La vie devant soi

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La vie devant soi
Название: La vie devant soi
Автор: Gary Romain
Дата добавления: 16 январь 2020
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La vie devant soi - читать бесплатно онлайн , автор Gary Romain

C'est ? Belleville, au sixi?me sans ascenseur, chez madame Rosa, une vieille Juive qui a connu Auschwitz, et qui autrefois, il y a bien longtemps, " se d?fendait " rue Blondel. Elle a ouvert " une pension sans famille pour les gosses qui sont n?s de travers ", autrement dit un cr?che clandestin o? les dames " qui se d?fendent " abandonnent plus ou moins leurs rejetons de toutes les couleurs. Momo, dix ans ou alentour, raconte sa vie chez Madame Rosa et son amour pour la seule maman qui lui reste, cette ancienne respectueuse, grosse, virile, laide, sans cheveux, et qu'il aime de tout son c?ur – presque autant que son " parapluie Arthur ", une poup?e qu'il s'est fabriqu?e avec un vieux parapluie; il n'a pas de p?re et chez Madame Rosa, les autres gosses s'appellent Mo?se ou Banania. Lorsque Madame Rosa meurt, il lui peint le visage au Ripolin, l'arrose des parfums qu'il a vol?s et se couche pr?s d'elle pour mourir aussi.

Gary disait " Il me serait tr?s p?nible si on me demandait avec sommation d'employer des mots qui ont d?j? beaucoup couru, dans le sens courant, sans trouver de sortie ". Dans La Vie devant soi Gary/Ajar invente un style neuf, dans le genre parl?, familier, mais sans argot, qui ?clate en formules cocasses, incongrues, lapidaires. Des phrases distordues sciemment pour l'effet du rire. C'est pourquoi j'ai choisi de r?sumer ce roman avec les phrases d'Ajar lui-m?me. Cela m'a sembl? devoir mieux rendre toute la sensibilit?, l'?motion que le livre suscite.

" Je m'appelle Mohammed mais tout le monde m'appelle Momo pour faire plus petit. Pendant longtemps je n'ai pas su que j'?tais arabe parce que personne ne m'insultait. On me l'a seulement appris ? l'?cole.

La premi?re chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixi?me ? pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'?tait une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle ?tait ?galement juive. Sa sant? n'?tait pas bonne non plus et je peux vous dire aussi d?s le d?but que c'?tait une femme qui aurait m?rit? un ascenseur.

Madame Rosa ?tait n?e en Pologne comme Juive mais elle s'?tait d?fendue au Maroc et en Alg?rie pendant plusieurs ann?es et elle savait l'arabe comme vous et moi. Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la premi?re fois. Au d?but je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat ? la fin du mois. Quand je l'ai appris, ?a m'a fait un coup de savoir que j'?tais pay?. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on ?tait quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleur? toute une nuit et c'?tait mon premier grand chagrin.

Au d?but je ne savais pas que je n'avais pas de m?re et je ne savais m?me pas qu'il en fallait une. Madame Rosa ?vitait de m'en parler pour ne pas me donner des id?es. On ?tait tant?t six ou sept tant?t m?me plus l?-dedans. Il y avait chez nous pas mal de m?res qui venaient une ou deux fois par semaine mais c'?tait toujours pour les autres.

Nous ?tions presque tous des enfants de putes chez madame Rosa, et quand elles partaient plusieurs mois en province pour se d?fendre l?-bas, elles venaient voir leur m?me avant et apr?s. Il me semblait que tout le monde avait une m?re sauf moi. J'ai commenc? ? avoir des crampes d'estomac et des convulsions pour la faire venir.

