Vie De Jesus
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Jusqu'au temps des Macchabées, le judaïsme, malgré sa persistance à annoncer qu'il serait un jour la religion du genre humain, avait eu le caractère de tous les autres cultes de l'antiquité: c'était un culte de famille et de tribu. L'israélite pensait bien que son culte était le meilleur, et parlait avec mépris des dieux étrangers. Mais il croyait aussi que la religion du vrai Dieu n'était faite que pour lui seul. On embrassait le culte de Jéhovah quand on entrait dans la famille juive [87]; voilà tout. Aucun israélite ne songeait à convertir l'étranger à un culte qui était le patrimoine des fils d'Abraham. Le développement de l'esprit piétiste, depuis Esdras et Néhémie, amena une conception beaucoup plus ferme et plus logique. Le judaïsme devint la vraie religion d'une manière absolue; on accorda à qui voulut le droit d'y entrer [88]; bientôt ce fut une œuvre pie d'y amener le plus de monde possible [89]. Sans doute, le sentiment délicat qui éleva Jean-Baptiste, Jésus, saint Paul, au-dessus des mesquines idées de races n'existait pas encore; par une étrange contradiction, ces convertis (prosélytes) étaient peu considérés et traités avec dédain [90]. Mais l'idée d'une religion exclusive, l'idée qu'il y a quelque chose au monde de supérieur à la patrie, au sang, aux lois, l'idée qui fera les apôtres et les martyrs, était fondée. Une profonde pitié pour les païens, quelque brillante que soit leur fortune mondaine, est désormais le sentiment de tout juif [91]. Par un cycle de légendes, destinées à fournir des modèles d'inébranlable fermeté (Daniel et ses compagnons, la mère des Macchabées et ses sept fils [92], le roman de l'Hippodrome d'Alexandrie [93]), les guides du peuple cherchent surtout à inculquer cette idée que la vertu consiste dans un attachement fanatique à des institutions religieuses déterminées.
Les persécutions d'Antiochus Épiphane firent de cette idée une passion, presque une frénésie. Ce fut quelque chose de très-analogue à ce qui se passa sous Néron, deux cent trente ans plus tard. La rage et le désespoir jetèrent les croyants dans le monde des visions et des rêves. La première apocalypse, le «Livre de Daniel,» parut. Ce fut comme une renaissance du prophétisme, mais sous une forme très-différente de l'ancienne et avec un sentiment bien plus large des destinées du monde. Le Livre de Daniel donna en quelque sorte aux espérances messianiques leur dernière expression. Le Messie ne fut plus un roi à la façon de David et de Salomon, un Cyrus théocrate et mosaïste; ce fut un «fils de l'homme» apparaissant dans la nue [94], un être surnaturel, revêtu de l'apparence humaine, chargé de juger le monde et de présider à l'âge d'or. Peut-être le Sosiosch de la Perse, le grand prophète à venir, chargé de préparer le règne d'Ormuzd, donna-t-il quelques traits à ce nouvel idéal [95]. L'auteur inconnu du Livre de Daniel eut, en tout cas, une influence décisive sur l'événement religieux qui allait transformer le monde. Il fournit la mise en scène et les termes techniques du nouveau messianisme, et on peut lui appliquer ce que Jésus disait de Jean-Baptiste: Jusqu'à lui, les prophètes; à partir de lui, le royaume de Dieu.
Il ne faut pas croire cependant que ce mouvement, si profondément religieux et passionné, eût pour mobile des dogmes particuliers, comme cela a eu lieu dans toutes les luttes qui ont éclaté au sein du christianisme. Le juif de cette époque était aussi peu théologien que possible. Il ne spéculait pas sur l'essence de la divinité; les croyances sur les anges, sur les fins de l'homme, sur les hypostases divines, dont le premier germe se laissait déjà entrevoir, étaient des croyances libres, des méditations auxquelles chacun se livrait selon la tournure de son esprit, mais dont une foule de gens n'avaient pas entendu parler. C'étaient même les plus orthodoxes qui restaient en dehors de toutes ces imaginations particulières, et s'en tenaient à la simplicité du mosaïsme. Aucun pouvoir dogmatique analogue à celui que le christianisme orthodoxe a déféré à l'Église n'existait alors. Ce n'est qu'à partir du IIIe siècle, quand le christianisme est tombé entre les mains de races raisonneuses, folles de dialectique et de métaphysique, que commence cette fièvre de définitions, qui fait de l'histoire de l'Église l'histoire d'une immense controverse. On disputait aussi chez les Juifs; des écoles ardentes apportaient à presque toutes les questions qui s'agitaient des solutions opposées; mais dans ces luttes, dont le Talmud nous a conservé les principaux détails, il n'y a pas un seul mot de théologie spéculative. Observer et maintenir la loi, parce que la loi est juste, et que, bien observée, elle donne le bonheur, voilà tout le judaïsme. Nul credo, nul symbole théorique. Un disciple de la philosophie arabe la plus hardie, Moïse Maimonide, a pu devenir l'oracle de la synagogue, parce qu'il a été un canoniste très-exercé.
Les règnes des derniers Asmonéens et celui d'Hérode virent l'exaltation grandir encore. Ils furent remplis par une série non interrompue de mouvements religieux. A mesure que le pouvoir se sécularisait et passait en des mains incrédules, le peuple juif vivait de moins en moins pour la terre et se laissait de plus en plus absorber par le travail étrange qui s'opérait en son sein. Le monde, distrait par d'autres spectacles, n'a nulle connaissance de ce qui se passe en ce coin oublié de l'Orient. Les âmes au courant de leur siècle sont pourtant mieux avisées. Le tendre et clairvoyant Virgile semble répondre, comme par un écho secret, au second Isaïe; la naissance d'un enfant le jette dans des rêves de palingénésie universelle [96]. Ces rêves étaient ordinaires et formaient comme un genre de littérature, que l'on couvrait du nom des Sibylles. La formation toute récente de l'Empire exaltait les imaginations; la grande ère de paix où l'on entrait et cette impression de sensibilité mélancolique qu'éprouvent les âmes après les longues périodes de révolution, faisaient naître de toute part des espérances illimitées.
En Judée, l'attente était à son comble. De saintes personnes, parmi lesquelles on cite un vieux Siméon, auquel la légende fait tenir Jésus dans ses bras, Anne, fille de Phanuel, considérée comme prophétesse [97], passaient leur vie autour du temple, jeûnant, priant, pour qu'il plût à Dieu de ne pas les retirer du monde sans avoir vu l'accomplissement des espérances d'Israël. On sent une puissante incubation, l'approche de quelque chose d'inconnu.
Ce mélange confus de claires vues et de songes, cette alternative de déceptions et d'espérances, ces aspirations, sans cesse refoulées par une odieuse réalité, trouvèrent enfin leur interprète dans l'homme incomparable auquel la conscience universelle a décerné le titre de Fils de Dieu, et cela avec justice, puisqu'il a fait faire à la religion un pas auquel nul autre ne peut et probablement ne pourra jamais être comparé.
