Vie De Jesus
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La Galilée était de la sorte une vaste fournaise, où s'agitaient en ébullition les éléments les plus divers [187]. Un mépris extraordinaire de la vie, ou pour mieux dire une sorte d'appétit de la mort fut la conséquence de ces agitations [188]. L'expérience ne compte pour rien dans les grands mouvements fanatiques. L'Algérie, aux premiers temps de l'occupation française, voyait se lever, chaque printemps, des inspirés, qui se déclaraient invulnérables et envoyés de Dieu pour chasser les infidèles; l'année suivante, leur mort était oubliée, et leur successeur ne trouvait pas une moindre foi. Très-dure par un côté, la domination romaine, peu tracassière encore, permettait beaucoup de liberté. Ces grandes dominations brutales, terribles dans la répression, n'étaient pas soupçonneuses comme le sont les puissances qui ont un dogme à garder. Elles laissaient tout faire jusqu'au jour où elles croyaient devoir sévir. Dans sa carrière vagabonde, on ne voit pas que Jésus ait été une seule fois gêné par la police. Une telle liberté, et par-dessus tout le bonheur qu'avait la Galilée d'être beaucoup moins resserrée dans les liens du pédantisme pharisaïque, donnaient à cette contrée une vraie supériorité sur Jérusalem. La révolution, ou en d'autres termes le messianisme, y faisait travailler toutes les têtes. On se croyait à la veille de voir apparaître la grande rénovation; l'Écriture torturée en des sens divers servait d'aliment aux plus colossales espérances. A chaque ligne des simples écrits de l'Ancien Testament, on voyait l'assurance et en quelque sorte le programme du règne futur qui devait apporter la paix aux justes et sceller à jamais l'œuvre de Dieu.
De tout temps, cette division en deux parties opposées d'intérêt et d'esprit avait été pour la nation hébraïque un principe de fécondité dans l'ordre moral. Tout peuple appelé à de hautes destinées doit être un petit monde complet, renfermant dans son sein les pôles opposés. La Grèce offrait à quelques lieues de distance Sparte et Athènes, les deux antipodes pour un observateur superficiel, en réalité sœurs rivales, nécessaires l'une à l'autre. Il en fut de même de la Judée. Moins brillant en un sens que le développement de Jérusalem, celui du nord fut en somme bien plus fécond; les œuvres les plus vivantes du peuple juif étaient toujours venues de là. Une absence complète du sentiment de la nature, aboutissant à quelque chose de sec, d'étroit, de farouche, a frappé toutes les œuvres purement hiérosolymites d'un caractère grandiose, mais triste, aride et repoussant. Avec ses docteurs solennels, ses insipides canonistes, ses dévots hypocrites et atrabilaires, Jérusalem n'eût pas conquis l'humanité. Le nord a donné au monde la naïve Sulamite, l'humble Chananéenne, la passionnée Madeleine, le bon nourricier Joseph, la Vierge Marie. Le nord seul a fait le christianisme; Jérusalem, au contraire, est la vraie patrie du judaïsme obstiné qui, fondé par les pharisiens, fixé par le Talmud, a traversé le moyen âge et est venu jusqu'à nous.
Une nature ravissante contribuait à former cet esprit beaucoup moins austère, moins âprement monothéiste, si j'ose le dire, qui imprimait à tous les rêves de la Galilée un tour idyllique et charmant. Le plus triste pays du monde est peut-être la région voisine de Jérusalem. La Galilée, au contraire, était un pays très-vert, très-ombragé, très-souriant, le vrai pays du Cantique des cantiques et des chansons du bien-aimé [189]. Pendant les deux mois de mars et d'avril, la campagne est un tapis de fleurs, d'une franchise de couleurs incomparable. Les animaux y sont petits, mais d'une douceur extrême. Des tourterelles sveltes et vives, des merles bleus si légers qu'ils posent sur une herbe sans la faire plier, des alouettes huppées, qui viennent presque se mettre sous les pieds du voyageur, de petites tortues de ruisseaux, dont l'œil est vif et doux, des cigognes à l'air pudique et grave, dépouillant toute timidité, se laissent approcher de très-près par l'homme et semblent l'appeler. En aucun pays du monde, les montagnes ne se déploient avec plus d'harmonie et n'inspirent de plus hautes pensées. Jésus semble les avoir particulièrement aimées. Les actes les plus importants de sa carrière divine se passent sur les montagnes; c'est là qu'il était le mieux inspiré [190]; c'est là qu'il avait avec les anciens prophètes de secrets entretiens, et qu'il se montrait aux yeux de ses disciples déjà transfiguré [191].