Une nuit j'ai entendu que Madame Rosa gueulait dans son r?ve, ?a m'a r?veill? et j'ai vu qu'elle se levait. Elle avait la t?te qui tremblait et des yeux comme si elle voyait quelque chose. Puis elle est sortie du lit, elle a mis son peignoir et une cl? qui ?tait cach?e sous l'armoire. Elle est all?e dans l'escalier et elle l'a descendu. Je l'ai suivie. Je ne savais pas du tout ce qui se passait, encore moins que d'habitude, et ?a fait toujours encore plus peur. J'avais les genoux qui tremblaient et c'?tait terrible de voir cette Juive qui descendait les ?tages avec des ruses de Sioux comme si c'?tait plein d'ennemis et encore pire. Quand madame Rosa a pris l'escalier de la cave, j'ai cru vraiment qu'elle ?tait devenue macaque et j'ai voulu courir r?veiller le docteur Katz. Mais j'ai continu? de la suivre. La cave ?tait divis?e en plusieurs et une des portes ?tait ouverte. J'ai regard?. Il y avait au milieu un fauteuil rouge compl?tement enfonc?, crasseux et boiteux, et Madame Rosa ?tait assise dedans. Les murs, c'?tait que des pierres qui sortaient comme des dents et ils avaient l'air de se marrer.

Sur une commode, il y avait un chandelier avec des branches juives et une bougie qui br?lait. Il y avait ? ma grande surprise un lit dans un ?tat bon ? jeter, mais avec matelas, couvertures et oreillers. Il y avait aussi des sacs de pommes de terre, un r?chaud, des bidons et des bo?tes ? carton pleines de sardines. Madame Rosa est rest?e un moment dans ce fauteuil miteux et elle souriait avec plaisir. Elle avait pris un air malin et m?me vainqueur. C'?tait comme si elle avait fait quelque chose de tr?s astucieux et de tr?s fort. Puis elle s'est lev?e et elle s'est mise ? balayer. Je n'y comprenais rien, mais ?a faisait seulement une chose de plus. Quand elle est remont?e, elle n'avait plus peur et moi non plus, parce que c'est contagieux.

Madame Rosa avait toujours peur d'?tre tu?e dans son sommeil, comme si ?a pouvait l'emp?cher de dormir. Les gens tiennent ? la vie plus qu'? n'importe quoi, c'est m?me marrant quand on pense ? toutes les belles choses qu'il y a dans le monde.

Madame Rosa se bourrait parfois de tranquillisants et passait la soir?e ? regarder droit devant elle avec un sourire heureux parce qu'elle ne sentait rien. Jamais elle ne m'en a donn? ? moi. Quand on devenait agit?s ou qu'on avait des m?mes ? la journ?e qui ?taient s?rieusement perturb?s, car ?a existe, c'est elle qui se bourrait de tranquillisants. Alors l?, on pouvait gueuler ou se rentrer dans le chou, ?a ne lui arrivait pas ? la cheville. C'est moi qui ?tais oblig? de faire r?gner l'ordre et ?a me plaisait bien parce que ?a me faisait sup?rieur.

La seule chose qui pouvait remuer un peu Madame Rosa quand elle ?tait tranquillis?e c'?tait si on sonnait ? la porte. Elle avait une peur bleue des Allemands. Lorsqu'elle avait trop peur elle d?gringolait jusqu'? la cave comme la premi?re fois. Une fois je lui ai pos? la question – Madame Rosa, qu'est-ce que c'est ici? Pourquoi vous y venez, des fois au milieu de la nuit? C'est quoi? Elle a arrang? un peu ses lunettes et elle a souri. – C'est ma r?sidence secondaire, Momo. C'est mon trou juif. C'est l? que je viens me cacher quand j'ai peur. – -Peur de quoi Madame Rosa? – - C'est pas n?cessaire d'avoir des raisons pour avoir peur Momo. Ca, j'ai jamais oubli?, parce que c'est la chose la plus vraie que j'aie jamais entendue.

Madame Rosa avait des ennuis de c?ur et c'est moi qui faisait le march? ? cause de l'escalier. Chaque matin, j'?tais heureux de voir que Madame Rosa se r?veillait car j'avais des terreurs nocturnes, j'avais une peur bleue de me trouver sans elle. Je devais aussi penser ? mon avenir, qui vous arrive toujours sur la gueule t?t ou tard, parce que si je restais seul, c'?tait l'Assistance publique sans discuter.

