Ensemble, cest tout
Ensemble, cest tout читать книгу онлайн
"Et puis, qu'est-ce que ?a veut dire, diff?rents ? C'est de la foutaise, tonhistoire de torchons et de serviettes... Ce qui emp?che les gens de vivreensemble, c'est leur connerie, pas leurs diff?rences... " Camille dessine.Dessinais plut?t, maintenant elle fait des m?nages, la nuit. Philibert, aristopur jus, h?berge Franck, cuisinier de son ?tat, dont l'existence tourne autourdes filles, de la moto et de Paulette, sa grand-m?re. Paulette vit seule, tombebeaucoup et cache ses bleus, paniqu?e ? l'id?e de mourir loin de son jardin. Cesquatre l? n'auraient jamais d? se rencontrer. Trop perdus, trop seuls, tropcaboss?s... Et pourtant, le destin, ou bien la vie, le hasard, l'amour -appelez?a comme vous voulez -, va se charger de les bousculer un peu. Leur histoire,c'est la th?orie des dominos, mais ? l'envers. Au lieu de se faire tomber, ilss'aident ? se relever."
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Ses parents... Il était taré, ce mec... Elle se souvenait qu'une nuit, puisque c'était toujours au milieu de la nuit qu'elle rentrait habituellement, elle l'avait surpris dans le hall, en pyjama et en bottes de chasse avec une boîte de croquettes à la main. Il était tout retourné et lui demandait si elle n'avait pas vu un chat. Elle répondit par la négative et fit quelques pas avec lui dans la cour à la recherche dudit matou. « Il est comment ? » s'en-quit-elle, « Hélas, je l'ignore... », « Vous ne savez pas comment est votre chat ? » Il se figea : « Pourquoi le saurais-je ? Je n'ai jamais eu de chat, moi ! » Elle était claquée et le planta là en secouant la tête. Ce type était décidément trop flippant.
« Les beaux quartiers... » Elle repensait à la phrase de Carine en gravissant la première marche des cent soixante-douze autres qui la séparaient de son gourbi. Les beaux quartiers, t'as raison... Elle logeait au septième étage de l'escalier de service d'un immeuble cossu qui donnait sur le Champ-de-Mars et, en ce sens oui, on pouvait dire qu'elle habitait un endroit chic puisqu'en se juchant sur un tabouret et en se penchant dangereusement sur la droite, on pouvait apercevoir, c'était exact, le haut de la tour Eiffel. Mais pour le reste ma cocotte, pour le reste, ce n'était pas vraiment ça...
Elle se tenait à la rampe en crachant ses poumons et en tirant derrière elle ses bouteilles d'eau. Elle essayait de ne pas s'arrêter. Jamais. À aucun étage. Une nuit, cela lui était arrivé et elle n'avait pas pu se relever. Elle s'était assise au quatrième et s'était endormie la tête sur les genoux. Le réveil fut pénible. Elle était frigorifiée et mit plusieurs secondes avant de comprendre où elle se trouvait.
Craignant un orage elle avait fermé le vasistas avant de partir et soupira en imaginant la fournaise là-haut... Quand il pleuvait, elle était mouillée, quand il faisait beau comme aujourd'hui, elle étouffait et l'hiver, elle grelottait. Camille connaissait ces conditions climatiques sur le bout des doigts puisqu'elle vivait là depuis plus d'un an. Elle ne se plaignait pas, ce perchoir avait été inespéré et elle se souvenait encore de la mine embarrassée de Pierre Kessler le jour où il poussa la porte de ce débarras devant elle en lui tendant la clef.
C'était minuscule, sale, encombré et providentiel.
Quand il l'avait recueillie une semaine auparavant sur le pas de sa porte, affamée, hagarde et silencieuse, Camille Fauque venait de passer plusieurs nuits dans la rue.
Il avait eu peur d'abord, en apercevant cette ombre sur son palier :
— Pierre ?
— Qui est là ?
— Pierre... gémit la voix.
— Qui êtes-vous ?
Il appuya sur le minuteur et sa peur devint plus grande encore :
— Camille ? C'est toi ?
— Pierre, sanglota-t-elle en poussant devant elle une petite valise, il faut que vous me gardiez ça... C'est mon matos vous comprenez et je vais me le faire voler... Je vais tout me faire voler... Tout, tout... Je ne veux pas qu'ils me prennent mes outils parce que sinon, je crève, moi... Vous comprenez ? Je crève...
Il crut qu'elle délirait :
— Camille ! Mais de quoi tu parles ? Et d'où tu viens ? Entre !
Mathilde était apparue derrière lui et la jeune femme s'effondra sur leur paillasson.
Ils la déshabillèrent et la couchèrent dans la chambre du fond. Pierre Kessler avait tiré une chaise près du lit et la regardait, effrayé.
— Elle dort ?
— J'ai l'impression...
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Je n'en sais rien.
— Mais regarde dans quel état elle est !
— Chuuut...
Elle se réveilla au milieu de la nuit le lendemain et se fit couler un bain très lentement pour ne pas les réveiller. Pierre et Mathilde, qui ne dormaient pas, jugèrent préférable de la laisser tranquille. Ils la gardèrent ainsi quelques jours, lui laissèrent un double des clefs et ne lui posèrent aucune question. Cet homme et cette femme étaient une bénédiction.
