Justine Ou Les Malheurs De La Vertu

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Justine Ou Les Malheurs De La Vertu
Название: Justine Ou Les Malheurs De La Vertu
Дата добавления: 16 январь 2020
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Justine Ou Les Malheurs De La Vertu - читать бесплатно онлайн , автор de Sade Marquis Alphonse Francois

Rejetant la douce nature rousseauiste, Sade d?voile le mal qui est en nous et dans la vie. La vertueuse Justine fait la confidence de ses malheurs et demeure jusque dans les plus scabreux d?tails l'incarnation de la vertu. Apologie du crime, de la libert? des corps comme des esprits, de la cruaut? 'extr?me sensibilit? des organes connue seulement des ?tres d?licats', l'oeuvre du marquis de Sade ?tonne ou scandalise. C'est aussi une oeuvre d'une po?sie d?lirante et pleine d'humour noir.

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– Mais, mademoiselle, interrompis-je, effrayée… et la religion? il vous restait au moins cette voie… Ne pouviez-vous pas consulter un directeur et lui tout avouer?

– Ah! ne sais-tu donc pas qu'à mesure qu'il nous pervertit, il étouffe dans nous toutes les semences de la religion, et qu'il nous en interdit tous les actes?… et d'ailleurs le pouvais-je? A peine m'a-t-il instruite. Le peu qu'il m'a dit sur ces matières n'a été que dans la crainte que mon ignorance ne trahît son impiété. Mais je n'ai jamais été à confesse, je n'ai jamais fait ma première communion; il sait si bien ridiculiser toutes ces choses, en absorber dans nous jusqu'aux moindres idées, qu'il éloigne à jamais de leurs devoirs celles qu'il a subornées; ou si elles sont contraintes à les remplir à cause de leur famille, c'est avec une tiédeur, une indifférence si entières, qu'il ne redoute rien de leur indiscrétion. Mais convaincs-toi, Thérèse, convaincs-toi par tes propres yeux, continue-t-elle en me poussant fort vite dans le cabinet d'où nous sortions; viens, cette chambre où il corrige ses écoliers est la même que celle où il jouit de nous; voici la classe finie, c'est l'heure où, échauffé des préliminaires, il va venir se dédommager de la contrainte que lui impose quelquefois sa prudence; remets-toi où tu étais, chère fille, et tes yeux vont tout découvrir.

Quelque peu curieuse que je fusse de ces nouvelles horreurs, il valait pourtant mieux pour moi me rejeter dans ce cabinet que de me faire surprendre avec Rosalie pendant les classes; Rodin en eût infailliblement conçu des soupçons. Je me place donc; à peine y suis-je, que Rodin entre chez sa fille; il la conduit dans celui dont il vient d'être question, les deux femmes du logis s'y rendent; et là, l'impudique Rodin, n'ayant plus de mesures à garder, se livre à l'aise et sans aucun voile à toutes les irrégularités de sa débauche. Les deux paysannes, totalement nues, sont fustigées à tour de bras; pendant qu'il agit sur une, l'autre le lui rend, et dans l'intervalle, il accable des plus sales caresses, des plus effrénées, des plus dégoûtantes, le même autel dans Rosalie, qui, élevée sur un fauteuil, le lui présente un peu penchée. Vient enfin le tour de cette malheureuse: Rodin l'attache au poteau comme ses écolières, et pendant que l'une après l'autre, et quelquefois toutes deux ensemble, ses femmes le déchirent lui-même, il fouette sa fille, il la frappe depuis le milieu des reins jusqu'au bas des cuisses, en s'extasiant de plaisir. Son agitation est extrême, il hurle, il blasphème, il flagelle; ses verges ne s'impriment nulle part que ses lèvres ne s'y collent aussitôt. Et l'intérieur de l'autel, et la bouche de la victime… tout, excepté le devant, tout est dévoré de suçons; bientôt, sans varier l'attitude, se contentant de se la rendre plus propice, Rodin pénètre dans l'asile étroit des plaisirs; le même trône est, pendant ce temps, offert à ses baisers par sa gouvernante, l'autre fille le fouette autant qu'elle a de forces; Rodin est aux nues, il pourfend, il déchire, mille baisers plus chauds les uns que les autres expriment son ardeur sur ce qu'on présente à sa lavure; la bombe éclate, et le libertin enivré ose goûter les plus doux plaisirs au sein de l'inceste et de l'infamie.

