Vie De Jesus
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De bonne heure, son caractère à part se révéla. La légende se plaît à le montrer dès son enfance en révolte contre l'autorité paternelle et sortant des voies communes pour suivre sa vocation [143]. Il est sûr, au moins, que les relations de parenté furent peu de chose pour lui. Sa famille ne semble pas l'avoir aimé [144], et, par moments, on le trouve dur pour elle [145]. Jésus, comme tous les hommes exclusivement préoccupés d'une idée, arrivait à tenir peu de compte des liens du sang. Le lien de l'idée est le seul que ces sortes de natures reconnaissent: «Voilà ma mère et mes frères, disait-il en étendant la main vers ses disciples; celui qui fait la volonté de mon Père, voilà mon frère et ma sœur.» Les simples gens ne l'entendaient pas ainsi, et un jour une femme, passant près de lui, s'écria, dit-on: «Heureux le ventre qui t'a porté et les seins que tu as sucés!»-«Heureux plutôt, répondit-il [146], celui qui écoute la parole de Dieu et qui la met en pratique!» Bientôt, dans sa hardie révolte contre la nature, il devait aller plus loin encore, et nous le verrons foulant aux pieds tout ce qui est de l'homme, le sang, l'amour, la patrie, ne garder d'âme et de cœur que pour l'idée qui se présentait à lui comme la forme absolue du bien et du vrai.
CHAPITRE IV ORDRE D'IDÉES AU SEIN DUQUEL SE DÉVELOPPA JÉSUS.
Comme la terre refroidie ne permet plus de comprendre les phénomènes de la création primitive, parce que le feu qui la pénétrait s'est éteint; ainsi les explications réfléchies ont toujours quelque chose d'insuffisant, quand il s'agit d'appliquer nos timides procédés d'induction aux révolutions des époques créatrices qui ont décidé du sort de l'humanité. Jésus vécut à un de ces moments où la partie de la vie publique se joue avec franchise, où l'enjeu de l'activité humaine est poussé au centuple. Tout grand rôle, alors, entraîne la mort; car de tels mouvements supposent une liberté et une absence de mesures préventives qui ne peuvent aller sans de terribles contre-poids. Maintenant, l'homme risque peu et gagne peu. Aux époques héroïques de l'activité humaine, l'homme risque tout et gagne tout. Les bons et les méchants, ou du moins ceux qui se croient et que l'on croit tels, forment des armées opposées. On arrive par l'échafaud à l'apothéose; les caractères ont des traits accusés, qui les gravent comme des types éternels dans la mémoire des hommes. En dehors de la Révolution française, aucun milieu historique ne fut aussi propre que celui où se forma Jésus à développer ces forces cachées que l'humanité tient comme en réserve, et qu'elle ne laisse voir qu'à ses jours de fièvre et de péril.
Si le gouvernement du monde était un problème spéculatif, et que le plus grand philosophe fût l'homme le mieux désigné pour dire à ses semblables ce qu'ils doivent croire, c'est du calme et de la réflexion que sortiraient ces grandes règles morales et dogmatiques qu'on appelle des religions. Mais il n'en est pas de la sorte. Si l'on excepte Çakya-Mouni, les grands fondateurs religieux n'ont pas été des métaphysiciens. Le bouddhisme lui-même, qui est bien sorti de la pensée pure, a conquis une moitié de l'Asie pour des motifs tout politiques et moraux. Quant aux religions sémitiques, elles sont aussi peu philosophiques qu'il est possible. Moïse et Mahomet n'ont pas été des spéculatifs: ce furent des hommes d'action. C'est en proposant l'action à leurs compatriotes, à leurs contemporains, qu'ils ont dominé l'humanité. Jésus, de même, ne fut pas un théologien, un philosophe ayant un système plus ou moins bien composé. Pour être disciple de Jésus, il ne fallait signer aucun formulaire, ni prononcer aucune profession de foi; il ne fallait qu'une seule chose, s'attacher à lui, l'aimer. Il ne disputa jamais sur Dieu, car il le sentait directement en lui. L'écueil des subtilités métaphysiques, contre lequel le christianisme alla heurter dès le IIIe siècle, ne fut nullement posé par le fondateur. Jésus n'eut ni dogmes, ni système, mais une résolution personnelle fixe, qui, ayant dépassé en intensité toute autre volonté créée, dirige encore à l'heure qu'il est les destinées de l'humanité.