Tout ce que je savais c'est que j'avais s?rement un p?re et une m?re, parce que l?-dessus la nature est intraitable. Lorsque les mandats ont cess? d'arriver et qu'elle n'avait pas de raisons d'?tre gentille avec moi j'ai eu tr?s peur. Il faut dire qu'on ?tait dans une sale situation. Madame Rosa allait bient?t ?tre atteinte par la limite d'?ge et elle le savait elle-m?me. Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre tr?s jeune, parce qu'apr?s on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux.

Un jour que je me promenais j'ai rencontr? Nadine. Elle sentait si bon que j'ai pens? ? Madame Rosa, tellement c'?tait diff?rent. Elle m'a offert une glace ? la vanille et m'a donn? son adresse. Elle m'a dit qu'elle avait des enfants et un mari, elle a ?t? tr?s gentille.

Lorsque je suis rentr? j'ai bien vu que Madame Rosa s'?tait encore d?t?rior?e pendant mon absence. Le docteur Katz est venu la voir et il a dit qu'elle n'avait pas le cancer, mais que c'?tait la s?nilit?, le g?tisme et qu'elle risquait de vivre comme un l?gume pendant encore longtemps.

Heureusement, on avait des voisins pour nous aider. Madame Lola qui habitait au quatri?me se d?fendait au bois de Boulogne comme travestite, et avant d'y aller elle venait toujours nous donner un coup de main. Parfois elle nous refilait de l'argent et nous faisait la popote go?tant la sauce avec des petits gestes et des mines de plaisir. Je lui disais " Madame Lola vous ?tes comme rien et personne " et elle ?tait contente. Il y avait aussi Monsieur Waloumba qui est un noir du Cameroun qui ?tait venu en France pour la balayer. Un jour il est all? chercher cinq copains et ils sont venus danser autour de Madame Rosa pour chasser les mauvais esprits qui s'attaquent ? certaines personnes d?s qu'ils ont un moment de libre.

Un jour on a sonn? ? la porte, je suis all? ouvrir et il y avait l? un petit mec avec un long nez qui descendait et des yeux comme on en voit partout mais encore plus effray?s. Madame Rosa avait toute sa t?te ? elle ce jour l?, et c'est ce qui nous a sauv?s. Le bonhomme nous a dit qu'il s'appelait Kadir Yo?ssef, qu'il ?tait rest? onze ans psychiatrique. Il nous a expliqu? comment il avait tu? sa femme qu'il aimait ? la folie parce qu'il en ?tait jaloux. On l'avait soign? et aujourd'hui il venait chercher son fils Mohammed qu'il avait confi? ? Madame Rosa il y avait de cela onze ans. Il se tourna vers moi et me regarda avec une peur bleue, ? cause des ?motions que ?a allait lui causer. – C'est lui? -Mais Madame Rosa avait toute sa t?te et m?me davantage. Elle s'est ventil?e en silence et puis elle s'est tourn?e vers Mo?se. – -Mo?se dis bonjour ? ton papa. Monsieur Yo?ssef Kadir devint encore plus p?le que possible. – Madame, je suis pers?cut? sans ?tre juif. C'est fini, le monopole juif, Madame. Il y a d'autres gens que les Juifs qui ont le droit d'?tre pers?cut?s aussi. Je veux mon fils Mohammed Kadir dans l'?tat arabe dans lequel je vous l'ai confi? contre re?u. Je ne veux pas de fils juif sous aucun pr?texte, j'ai assez d'ennuis comme ?a.