Rodin alla se mettre à table: après de tels exploits, il avait besoin de réparer. Le soir il y avait encore et classe et correction; je pouvais observer de nouvelles scènes si je l'eusse désiré, mais j'en avais assez pour me convaincre et pour déterminer ma réponse aux offres de ce scélérat. L'époque où je devais la rendre approchait. Deux jours après ces événements-ci, lui-même vint me la demander dans ma chambre. Il me surprit au lit. Le prétexte de voir s'il ne restait plus aucune trace de mes blessures lui donna, sans que je pusse m'y opposer, le droit de m'examiner nue, et comme il en faisait autant deux fois le jour depuis un mois, sans que je n'eusse encore aperçu dans lui rien qui pût blesser ma pudeur, je ne crus pas devoir résister. Mais Rodin avait d'autres projets, cette fois-ci: quand il en est à l'objet de son culte, il passe une de ses cuisses autour de mes reins, et l'appuie tellement, que je me trouve, pour ainsi dire, hors de défense.

– Thérèse, me dit-il alors en faisant promener ses mains de manière à ne plus me laisser aucun doute, vous voilà rétablie, ma chère, vous pouvez maintenant me témoigner la reconnaissance dont j'ai vu votre cœur rempli; la manière est aisée, il ne me faut que ceci, continua le traître en fixant ma position de toutes les forces qu'il pouvait employer… Oui, ceci seulement, voilà ma récompense, je n'exige jamais que cela des femmes… Mais, continue-t-il, c'est que c'est un des plus beaux que j'aie vus de ma vie… Que de rondeur!… quelle élasticité!… que de finesse dans la peau!… Oh! je veux absolument en jouir…

En disant cela, Rodin, vraisemblablement déjà prêt à l'exécution de ses projets, pour achever de les accomplir est obligé de me lâcher un moment; je profite du jour qu'il me donne, et me dégageant de ses bras:

– Monsieur, lui dis-je, je vous prie de bien vous convaincre qu'il n'est rien dans le monde entier qui puisse m'engager aux horreurs que vous semblez vouloir. Ma reconnaissance vous est due, j'en conviens, mais je ne l'acquitterai pas au prix d'un crime. Je suis pauvre et très malheureuse, sans doute; n'importe, voilà le peu d'argent que je possède, continué-je en lui offrant ma chétive bourse, prenez ce que vous jugerez à propos, et laissez-moi quitter cette maison, je vous prie, dès que j'en suis en état.

Rodin, confondu d'une résistance à laquelle il s'attendait peu avec une fille dénuée de ressources, et que d'après une injustice ordinaire aux hommes, il supposait malhonnête par cela seul qu'elle était dans la misère, Rodin, dis-je, me regarde avec attention:

– Thérèse, reprit-il au bout d'un instant, c'est assez mal à propos que tu fais la vestale avec moi; j'avais, ce me semble, quelque droit à des complaisances de ta part; n'importe, garde ton argent mais ne me quitte point. Je suis bien aise d'avoir une fille sage dans ma maison, celles qui m'entourent le sont si peu!… Puisque tu te montres si vertueuse dans ce cas-ci, tu le seras, j'espère, également dans tous. Mes intérêts s'y trouveront, ma fille t'aime, elle vient de me supplier, tout à l'heure encore, de t'engager à ne point nous quitter; reste donc près de nous, je t'y invite.

