Ensemble, cest tout
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"Et puis, qu'est-ce que ?a veut dire, diff?rents ? C'est de la foutaise, tonhistoire de torchons et de serviettes... Ce qui emp?che les gens de vivreensemble, c'est leur connerie, pas leurs diff?rences... " Camille dessine.Dessinais plut?t, maintenant elle fait des m?nages, la nuit. Philibert, aristopur jus, h?berge Franck, cuisinier de son ?tat, dont l'existence tourne autourdes filles, de la moto et de Paulette, sa grand-m?re. Paulette vit seule, tombebeaucoup et cache ses bleus, paniqu?e ? l'id?e de mourir loin de son jardin. Cesquatre l? n'auraient jamais d? se rencontrer. Trop perdus, trop seuls, tropcaboss?s... Et pourtant, le destin, ou bien la vie, le hasard, l'amour -appelez?a comme vous voulez -, va se charger de les bousculer un peu. Leur histoire,c'est la th?orie des dominos, mais ? l'envers. Au lieu de se faire tomber, ilss'aident ? se relever."
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Il avait noté son numéro de portable sur une ordonnance et noté : Je vous prescris un bon dîner, rappelez-moi.
Camille Fauque en fit une boulette et la jeta dans le caniveau.
— Tu sais, toi, ajouta Mamadou en se relevant pesamment et en la désignant de son index, si tu m'arranges le coup avec ma Sissi, je demanderai à mon frère de te faire venir l'être aimé...
— Je croyais qu'il faisait les autoroutes ton frère ?
— Les autoroutes, les envoûtements et les désenvoûtements.
Camille leva les yeux au ciel.
— Et moi ? coupa Samia, il peut m'en trouver un, de mec, à moi ?
Mamadou passa devant elle en griffant l'air devant son visage :
— Toi la maudite, tu me rends d'abord mon seau et puis on se reparle après !
— Merde, tu fais chier avec ça ! C'est pas ton seau que j'ai, c'est le mien ! Il était rouge ton seau !
— Maudite, va, siffla l'autre en s'éloignant, maudi-teu...
Elle n'avait pas fini de grimper les marches que le camion tanguait déjà. Bon courage là-dedans, souriait Camille en attrapant son sac. Bon courage...
— On y va ?
— Je vous suis.
— Qu'est-ce que tu fais ? Tu prends le métro avec nous ?
— Non. Je rentre à pied.
— Ah c'est vrai que t'habites dans les beaux quartiers, toi...
— Tu parles...
— Allez, à d'main...
— Salut les filles.
Camille était invitée à dîner chez Pierre et Mathilde. Elle laissa un message pour annuler et fut soulagée de tomber sur leur répondeur.
La si légère Camille Fauque s'éloigna donc. Seulement retenue au macadam par le poids de son sac à dos et par celui, plus difficile à exprimer, des pierres et des cailloux qui s'amoncelaient à l'intérieur de son corps. Voilà ce qu'elle aurait dû raconter au médecin du travail tout à l'heure. Si elle en avait eu l'envie... Ou la force ? Ou le temps peut-être ? Le temps sûrement, se rassurait-elle sans trop y croire. Le temps était une notion qu'elle n'arrivait plus à appréhender. Trop de semaines et de mois s'étaient écoulés sans qu'elle y prenne part d'aucune manière et sa tirade de tout à l'heure, ce monologue absurde où elle essayait de se persuader qu'elle était aussi vaillante qu'une autre n'était que pur mensonge.
Quel mot avait-elle employé déjà ? « Vivante », c'est ça ? C'était ridicule, Camille Fauque n'était pas vivante.
Camille Fauque était un fantôme qui travaillait la nuit et entassait des cailloux le jour. Qui se déplaçait lentement, parlait peu et s'esquivait avec grâce. Camille Fauque était une jeune femme toujours de dos, fragile et insaisissable.
Il ne fallait pas se fier à la scène précédente, si légère en apparence. Si facile. Si aisée. Camille Fauque mentait. Elle se contentait de donner le change, se forçait, se contraignait et répondait présente pour ne pas se faire remarquer.
Elle repensait à ce docteur pourtant... Elle se moquait bien de son numéro de portable mais songeait qu'elle avait peut-être laissé passer sa chance... Il avait l'air patient celui-là, et plus attentif que les autres... Peut-être qu'elle aurait dû... Elle avait failli à un moment... Elle était fatiguée, elle aurait dû poser ses coudes sur le bureau elle aussi, et lui raconter la vérité. Lui dire que si elle ne mangeait plus, ou si peu, c'est parce que des cailloux prenaient toute la place dans son ventre. Qu'elle se réveillait chaque jour avec l'impression de mâcher du gravier, qu'elle n'avait pas encore ouvert les yeux, que déjà, elle étouffait. Que déjà le monde qui l'entourait n'avait plus aucune importance et que chaque nouvelle journée était comme un poids impossible à soulever. Alors, elle pleurait. Non pas qu'elle fût triste, mais pour faire passer tout ça. Les larmes, ce liquide finalement, l'aidaient à digérer sa caillasse et lui permettaient de respirer à nouveau.
