Vie De Jesus
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L'horizon de la ville est étroit, mais si l'on monte quelque peu et que l'on atteigne le plateau fouetté d'une brise perpétuelle qui domine les plus hautes maisons, la perspective est splendide. A l'ouest, se déploient les belles lignes du Carmel, terminées par une pointe abrupte qui semble se plonger dans la mer. Puis se déroulent le double sommet qui domine Mageddo, les montagnes du pays de Sichem avec leurs lieux saints de l'âge patriarcal, les monts Gelboé, le petit groupe pittoresque auquel se rattachent les souvenirs gracieux ou terribles de Sulem et d'Endor, le Thabor avec sa belle forme arrondie, que l'antiquité comparait à un sein. Par une dépression entre la montagne de Sulem et le Thabor, s'entrevoient la vallée du Jourdain et les hautes plaines de la Pérée, qui forment du côté de l'est une ligne continue. Au nord, les montagnes de Safed, en s'inclinant vers la mer, dissimulent Saint-Jean-d'Acre, mais laissent se dessiner aux yeux le golfe de Khaïfa. Tel fut l'horizon de Jésus. Ce cercle enchanté, berceau du royaume de Dieu, lui représenta le monde durant des années. Sa vie même sortit peu des limites familières à son enfance. Car au delà, du côté du nord, l'on entrevoit presque sur les flancs de l'Hermon, Césarée de Philippe, sa pointe la plus avancée dans le monde des Gentils, et du côté du sud, on pressent, derrière ces montagnes déjà moins riantes de la Samarie, la triste Judée, desséchée comme par un vent brûlant d'abstraction et de mort.
Si jamais le monde resté chrétien, mais arrivé à une notion meilleure de ce qui constitue le respect des origines, veut remplacer par d'authentiques lieux saints les sanctuaires apocryphes et mesquins où s'attachait la piété des âges grossiers, c'est sur cette hauteur de Nazareth qu'il bâtira son temple. Là, au point d'apparition du christianisme et au centre d'action de son fondateur, devrait s'élever la grande église où tous les chrétiens pourraient prier. Là aussi, sur cette terre où dorment le charpentier Joseph et des milliers de Nazaréens oubliés, qui n'ont pas franchi l'horizon de leur vallée, le philosophe serait mieux placé qu'en aucun lieu du monde pour contempler le cours des choses humaines, se consoler de leur contingence, se rassurer sur le but divin que le monde poursuit à travers d'innombrables défaillances et nonobstant l'universelle vanité.
CHAPITRE III ÉDUCATION DE JÉSUS.
Cette nature à la fois riante et grandiose fut toute l'éducation de Jésus. Il apprit à lire et à écrire [122], sans doute selon la méthode de l'Orient, consistant à mettre entre les mains de l'enfant un livre qu'il répète en cadence avec ses petits camarades, jusqu'à ce qu'il le sache par cœur [123]. Il est douteux pourtant qu'il comprît bien les écrits hébreux dans leur langue originale. Les biographes les lui font citer d'après des traductions en langue araméenne [124]; ses principes d'exégèse, autant que nous pouvons nous les figurer par ceux de ses disciples, ressemblaient beaucoup à ceux qui avaient cours alors et qui font l'esprit des Targums et des Midraschim [125].
Le maître d'école dans les petites villes juives était le hazzan ou lecteur des synagogues [126]. Jésus fréquenta peu les écoles plus relevées des scribes ou soferim (Nazareth n'en avait peut-être pas), et il n'eut aucun de ces titres qui donnent aux yeux du vulgaire les droits du savoir [127]. Ce serait une grande erreur cependant de s'imaginer que Jésus fut ce que nous appelons un ignorant. L'éducation scolaire trace chez nous une distinction profonde, sous le rapport de la valeur personnelle, entre ceux qui l'ont reçue et ceux qui en sont dépourvus. Il n'en était pas de même en Orient ni en général dans la bonne antiquité. L'état de grossièreté où reste, chez nous, par suite de notre vie isolée et tout individuelle, celui qui n'a pas été aux écoles est inconnu dans ces sociétés, où la culture morale et surtout l'esprit général du temps se transmettent par le contact perpétuel des hommes. L'Arabe, qui n'a eu aucun maître, est souvent néanmoins très-distingué; car la tente est une sorte d'école toujours ouverte, où, de la rencontre des gens bien élevés, naît un grand mouvement intellectuel et même littéraire. La délicatesse des manières et la finesse de l'esprit n'ont rien de commun en Orient avec ce que nous appelons éducation. Ce sont les hommes d'école au contraire qui passent pour pédants et mal élevés. Dans cet état social, l'ignorance, qui chez nous condamne l'homme à un rang inférieur, est la condition des grandes choses et de la grande originalité.
Il n'est pas probable qu'il ait su le grec. Cette langue était peu répandue en Judée hors des classes qui participaient au gouvernement et des villes habitées par les païens, comme Césarée [128]. L'idiome propre de Jésus était le dialecte syriaque mêlé d'hébreu qu'on parlait alors en Palestine [129]. A plus forte raison n'eut-il aucune connaissance de la culture grecque. Cette culture était proscrite par les docteurs palestiniens, qui enveloppaient dans une même malédiction «celui qui élève des porcs et celui qui apprend à son fils la science grecque [130].» En tout cas elle n'avait pas pénétré dans les petites villes comme Nazareth. Nonobstant l'anathème des docteurs, il est vrai, quelques Juifs avaient déjà embrassé la culture hellénique. Sans parler de l'école juive d'Égypte, ou les tentatives pour amalgamer l'hellénisme et le judaïsme se continuaient depuis près de deux cents ans, un juif, Nicolas de Damas, était devenu, dans ce temps même, l'un des hommes les plus distingués, les plus instruits, les plus considérés de son siècle. Bientôt Josèphe devait fournir un autre exemple de juif complétement hellénisé. Mais Nicolas n'avait de juif que le sang; Josèphe déclare avoir été parmi ses contemporains une exception [131], et toute l'école schismatique d'Égypte s'était détachée de Jérusalem à tel point qu'on n'en trouve pas le moindre souvenir dans le Talmud ni dans la tradition juive. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à Jérusalem le grec était très-peu étudié, que les études grecques étaient considérées comme dangereuses et même serviles, qu'on les déclarait bonnes tout au plus pour les femmes en guise de parure [132]. L'étude seule de la Loi passait pour libérale et digne d'un homme sérieux [133]. Interrogé sur le moment où il convenait d'enseigner aux enfants «la sagesse grecque,» un savant rabbin avait répondu: «A l'heure qui n'est ni le jour ni la nuit, puisqu'il est écrit de la Loi: Tu l'étudieras jour et nuit [134].»
Ni directement ni indirectement, aucun élément de culture hellénique ne parvint donc jusqu'à Jésus. Il ne connut rien hors du judaïsme, son esprit conserva cette franche naïveté qu'affaiblit toujours une culture étendue et variée. Dans le sein même du judaïsme, il resta étranger à beaucoup d'efforts souvent parallèles aux siens. D'une part, l'ascétisme des Esséniens ou Thérapeutes [135], de l'autre, les beaux essais de philosophie religieuse tentés par l'école juive d'Alexandrie, et dont Philon, son contemporain, était l'ingénieux interprète, lui furent inconnus. Les fréquentes ressemblances qu'on trouve entre lui et Philon, ces excellentes maximes d'amour de Dieu, de charité, de repos en Dieu [136], qui font comme un écho entre l'Évangile et les écrits de l'illustre penseur alexandrin, viennent des communes tendances que les besoins du temps inspiraient à tous les esprits élevés.