Le peuple juif a eu l'avantage, depuis la captivité de Babylone jusqu'au moyen âge, d'être toujours dans une situation très-tendue. Voilà pourquoi les dépositaires de l'esprit de la nation, durant ce long période, semblent écrire sous l'action d'une fièvre intense, qui les met sans cesse au-dessus et au-dessous de la raison, rarement dans sa moyenne voie. Jamais l'homme n'avait saisi le problème de l'avenir et de sa destinée avec un courage plus désespéré, plus décidé à se porter aux extrêmes. Ne séparant pas le sort de l'humanité de celui de leur petite race, les penseurs juifs sont les premiers qui aient eu souci d'une théorie générale de la marche de notre espèce. La Grèce, toujours renfermée en elle-même, et uniquement attentive à ses querelles de petites villes, a eu des historiens admirables; mais avant l'époque romaine, on chercherait vainement chez elle un système général de philosophie de l'histoire, embrassant toute l'humanité. Le juif, au contraire, grâce à une espèce de sens prophétique qui rend par moments le sémite merveilleusement apte à voir les grandes lignes de l'avenir, a fait entrer l'histoire dans la religion. Peut-être doit-il un peu de cet esprit à la Perse. La Perse, depuis une époque ancienne, conçut l'histoire du monde comme une série d'évolutions, à chacune desquelles préside un prophète. Chaque prophète a son hazar, ou règne de mille ans (chiliasme), et de ces âges successifs, analogues aux millions de siècles dévolus à chaque bouddha de l'Inde, se compose la trame des événements qui préparent le règne d'Ormuzd. A la fin des temps, quand le cercle des chiliasmes sera épuisé, viendra le paradis définitif. Les hommes alors vivront heureux; la terre sera comme une plaine; il n'y aura qu'une langue, une loi et un gouvernement pour tous les hommes. Mais cet avénement sera précédé de terribles calamités. Dahak (le Satan de la Perse) rompra les fers qui l'enchaînent et s'abattra sur le monde. Deux prophètes viendront consoler les hommes et préparer le grand avénement [147]. Ces idées couraient le monde et pénétraient jusqu'à Rome, où elles inspiraient un cycle de poëmes prophétiques, dont les idées fondamentales étaient la division de l'histoire de l'humanité en périodes, la succession des dieux répondant à ces périodes, un complet renouvellement du monde, et l'avénement final d'un âge d'or [148]. Le livre de Daniel, le livre d'Hénoch, certaines parties des livres sibyllins [149], sont l'expression juive de la même théorie. Certes il s'en faut que ces pensées fussent celles de tous. Elles ne furent d'abord embrassées que par quelques personnes à l'imagination vive et portées vers les doctrines étrangères. L'auteur étroit et sec du livre d'Esther n'a jamais pensé au reste du monde que pour le dédaigner et lui vouloir du mal [150]. L'épicurien désabusé qui a écrit l'Ecclésiaste pense si peu à l'avenir qu'il trouve même inutile de travailler pour ses enfants; aux yeux de ce célibataire égoïste, le dernier mot de la sagesse est de placer son bien à fonds perdu [151]. Mais les grandes choses dans un peuple se font d'ordinaire par la minorité. Avec ses énormes défauts, dur, égoïste, moqueur, cruel, étroit, subtil, sophiste, le peuple juif est cependant Fauteur eu plus beau mouvement d'enthousiasme désintéressé dont parle l'histoire. L'opposition fait toujours la gloire d'un pays. Les plus grands hommes d'une nation sont ceux qu'elle met à mort. Socrate a fait la gloire d'Athènes, qui n'a pas jugé pouvoir vivre avec lui. Spinoza est le plus grand des juifs modernes, et la synagogue l'a exclu avec ignominie. Jésus a été la gloire du peuple d'Israël, qui l'a crucifié.
