Aventures De Trois Russes Et De Trois Anglais Dans LAfrique Australe
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Les Aventures de trois Russes et de trois Anglais (1872) mettent en sc?ne six astronomes dont la t?che est de mesurer une portion de m?ridien terrestre. Il s'agit donc plus de g?od?sie que d'astronomie, mais historiquement, ce genre de travail a toujours ?chu aux astronomes. Les h?ros utilisent la m?thode de triangulation expos?e en d?tail dans l'Astronomie Populaire d'Arago. On retrouve le th?me des grandes exp?ditions scientifiques des Picard, Lacaille, Maupertuis, Bouguer, Godin, La Condamine, M?chain, Delambre, Arago… commandit?es par l'Acad?mie des sciences, aux ?poques o? le m?tier d'astronome ?tait un m?tier dangereux.
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La petite troupe, munie de ses instruments et de ses appareils portés à dos de mulets, et pourvue de vivres, partit dans la matinée du 28 juin. Le colonel Everest ne comptait arriver que le lendemain à la base de la montagne, et pour peu que l’ascension présentât quelques difficultés, le réverbère ne pouvait être établi au plus tôt que dans la nuit du 29 au 30. Les observateurs, demeurés au campement, ne devaient donc pas chercher avant trente-six heures au moins le sommet lumineux de leur quinzième triangle.
Pendant l’absence du colonel Everest, Mathieu Strux et Nicolas Palander se livrèrent à leurs occupations habituelles. Sir John Murray et le bushman battirent les alentours du campement, et tuèrent quelques pièces appartenant à l’espèce des antilopes, si variée dans les régions de l’Afrique australe.
Sir John ajouta même à ses exploits cynégétiques le «forcement» d’une girafe, bel animal, rare dans les contrées du nord, mais commun au milieu des plaines du sud. La chasse de la girafe est regardée comme «un beau sport» par les connaisseurs. Sir John et le bushman tombèrent sur un troupeau de vingt individus, très-farouches, qu’ils ne purent approcher à plus de cinq cents yards. Cependant, une girafe femelle s’étant détachée de la bande, les deux chasseurs résolurent de la forcer. L’animal prit la fuite au petit trot, se laissant gagner volontairement; mais quand les chevaux de sir John et du bushman se furent sensiblement rapprochés, la girafe, tordant la queue, se prit à fuir avec une excessive rapidité. Il fallut la poursuivre pendant plus de deux milles. Enfin, une balle, qui lui fut envoyée au défaut de l’épaule par le rifle de sir John, la jeta sur le flanc. C’était un magnifique échantillon de l’espèce, «cheval par le cou, bœuf par les pieds et les jambes, chameau par la tête,» disaient les Romains, et dont le pelage rougeâtre était tacheté de blanc. Ce singulier ruminant ne mesurait pas moins de onze pieds de hauteur depuis la naissance du sabot jusqu’à l’extrémité de ses petites cornes, revêtues de peau et de poils.
Pendant la nuit suivante, les deux astronomes russes prirent quelques bonnes hauteurs d’étoiles, qui leur servirent à déterminer la latitude du campement.
La journée du 29 juin s’écoula sans incidents. On attendit la nuit prochaine avec une certaine impatience pour fixer le sommet du quinzième triangle. La nuit vint, une nuit sans lune, sans étoiles, mais sèche, et que ne salissait aucun brouillard, nuit très-propice, par conséquent, pour le relèvement d’une mire éloignée.
Toutes les dispositions préliminaires avaient été prises, et la lunette du cercle répétiteur, braquée pendant le jour sur le sommet de la montagne, devait rapidement viser le réverbère électrique, au cas où l’éloignement l’eût rendu invisible à la simple vue.
Donc pendant toute la nuit du 29 au 30, Mathieu Strux, Nicolas Palander et sir John Murray se relayèrent devant l’oculaire de l’instrument,… mais le sommet de la montagne demeura inaperçu, et pas une lumière ne brilla à sa pointe extrême.
Les observateurs en conclurent que l’ascension avait présenté des difficultés sérieuses, et que le colonel Everest n’avait pu atteindre le sommet du cône avant la fin du jour. Ils remirent donc leur observation à la nuit suivante, ne doutant pas que l’appareil lumineux n’eût été installé pendant la journée.
Mais quelle fut leur surprise, quand, ce 30 juin, vers deux heures de l’après-midi, le colonel Everest et ses compagnons, dont rien ne faisait présager le retour, reparurent au campement.
Sir John s’élança au devant de ses collègues.