– Monsieur, répondis-je, je n'y serais pas heureuse; les deux femmes qui vous servent aspirent à tous les sentiments qu'il est en vous de leur accorder; elles ne me verront pas sans jalousie, et je serai tôt ou tard contrainte à vous quitter.

– Ne l'appréhende pas, me répondit Rodin, ne crains aucun des effets de la jalousie de ces femmes; je saurai les tenir à leur place en maintenant la tienne, et toi seule posséderas ma confiance sans qu'aucun risque en résulte pour toi. Mais pour continuer d'en être digne, il est bon que tu saches que la première qualité que j'exige de toi, Thérèse, est une discrétion à toute épreuve. Il se passe beaucoup de choses ici, beaucoup qui contrarieront tes principes de vertu; il faut tout voir, mon enfant, tout entendre, et ne jamais rien dire… Ah! reste avec moi, Thérèse, restes-y, mon enfant, je t'y garde avec joie; au milieu de beaucoup de vices où m'emportent un tempérament de feu, un esprit sans frein et un cœur très gâté, j'aurai du moins la consolation d'avoir un être vertueux près de moi, et dans le sein duquel je me rejetterai comme aux pieds d'un dieu, quand je serai rassasié de mes débauches…

Ô ciel! pensai-je en ce moment, la vertu est donc nécessaire, elle est donc indispensable à l'homme, puisque le vicieux lui-même est obligé de se rassurer par elle, et de s'en servir comme d'abri! Me rappelant ensuite les instances que Rosalie m'avait faites pour ne la point quitter, et croyant reconnaître dans Rodin quelques bons principes, je m'engageai décidément chez lui.

– Thérèse, me dit Rodin au bout de quelques jours, c'est auprès de ma fille que je vais te mettre; de cette manière, tu n'auras rien à démêler avec mes deux autres femmes, et je te donne trois cents livres de gages.

Une telle place était une espèce de fortune dans ma position; enflammée du désir de ramener Rosalie au bien, et peut-être son père même, si je prenais sur lui quelque empire, je ne me repentis point de ce que je venais de faire… Rodin, m'ayant fait habiller, me conduisit dès le même instant à sa fille, en lui annonçant qu'il me donnait à elle; Rosalie me reçut avec des transports de joie inouïs, et je fus promptement installée.

Il ne se passa pas huit jours sans que je commençasse à travailler aux conversions que je désirais, mais l'endurcissement de Rodin rompait toutes mes mesures.