Madame Rosa lui a expliqu? qu'il y avait sans doute eu erreur. Elle avait re?u ce jour-l? deux gar?ons dont un dans un ?tat musulman et un autre dans un ?tat juif…et qu'elle avait du se tromper de religion. Elle lui a dit aussi que lorsqu'on laisse son fils pendant onze ans sans le voir, il faut pas s'?tonner qu'il devienne juif et que s'il voulait son fils il fallait qu'il le prenne dans l'?tat dans lequel il se trouvait. Mo?se a fait un pas vers Monsieur Youssef Kadir et celui-ci a dit une chose terrible pour un homme qui ne savait pas qu'il avait raison. – Ce n'est pas mon fils! cria-t-il, en faisant un drame. Il s'est lev?, il a fait un pas vers la porte, il a plac? une main ? gauche l? ou on met le c?ur et il est tomb? par terre comme s'il n'avait plus rien ? dire.

Monsieur Youssef Kadir ?tait compl?tement mort, ? cause du grand calme qui s'empare sur leur visage des personnes qui n'ont plus ? se biler. Les fr?res Zaoum l'on transport? sur le palier du quatri?me devant la porte de Monsieur Charmette qui ?tait fran?ais garanti d'origine et qui pouvait se le permettre.

Moi j'?tais encore compl?tement renvers? ? l'id?e que je venais d'avoir d'un seul coup quatre ans de plus et je ne savais pas quelle t?te faire, je me suis m?me regard? dans la glace. Avec Madame Rosa on a essay? de ne pas parler de ce qui venait d'arriver pour ne pas faire des vagues. Je me suis assis ? ses pieds et je lui ai pris la main avec gratitude, apr?s ce qu'elle avait fait pour me garder. On ?tait tout ce qu'on avait au monde et c'?tait toujours ?a de sauv?. Plus tard elle m'a avou? qu'elle voulait me garder le plus longtemps possible alors elle m'avait fait croire que j'avais quatre ans de moins.

Maintenant le docteur Katz essayait de convaincre Madame Rosa pour qu'elle aille ? l'h?pital. Moi, j'avais froid aux fesses en ?coutant le docteur Katz. Tout le monde savait dans le quartier qu'il n'?tait pas possible de se faire avorter ? l'h?pital m?me quand on ?tait ? la torture et qu'ils ?taient capables de vous faire vivre de force, tant que vous ?tiez encore de la barbaque et qu'on pouvait planter une aiguille dedans. La m?decine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu'au bout pour emp?cher que la volont? de Dieu soit faite. Madame Rosa est la seule chose au monde que j'aie aim?e ici et je ne vais pas la laisser devenir champion du monde des l?gumes pour faire plaisir ? la m?decine.

Alors j'ai invent? que sa famille venait la chercher pour l'emmener en Isra?l. Le soir j'ai aid? Madame Rosa ? descendre ? la cave pour aller mourir dans son trou juif. J'avais jamais compris pourquoi elle l'avait am?nag? et pourquoi elle y descendait de temps en temps, s'asseyait, regardait autour d'elle et respirait. Maintenant je comprenais.

J'ai mis le matelas ? c?t? d'elle, pour la compagnie mais j'ai pas pu fermer l'?il parce que j'avais peur des rats qui ont une r?putation dans les caves, mais il n'y en avait pas. Quand je me suis r?veill? Madame Rosa avait les yeux ouverts mais lorsque je lui ai mis le portrait de Monsieur Hitler devant, ?a ne l'a pas int?ress?e. C'?tait un miracle qu'on a pu descendre dans son ?tat.

Je suis rest? ainsi trois semaines ? c?t? du cadavre de Madame Rosa. Quand ils ont enfonc? la porte pour voir d'o? ?a venait et qu'ils m'ont vu couch? ? c?t?, ils se sont mis ? gueuler au secours quelle horreur mais ils n'avaient pas pens? ? gueuler avant parce que la vie n'a pas d'odeur. Ils m'ont transport? ? l'ambulance o? ils ont trouv? dans ma poche le papier avec le nom et l'adresse de Nadine. Ils ont cru qu'elle ?tait quelque chose pour moi. C'est comme ?a qu'elle est arriv?e et qu'elle m'a pris chez elle ? la campagne sans aucune obligation de ma part. Je veux bien rester chez elle un bout de temps puisque ses m?mes me le demandent. Le docteur Ramon, son mari est m?me all? chercher mon parapluie Arthur, je me faisais du mauvais sang car personne n'en voudrait ? cause de sa valeur sentimentale, il faut aimer.