«Vous, colonel, s’écria-t-il.
– Nous-mêmes, sir John.
– La montagne est-elle donc inaccessible?
– Très-accessible, au contraire, répondit le colonel Everest, mais bien gardée, je vous en réponds. Aussi, venons-nous chercher du renfort.
– Quoi! des indigènes?
– Oui, des indigènes à quatre pattes et à crinière noire, qui ont dévoré un de nos chevaux!»
En quelques mots, le colonel raconta à ses collègues son voyage qui s’était parfaitement effectué jusqu’à la base de la montagne. Cette montagne, on le reconnut alors, n’était franchissable que par un contrefort du sud-ouest. Or précisément, dans l’unique défilé qui aboutit à ce contrefort, une troupe de lions avait établi son «kraal,» suivant l’expression du foreloper. Vainement le colonel Everest essaya de déloger ces formidables animaux; insuffisamment armé, il dut battre en retraite, après avoir perdu un cheval auquel un magnifique lion avait cassé les reins d’un coup de patte.
Un tel récit ne pouvait qu’enflammer sir John Murray et le bushman. Cette «montagne des Lions» était une station à conquérir, station absolument nécessaire, d’ailleurs, à la continuation des travaux géodésiques. L’occasion de se mesurer contre les plus redoutables individus de la race féline était trop belle pour n’en point profiter, et l’expédition fut immédiatement organisée.
Tous les savants européens, sans en excepter le pacifique Palander, voulaient y prendre part; mais il était indispensable que quelques-uns demeurassent au campement pour la mesure des angles adjacents à la base du nouveau triangle. Le colonel Everest, comprenant que sa présence était nécessaire au contrôle de l’opération, se résigna à rester en compagnie des deux astronomes russes. D’autre part, il n’y avait aucun motif qui pût retenir sir John Murray. Le détachement, destiné à forcer les abords de la montagne, se composa donc de sir John, de William Emery et de Michel Zorn, aux instances desquels leurs chefs avaient dû se rendre, puis du bushman qui n’eût cédé sa place à personne, et enfin de trois indigènes dont Mokoum connaissait le courage et le sang-froid.
Après avoir serré la main à leurs collègues, les trois Européens, vers quatre heures du soir, quittèrent le campement, et s’enfoncèrent sous le taillis, dans la direction de la montagne. Ils poussèrent rapidement leurs chevaux, et à neuf heures du soir, ils avaient franchi la distance de trente milles.
Arrivés à deux milles du mont, ils mirent pied à terre et organisèrent leur couchée pour la nuit. Aucun feu ne fut allumé, car Mokoum ne voulait pas attirer l’attention des animaux qu’il désirait combattre au grand jour, ni provoquer une attaque nocturne.
Pendant cette nuit, les rugissements retentirent presque incessamment. C’est pendant l’obscurité, en effet, que ces redoutables carnassiers abandonnent leur tanière et se mettent en quête de nourriture. Aucun des chasseurs ne dormit, même une heure, et le bushman profita de cette insomnie pour leur donner quelques conseils que son expérience rendait précieux.
«Messieurs, leur dit-il d’un ton parfaitement calme, si le colonel Everest ne s’est pas trompé, nous aurons affaire demain à une bande de lions à crinière noire. Ces bêtes-là appartiennent donc à l’espèce la plus féroce et la plus dangereuse. Nous aurons soin de bien nous tenir. Je vous recommande d’éviter le premier bond de ces animaux, qui peuvent franchir, d’un saut, de seize à vingt pas. Leur premier coup manqué, il est rare qu’ils redoublent. J’en parle par expérience. Comme ils rentrent à leur tanière à la reprise du jour, c’est là que nous les attaquerons. Mais ils se défendront, et se défendront bien. Je vous dirai qu’au matin, les lions, bien repus, sont moins féroces, et peut-être moins braves; c’est une question d’estomac. C’est aussi une question de lieu, car ils sont plus timides dans les régions où l’homme les harcelle sans cesse. Mais ici, en pays sauvage, ils auront toutes les férocités de la sauvagerie. Je vous recommanderai aussi, messieurs, de bien évaluer vos distances avant de tirer. Laissez l’animal s’approcher, ne faites feu qu’à coup sûr, et visez au défaut de l’épaule. J’ajouterai que nous laisserons nos chevaux en arrière. Ces animaux s’effraient en présence du lion et compromettent la sûreté de leur cavalier. C’est à pied que nous combattrons, et je compte que le sang-froid ne vous fera pas défaut.»