– Ne crois pas, répondait-il à mes sages conseils, que l'espèce d'hommage que j'ai rendu à la vertu dans toi soit une preuve ni que j'estime la vertu, ni que j'aie envie de la préférer au vice. Ne l'imagine pas, Thérèse, tu t'abuserais; ceux qui, partant de ce que j'ai fait envers toi, soutiendraient d'après ce procédé l'importance ou la nécessité de la vertu, tomberaient dans une grande erreur, et je serais bien fâché que tu crusses que telle est ma façon de penser. La masure qui me sert d'abri à la chasse quand les rayons ardents du soleil dardent à plomb sur mon individu, n'est assurément pas un monument utile, sa nécessité n'est que de circonstance; je m'expose à une sorte de danger, je trouve quelque chose qui me garantit, je m'en sers, mais ce quelque chose en est-il moins inutile? en peut-il être moins méprisable? Dans une société totalement vicieuse, la vertu ne servirait à rien: les nôtres n'étant pas de ce genre, il faut absolument ou la jouer, ou s'en servir, afin d'avoir moins à redouter de ceux qui la suivent. Que personne ne l'adopte, elle deviendra inutile. Je n'ai donc pas tort quand je soutiens que sa nécessité n'est que d'opinion ou de circonstances; la vertu n'est pas un mode d'un prix incontestable, elle n'est qu'une manière de se conduire, qui varie suivant chaque climat et qui, par conséquent, n'a rien de réel: cela seul en fait voir la futilité. Il n'y a que ce qui est constant qui soit réellement bon; ce qui change perpétuellement ne saurait prétendre au caractère de bonté; voilà pourquoi l'on a mis l'immutabilité au rang des perfections de l'Éternel. Mais la vertu est absolument privée de ce caractère: il n'est pas deux peuples sur la surface du globe qui soient vertueux de la même manière; donc la vertu n'a rien de réel, rien de bon intrinsèquement, et ne mérite en rien notre culte; il faut s'en servir comme d'étai, adopter politiquement celle du pays où l'on vit, afin que ceux qui la pratiquent par goût, ou qui doivent la révérer par état, vous laissent en repos, et afin que cette vertu, respectée où vous êtes, vous garantisse, par sa prépondérance de convention, des attentats de ceux qui professent le vice. Mais, encore une fois, tout cela est de circonstances, et rien de tout cela n'assigne un mérite réel à la vertu. Il est telle vertu, d'ailleurs, impossible à de certains hommes; or, comment me persuaderez-vous qu'une vertu qui combat ou qui contrarie les passions puisse se trouver dans la nature? Et si elle n'y est pas, comment peut-elle être bonne? Assurément, ce seront chez les hommes dont il s'agit les vices opposés à ces vertus qui deviendront préférables, puisque ce seront les seuls modes… les seules manières d'être qui s'arrangeront le mieux à leur physique ou à leurs organes; il y aura donc dans cette hypothèse des vices très utiles: or, comment la vertu le sera-t-elle si vous me démontrez que ses contraires puissent l'être? On vous dit à cela: la vertu est utile aux autres, et, en ce sens, elle est bonne; car s'il est reçu de ne faire que ce qui est bon aux autres, à mon tour, je ne recevrai que du bien. Ce raisonnement n'est qu'un sophisme; pour le peu de bien que je reçois des autres, en raison de ce qu'ils pratiquent la vertu, par l'obligation de la pratiquer à mon tour, je fais un million de sacrifices qui ne me dédommagent nullement. Recevant moins que je ne donne, je fais donc un mauvais marché, j'éprouve beaucoup plus de mal des privations que j'endure pour être vertueux, que je ne reçois de bien de ceux qui le sont; l'arrangement n'étant point égal, je ne dois donc pas m'y soumettre, et sûr, étant vertueux, de ne pas faire aux autres autant de bien que je recevrais de peines en me contraignant à l'être, ne vaudra-t-il donc pas mieux que je renonce à leur procurer un bonheur qui doit me coûter autant de mal? Reste maintenant le tort que je peux faire aux autres étant vicieux, et le mal que je recevrai à mon tour si tout le monde me ressemble. En admettant une entière circulation de vices, je risque assurément, j'en conviens; mais le chagrin éprouvé par ce que je risque est compensé par le plaisir de ce que je fais risquer aux autres; voilà dès lors l'égalité rétablie, dès lors tout le monde est à peu près également heureux: ce qui n'est pas, et ne saurait être, dans une société où les uns sont bons et les autres méchants, parce qu'il résulte de ce mélange des pièges perpétuels qui n'existent point dans l'autre cas. Dans la société mélangée, tous les intérêts sont divers: voilà la source d'une infinité de malheurs; dans l'autre association, tous les intérêts sont égaux, chaque individu qui la compose est doué des mêmes goûts, des mêmes penchants, tous marchent au même but, tous sont heureux. Mais, vous disent les sots, le mal ne rend point heureux. Non, quand on est convenu d'encenser le bien; mais déprisez, avilissez ce que vous appelez le bien, vous ne révérez plus que ce que vous aviez la sottise d'appeler le mal; et tous les hommes auront du plaisir à le commettre, non point parce qu'il sera permis (ce serait quelquefois une raison pour en diminuer l'attrait), mais c'est que les lois ne le puniront plus, et qu'elles diminuent, par la crainte qu'elles inspirent, le plaisir qu'a placé la nature au crime.

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