L'aurait-il entendue ? L'aurait-il comprise ? Évidemment. Et c'était la raison pour laquelle elle s'était tue.
Elle ne voulait pas finir comme sa mère. Elle refusait de tirer sur sa pelote. Si elle commençait, elle ne savait pas où cela la mènerait. Trop loin, beaucoup trop loin, trop profond et trop sombre. Pour le coup, elle n'avait pas le courage de se retourner.
De donner le change, oui, mais pas de se retourner.
Elle entra dans le Franprix en bas de chez elle et se fit violence pour acheter des choses à manger. Elle le fit en hommage à la bienveillance de ce jeune médecin et pour le rire de Mamadou. Le rire énorme de cette femme, ce travail débile chez Touclean, la Bredart, les histoires abracadabrantes de Carine, les engueulades, les cigarettes échangées, la fatigue physique, leurs fous rires imbéciles et leurs méchantes humeurs quelquefois, tout cela l'aidait à vivre. L'aidait à vivre, oui.
Elle tourna plusieurs fois autour des rayons avant de se décider, acheta des bananes, quatre yaourts et deux bouteilles d'eau.
Elle aperçut le zigoto de son immeuble. Ce grand garçon étrange avec ses lunettes rafistolées au sparadrap, ses pantalons feu de plancher et ses manières martiennes. À peine avait-il saisi un article, qu'il le reposait aussitôt, faisait quelques pas puis se ravisait, le reprenait, secouait la tête et finissait par quitter précipitamment la queue quand c'était son tour devant les caisses pour aller le remettre à sa place. Une fois même, elle l'avait vu sortir du magasin puis entrer de nouveau pour acheter le pot de mayonnaise qu'il s'était refusé l'instant précédent. Drôle de clown triste qui amusait la galerie, bégayait devant les vendeuses et lui serrait le cœur.
Elle le croisait quelquefois dans la rue ou devant leur porte cochère et tout n'était que complications, émotions et sujets d'angoisse. Cette fois encore, il gémissait devant le digicode.
— Un problème ? demanda-t-elle.
— Ah ! Oh ! Euh ! Pardon ! (Il se tordait les mains.) Bonsoir mademoiselle, pardonnez-moi de euh... de vous importuner, je... Je vous importune, n'est-ce pas ?
C'était horrible ce truc-là. Elle ne savait jamais si elle devait en rire ou avoir pitié. Cette timidité maladive, sa façon de parler super alambiquée, les mots qu'il employait et ses gestes toujours spaces la mettaient affreusement mal à l'aise.
— Non, non, pas de problème ! Vous avez oublié le code ?
— Diantre non. Enfin pas que je sache... enfin je... je n'avais pas considéré les choses sous cet angle... Mon Dieu, je...
— Ils l'ont changé peut-être ?
— Vous y songez sérieusement ? lui demanda-t-il comme si elle venait de lui annoncer la fin du monde.
— On va bien voir... 342B7...
Le cliquetis de la porte se fit entendre.
— Oh, comme je suis confus... Comme je suis confus... Je... C'est pourtant ce que j'avais fait, moi aussi... Je ne comprends pas...
— Pas de problème, lui dit-elle en s'appuyant sur la porte.
Il fit un geste brusque pour la pousser à sa place et, voulant passer son bras au-dessus d'elle, manqua son but et lui donna un grand coup derrière la tête.
— Misère ! Je ne vous ai pas fait mal au moins ? Comme je suis maladroit, vraiment, je vous prie de m'excuser... Je...
— Pas de problème, répéta-t-elle pour la troisième fois.
Il ne bougeait pas.
— Euh... supplia-t-elle enfin, est-ce que vous pouvez enlever votre pied parce que vous me coincez la cheville, là, et j'ai extrêmement mal...
Elle riait. C'était nerveux.
Quand ils furent dans le hall, il se précipita vers la porte vitrée pour lui permettre de passer sans encombre:
— Hélas, je ne monte pas par-là, se désola-t-elle en lui indiquant le fond de la cour.
— Vous logez dans la cour ?
— Euh... pas vraiment... sous les toits plutôt...
— Ah ! parfait... (Il tirait sur l'anse de son sac qui s'était coincé dans la poignée en laiton.) Ce... Ce doit être bien plaisant...
— Euh... oui, grimaça-t-elle en s'éloignant rapidement, c'est une façon de voir les choses...
— Bonne soirée mademoiselle, lui cria-t-il, et... saluez vos parents pour moi !