Quand il lui proposa de l'installer dans une chambre de bonne qu'il avait conservée dans l'immeuble de ses parents bien après leur mort, il sortit de sous son lit la petite valise écossaise qui l'avait menée jusqu'à eux :
— Tiens, lui dit-il. Camille secoua la tête :
— Je préfère la laisser ic...
— Pas question, la coupa-t-il sèchement, tu la prends avec toi. Elle n'a rien à faire chez nous !
Mathilde l'accompagna dans une grande surface, l'aida à choisir une lampe, un matelas, du linge, quelques casseroles, une plaque électrique et un minuscule frigidaire.
— Tu as de l'argent ? lui demanda-t-elle avant de la laisser partir.
— Oui.
— Ça ira ma grande ?
— Oui, répéta, Camille en retenant ses larmes.
— Tu veux garder nos clefs ?
— Non, non, ça ira. Je... qu'est-ce que je peux dire... qu'est-ce que...
Elle pleurait.
— Ne dis rien.
— Merci ?
— Oui, fit Mathilde en l'attirant contre elle, merci, ça va, c'est bien.
Ils vinrent la voir quelques jours plus tard.
La montée des marches les avait épuisés et ils s'affalèrent sur le matelas.
Pierre riait, disait que cela lui rappelait sa jeunesse et entonnait « La bohêêê-meu ». Ils burent du Champagne dans des gobelets en plastique et Mathilde sortit d'un gros sac tout un tas de victuailles merveilleuses. Le Champagne et la bienveillance aidant, ils osèrent quelques questions. Elle répondit à certaines, ils n'insistèrent pas.
Alors qu'ils étaient sur le point de partir et que Mathilde avait déjà descendu quelques marches, Pierre Kessler se retourna et la saisit par les poignets :
— Il faut travailler, Camille... Tu dois travailler maintenant...
Elle baissa les yeux :
— J'ai l'impression d'en avoir beaucoup fait ces derniers temps... Beaucoup, beaucoup...
Il resserra son étreinte, lui fit presque mal.
— Ce n'était pas du travail et tu le sais très bien ! Elle leva la tête et soutint son regard :
— C'est pour ça que vous m'avez aidée ? Pour me dire ça ?
— Non. Camille tremblait.
— Non, répéta-t-il en la délivrant, non. Ne dis pas de bêtises. Tu sais très bien que nous t'avons toujours considérée comme notre propre fille...
— Prodigue ou prodige ? Il lui sourit et ajouta :
— Travaille. Tu n'as pas le choix de toute façon...
Elle referma la porte, rangea leur dînette et trouva un gros catalogue de chez Sennelier au fond du sac. Ton compte est toujours ouvert... lui rappelait un Post-it. Elle n'eut pas le courage de le feuilleter et but la fin de la bouteille au goulot.
Elle lui avait obéi. Elle travaillait. Aujourd'hui, elle nettoyait la merde des autres et cela lui convenait parfaitement.
En effet, on crevait de chaud là-dedans... Super Josy les avait prévenues la veille : « Vous plaignez pas, les filles, on est en train de vivre nos derniers beaux jours, après ce sera l'hiver et on se pèlera les miches ! Alors vous plaignez pas, hein ! »
Elle avait raison pour une fois. C'était la fin du mois de septembre et les jours raccourcissaient à vue d'œil. Camille songea qu'elle devrait s'organiser autrement cette année, se coucher plus tôt et se relever dans l'après-midi pour voir le soleil. Ce genre de pensée la surprit elle-même et c'est avec une certaine nonchalance qu'elle enclencha son répondeur :
« C'est maman. Enfin... ricana la voix, je ne sais plus si tu vois de qui je parle... Maman, tu sais ? C'est ce mot-là que prononcent les gentils enfants quand ils s'adressent à leur génitrice, je crois... Parce que tu as une mère, Camille, tu t'en souviens ? Excuse-moi de te rappeler ce mauvais souvenir, mais comme c'est le troisième message que je te laisse depuis mardi... Je voulais juste savoir si l'on déjeunait toujours ens... »
Camille l'interrompit et remit le yaourt qu'elle venait d'entamer dans le frigidaire. Elle s'assit en tailleur, attrapa son tabac et fit un effort pour se rouler une cigarette. Ses mains la trahissaient. Elle s'y reprit à plusieurs fois pour rouler son papier sans le déchirer. Se concentrait sur ses gestes comme s'il n'y avait rien eu de plus important au monde et se mordait les lèvres jusqu'au sang. C'était trop injuste. Trop injuste d'en chier comme ça à cause d'une feuille de papier alors qu'elle venait de vivre une journée presque normale. Elle avait parlé, écouté, ri, sociabilisé même. Elle avait minaudé devant ce docteur et fait une promesse à Mamadou. Ça n'avait l'air de rien, et pourtant... Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait plus rien promis. Jamais. À personne. Et voilà que quelques phrases sorties d'une machine lui déglinguaient la tête, l'entraînaient en arrière et l'obligeaient à s'étendre, broyée qu'elle était sous le poids d'improbables gravats...