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La seule chose qui pouvait remuer un peu Madame Rosa quand elle était tranquillisée c'était si on sonnait à la porte. Elle avait une peur bleue des Allemands. C'est une vieille histoire et c'était dans tous les journaux et je ne vais pas entrer dans les détails mais Madame Rosa n'en est jamais revenue. Elle croyait parfois que c'était toujours valable, surtout au milieu de la nuit, c'est une personne qui vivait sur ses souvenirs. Vous pensez si c'est complètement idiot de nos jours, quand tout ça est mort et enterré, mais tes Juifs sont très accrocheurs surtout quand ils ont été exterminés, ce sont ceux qui reviennent le plus. Elle me parlait souvent des nazis et des S.S. et je regrette un peu d'être né trop tard pour connaître les nazis et les S.S. avec armes et bagages, parce qu'au moins on savait pourquoi. Maintenant on ne sait pas.

C'était du dernier comique, cette peur que Madame Rosa avait des coups de sonnette. Le meilleur moment pour ça, c'était très tôt le matin, quand le jour est encore sur la pointe des pieds. Les Allemands se lèvent tôt et ils préfèrent le petit matin à n'importe quel autre moment de la journée. Il y avait un de nous qui se levait, qui sortait dans le couloir et appuyait sur la sonnette. Un long coup, pour que ça fasse tout de suite. Ah qu'est-ce qu'on se marrait! Il fallait voir ça. Madame Rosa à l'époque devait faire déjà dans les quatre-vingt-quinze kilos et des poussières, eh bien, elle giclait de son lit comme une dingue et dégringolait la moitié d'un étage avant de s'arrêter. Nous, on était couchés et on faisait semblant de dormir. Quand elle voyait que c'étaient pas les nazis, elle se mettait dans des colères terribles et nous traitait d'enfants de pute, ce qu'elle ne faisait jamais sans raison. Elle restait un moment les yeux ahuris, avec les bigoudis sur les derniers cheveux qu'elle avait encore sur la tête, elle croyait d'abord qu'elle avait rêvé et qu'il n'y avait pas de sonnette du tout, que ça ne venait pas de l'extérieur. Mais il y avait presque toujours un de nous qui pouffait et quand elle comprenait qu'elle avait été victime, elle déchaînait sa colère ou alors elle se mettait à pleurer.

Moi je crois que les Juifs sont des gens comme les autres mais il ne faut pas leur en vouloir.

Souvent on n'avait même pas à se lever pour appuyer sur la sonnette parce que Madame Rosa faisait ça toute seule. Elle se réveillait brusquement d'un seul coup, se dressait sur son derrière qui était encore plus grand que je peux vous dire, elle écoutait, puis elle sautait du lit, mettait son châle mauve qu'elle aimait et courait dehors. Elle ne regardait même pas s'il y avait quelqu'un, parce que ça continuait à sonner chez elle à l'intérieur, c'est là que c'est le plus mauvais. Parfois elle dégringolait seulement quelques marches ou un étage et parfois elle descendait jusqu'à la cave, comme la première fois que j'ai eu l'honneur. Au début, j'ai même cru qu'elle avait caché un trésor dans la cave et que c'était la peur des voleurs qui la réveillait. J'ai toujours rêvé d'avoir un trésor caché quelque part où il serait bien à l'abri de tout et que je pourrais découvrir chaque fois que j'avais besoin. Je pense que le trésor, c'est ce qu'il y a de mieux dans le genre, lorsque c'est bien à vous et en toute sécurité. J'avais repéré l'endroit où Madame Rosa cachait la clé de la cave et une fois, j'y suis allé pour voir. J'ai rien trouvé. Des meubles, un pot de chambre, des sardines, des bougies, enfin des tas de trucs comme pour loger quelqu'un. J avais allumé une bougie et j'ai bien regardé, mais il n'y avait que des murs avec des pierres qui montraient les dents. C'est là que j'ai entendu un bruit et j'ai sauté en l'air mais c'était seulement Madame Rosa. Elle était debout à l'entrée et elle me regardait. C'était pas méchant, au contraire, elle avait plutôt l'air coupable, comme si c'était elle qui avait à s'excuser.

