups d’arcs et de fusils.
L’endroit se prêtait excellemment à cette manœuvre. Là s’élevait un énorme sycomore qui dominait tout le taillis environnant, et dont les multiples fourches offraient un poste sûr que les lions ne sauraient atteindre. On sait, en effet, que ces animaux n’ont pas reçu, comme leurs congénères de la race féline, le don de grimper aux arbres. Des chasseurs, ainsi placés à une certaine hauteur, pouvaient esquiver leurs bonds et les tirer dans des conditions favorables.
La manœuvre périlleuse devait donc être exécutée par Mokoum, sir John et l’un des indigènes. Sur l’observation qu’en fit William Emery, le chasseur répondit qu’il ne pouvait en être autrement, et il insista pour qu’aucune modification ne fût apportée à son plan. Les jeunes gens se rendirent à ses raisons.
Le jour commençait alors à poindre. L’extrême sommet de la montagne s’allumait comme une torche sous la projection des rayons solaires. Le bushman, après avoir vu ses quatre compagnons s’installer sur les branches du sycomore, donna le signal du départ. Sir John, le Bochjesman et lui, rampèrent bientôt le long d’une sente capricieusement contournée sur la paroi de droite du défilé.
Ces trois audacieux chasseurs s’avancèrent ainsi pendant une cinquantaine de pas, s’arrêtant parfois et observant l’étroit boyau qu’ils remontaient. Le bushman ne doutait pas que les lions, après leur excursion nocturne, ne fussent rentrés à leur gîte, soit pour y dévorer leur proie, soit pour y prendre du repos. Peut-être même pourrait-il les surprendre endormis, et en finir rapidement avec eux.
Un quart d’heure après avoir franchi l’entrée du défilé, Mokoum et ses deux compagnons arrivèrent devant la tanière, à l’éboulement qui leur avait été indiqué par Michel Zorn. Là, ils se tapirent sur le sol et examinèrent le gîte.
C’était une excavation assez large, dont on ne pouvait en ce moment estimer la profondeur. Des débris d’animaux, des monceaux d’ossements, en masquaient l’entrée. Il n’y avait pas à s’y méprendre, c’était la retraite des lions signalée par le colonel Everest.
Mais en ce moment, contrairement à l’opinion du chasseur, la caverne semblait déserte. Mokoum, le fusil armé, se laissa glisser jusqu’au sol, et rampant sur les genoux, il parvint à l’entrée de la tanière.
Un seul regard, rapidement jeté à l’intérieur, lui montra qu’elle était vide.
Cette circonstance, sur laquelle il ne comptait pas, lui fit immédiatement modifier son plan. Ses deux compagnons, appelés par lui, le rejoignirent en un instant.
«Sir John, dit le chasseur, notre gibier n’est pas rentré au gîte, mais il ne peut tarder à paraître. J’imagine que nous ferons bien de nous installer à sa place. Mieux vaut être assiégés qu’assiégeants avec des lurons pareils, surtout quand la place a une armée de secours à ses portes. Qu’en pense Votre Honneur?
– Je pense comme vous, bushman, répondit sir John Murray. Je suis sous vos ordres et je vous obéis.»
Mokoum, sir John et l’indigène pénétrèrent dans la tanière. C’était une grotte profonde, semée d’ossements et de chairs sanglantes. Après avoir reconnu qu’elle était absolument vide, les chasseurs se hâtèrent d’en barricader l’entrée au moyen de grosses pierres qu’ils roulèrent non sans peine, et qu’ils accumulèrent les unes sur les autres. Les intervalles laissés entre ces pierres furent bouchés avec des branchages et des broussailles sèches dont la portion ravinée du défilé était couverte.
Ce travail ne demanda que quelques minutes, car l’entrée de la grotte était relativement étroite. Puis, les chasseurs se portèrent derrière leur barricade percée de meurtrières, et ils attendirent.
Leur attente ne fut pas de longue durée. Vers cinq heures et quart, un lion et deux lionnes parurent à cent pas de la tanière. C’étaient des animaux de grande taille. Le lion, secouant sa crinière noire et balayant le sol de sa redoutable queue, portait entre ses dents une antilope tout entière, qu’il secouait comme un chat eût fait d’une souris. Ce lourd gibier ne pesait pas à sa gueule puissante, et sa tête, quoique pesamment chargée, remuait avec une aisance parfaite. Les deux lionnes, à robe jaune, l’accompagnaient en gambadant.
Sir John, – Son Honneur l’a avoué depuis, – sentit son cœur battre violemment. Son œil s’ouvrit démesurément, son front se rida, et il ressentit une sorte de peur convulsive à laquelle se mêlaient de l’étonnement et de l’angoisse; mais cela ne dura pas, et il redevint promptement maître de lui. Quant à ses deux compagnons, ils étaient aussi calmes que d’habitude.