Ce joli pays, devenu aujourd'hui, par suite de l'énorme appauvrissement que l'islamisme a opéré dans la vie humaine, si morne, si navrant, mais où tout ce que l'homme n'a pu détruire respire encore l'abandon, la douceur, la tendresse, surabondait, à l'époque de Jésus, de bien-être et de gaieté. Les Galiléens passaient pour énergiques, braves et laborieux [192]. Si l'on excepte Tibériade, bâtie par Antipas en l'honneur de Tibère (vers l'an 15) dans le style romain [193], la Galilée n'avait pas de grandes villes. Le pays était néanmoins fort peuplé, couvert de petites villes et de gros villages, cultivé avec art dans toutes ses parties [194]. Aux ruines qui restent de son ancienne splendeur, on sent un peuple agricole, nullement doué pour l'art, peu soucieux de luxe, indifférent aux beautés de la forme, exclusivement idéaliste. La campagne abondait en eaux fraîches et en fruits; les grosses fermes étaient ombragées de vignes et de figuiers; les jardins étaient des massifs de pommiers, de noyers, de grenadiers [195]. Le vin était excellent, s'il en faut juger par celui que les juifs recueillent encore à Safed, et on en buvait beaucoup [196]. Cette vie contente et facilement satisfaite n'aboutissait pas à l'épais matérialisme de notre paysan, à la grosse joie d'une Normandie plantureuse, à la pesante gaieté des Flamands. Elle se spiritualisait en rêves éthérés, en une sorte de mysticisme poétique confondant le ciel et la terre. Laissez l'austère Jean-Baptiste dans son désert de Judée, prêcher la pénitence, tonner sans cesse, vivre de sauterelles en compagnie des chacals. Pourquoi les compagnons de l'époux jeûneraient-ils pendant que l'époux est avec eux? La joie fera partie du royaume de Dieu. N'est-elle pas la fille des humbles de cœur, des hommes de bonne volonté?
Toute l'histoire du christianisme naissant est devenue de la sorte une délicieuse pastorale. Un Messie aux repas de noces, la courtisane et le bon Zachée appelés à ses festins, les fondateurs du royaume du ciel comme un cortège de paranymphes: voilà ce que la Galilée a osé, ce qu'elle a fait accepter. La Grèce a tracé de la vie humaine par la sculpture et la poésie des tableaux charmants, mais toujours sans fonds fuyants ni horizons lointains. Ici manquent le marbre, les ouvriers excellents, la langue exquise et raffinée. Mais la Galilée a créé à l'état d'imagination populaire le plus sublime idéal; car derrière son idylle s'agite le sort de l'humanité, et la lumière qui éclaire son tableau est le soleil du royaume de Dieu.
Jésus vivait et grandissait dans ce milieu enivrant. Dès son enfance, il fit presque annuellement le voyage de Jérusalem pour les fêtes [197]. Le pèlerinage était pour les Juifs provinciaux une solennité pleine de douceur. Des séries entières de psaumes étaient consacrées à chanter le bonheur de cheminer ainsi en famille [198], durant plusieurs jours, au printemps, à travers les collines et les vallées, tous ayant en perspective les splendeurs de Jérusalem, les terreurs des parvis sacrés, la joie pour des frères de demeurer ensemble [199]. La route que Jésus suivait d'ordinaire dans ces voyages était celle que l'on suit aujourd'hui, par Ginsea et Sichem [200]. De Sichem à Jérusalem elle est fort sévère. Mais le voisinage des vieux sanctuaires de Silo, de Béthel, près desquels on passe, tient l'âme en éveil. Ain-el-Haramié, la dernière étape [201], est un lieu mélancolique et charmant, et peu d'impressions égalent celle qu'on éprouve en s'y établissant pour le campement du soir. La vallée est étroite et sombre; une eau noire sort des rochers percés de tombeaux, qui en forment les parois. C'est, je crois, la «Vallée des pleurs,» ou des eaux suintantes, chantée comme une des stations du chemin dans le délicieux psaume [202], et devenue, pour le mysticisme doux et triste du moyen âge, l'emblème de la vie. Le lendemain, de bonne heure, on sera à Jérusalem; une telle attente, aujourd'hui encore, soutient la caravane, rend la soirée courte et le sommeil léger.