– Il faut pas en parler à personne, Momo. Donne-moi ça.

Elle a tendu la main et elle m'a pris la clé.

– Madame Rosa, qu'est-ce que c'est ici? Pourquoi vous y venez, des fois au milieu de la nuit? C'est quoi?

Elle a arrangé un peu ses lunettes et elle a souri.

– C'est ma résidence secondaire, Momo. Allez, viens.

Elle a soufflé la bougie et puis elle m'a pris par la main et on est remonté. Après, elle s'est assise la main sur le cœur dans son fauteuil, car elle ne pouvait plus faire les six étages sans être morte.

– Jure-moi de ne jamais en parler à personne, Momo.

– Je vous le jure, Madame Rosa.

– Khaïrem?

Ça veut dire c'est juré chez eux.

– Khaïrem.

Alors elle a murmuré en regardant au-dessus de moi, comme si elle voyait très loin en arrière et en avant:

– C'est mon trou juif, Momo.

– Ah bon alors ça va.

– Tu comprends?

– Non, mais ça fait rien, j'ai l'habitude.

– C'est là que je viens me cacher quand j'ai peur.

– Peur de quoi, Madame Rosa?

– C'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur, Momo.

Ça, j'ai jamais oublié, parce que c'est la chose la plus vraie que j'aie jamais entendue.

J'allais souvent m'asseoir dans la salle d'attente du docteur Katz, puisque Madame Rosa répétait que c'était un homme qui faisait du bien, mais j'ai rien senti. Peut-être que je ne restais pas assez longtemps. Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui font du bien dans le monde, mais ils font pas ça tout le temps et il faut tomber au bon moment. Il y a pas de miracle. Au début le docteur Katz sortait et me demandait si j'étais malade mais après il s'est habitué et me laissait tranquille. D'ailleurs, les dentistes aussi ont des salles d'attente, mais ils soignent seulement les dents. Madame Rosa disait que le docteur Katz était pour la médecine générale et c'est vrai qu'il y avait de tout chez lui, des Juifs, bien sûr, comme partout, des Nord-Africains pour ne pas dire des Arabes, des Noirs et toutes sortes de maladies… Il y avait sûrement beaucoup de maladies vénériennes chez lui, à cause des travailleurs immigrés qui attrapent ça avant de venir en France pour bénéficier de la sécurité sociale. Les maladies vénériennes ne sont pas contagieuses en public et le docteur Katz les acceptait mais on n'avait pas le droit d'amener la diphtérie, la fièvre scarlatine, la rougeole et d'autres saloperies qu'il faut garder chez soi. Seulement, les parents ne savaient pas toujours de quoi il se retournait et j'ai attrapé là une ou deux fois des grippes et une coqueluche qui ne m'étaient pas destinées. Je revenais quand même. J'aimais bien être assis dans une salle d'attente et attendre quelque chose, et quand la porte du cabinet s'ouvrait et le docteur Katz entrait, tout de blanc vêtu, et venait me caresser les cheveux, je me sentais mieux et c'est pour ça qu'il y a la médecine.

Madame Rosa se tourmentait beaucoup pour ma santé, elle disait que j'étais atteint de troubles de précocité et j'avais déjà ce qu'elle appelait l'ennemi du genre humain qui se mettait à grandir plusieurs fois par jour. Son plus grand souci après la précocité, c'était les oncles ou les tantes, quand les vrais parents mouraient dans un accident d'automobile et les autres ne voulaient pas vraiment s'en occuper mais ne voulaient pas non plus les donner à l'Assistance, ça aurait fait croire qu'ils n'avaient pas de cœur dans le quartier. C'est alors qu'ils venaient chez nous, surtout si l'enfant était consterné. Madame Rosa appelait un enfant consterné quand il était frappé de consternation, comme ce mot l'indique. Ça veut dire qu'il ne voulait vraiment rien savoir pour vivre et devenait antique. C'est la pire chose qui peut arriver à un môme, en dehors du reste.

Quand on lui amenait un nouveau pour quel-ques jours ou à la petite semaine, Madame Rosa l'examinait sous tous rapports, mais surtout pour voir s'il n'était pas consterné. Elle lui faisait des grimaces pour l'effrayer ou bien elle mettait un gant où chaque doigt était un polichinelle ce qui fait toujours rire les mômes qui ne sont pas consternés mais les autres, c'est comme s'ils étaient pas de ce monde et c'est pour ça qu'on les appelle antiques. Madame Rosa ne pouvait pas les accepter, c'est un travail de tous les instants et elle n'avait pas de main-d'œuvre. Une fois, une Marocaine qui se défendait en maison à la Goutte d'Or lui avait laissé un môme consterné et puis elle était morte sans laisser d'adresse. Madame Rosa a dû le donner à un organisme avec des faux-papiers pour prouver qu'il existait et elle en a été malade, car il n'y a rien de plus triste qu'un organisme.

Même avec les mômes en bonne santé, il y avait des risques. Vous ne pouvez pas forcer les parents inconnus à reprendre un gosse quand il n'y a pas de preuves légales contre eux. Les mères dénaturées, il n'y a pas de pires. Madame Rosa disait que la loi est mieux faite chez les animaux et que chez nous, c'est même dangereux d'adopter un môme. Si la vraie mère veut venir l'emmerder après parce qu'il est heureux, elle a le droit pour elle. C'est pourquoi les faux-papiers sont les meilleurs au monde et s'il y a une salope qui s'aperçoit deux ans après que son môme est heureux chez les autres et qu'elle veut le récupérer pour le pertuber, si on lui a fait des faux-papiers en règle elle ne le retrouvera jamais, et ça lui donne une chance à courir.

Madame Rosa disait que chez les animaux c'est beaucoup mieux que chez nous, parce qu'ils ont la loi de la nature, surtout les lionnes. Elle était pleine d'éloges pour les lionnes. Lorsque j'étais couché, avant de m'endormir, je faisais parfois sonner à la porte, j'allais ouvrir et il y avait là une lionne qui voulait entrer pour défendre ses petits. Madame Rosa disait que les lionnes sont célèbres pour ça et elles se feraient tuer plutôt que de reculer. C'est la loi de la jungle et si la lionne ne défendait pas ses petits, personne ne lui ferait confiance.

Je faisais venir ma lionne presque toutes les nuits. Elle entrait, sautait sur le lit et elle nous léchait la figure, car les autres aussi en avaient besoin et c'était moi l'aîné, je devais m'occuper d eux. Seulement, les lions ont mauvaise réputation parce qu'il faut bien qu'ils se nourrissent comme tout le monde, et quand j'annonçais aux autres que ma lionne allait entrer, ça commençait à gueuler là-dedans et même Banania s'y mettait et pourtant Dieu sait qu'il se foutait de tout, celui-là, à cause de sa bonne humeur proverbiale. J'aimais bien Banania, qui a été pris par une famille de Français qui avaient de la place et un jour j'irai le voir.

Finalement Madame Rosa a appris que je faisais venir une lionne pendant qu'elle dormait. Elle savait que c'était pas vrai et que je rêvais seulement des lois de la nature mais elle avait un système de plus en plus nerveux et l'idée qu'il y avait des bêtes sauvages dans l'appartement lui donnait des terreurs nocturnes. Elle se réveillait en hurlant parce que chez moi c'était un rêve mais chez elle ça devenait un cauchemar et elle disait toujours que les cauchemars, c'est ce que les rêves deviennent toujours en vieillissant. On se faisait deux lionnes complètement différentes, tous les deux, mais qu'est-ce que vous voulez.

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