Truismes
Truismes читать книгу онлайн
«Le directeur a ?t? tr?s gentil avec moi le jour de mon embauche. J'ai eu la permission de g?rer ma parfumerie toute seule. ?a marchait bien. Seulement, quand les premiers sympt?mes sont apparus, j'ai d? quitter la parfumerie. Ce n'?tait pas une histoire de d?cence ni rien; c'est juste que tout devenait trop compliqu?. Heureusement, j'ai rencontr? Edgar, et Edgar, comme vous le savez, est devenu pr?sident de la R?publique. C'?tait moi, l'?g?rie d'Edgar. Mais personne ne m'a reconnue. J'avais trop chang?. Est-ce que j'avais rat? la chance de ma vie? En tout cas, je ne comprenais toujours pas tr?s bien ce qui m'arrivait. C'?tait surtout ce bleu sous le sein droit qui m'inqui?tait…»
Premier roman de Marie Darrieussecq. Truismes a connu un grand succ?s. Il a ?t? traduit dans plus de quarante pays.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Je me suis mal habituée à ce nouveau rythme de mon corps. J'avais mes règles tous les quatre mois environ, précédées juste avant d'une courte période d'excitation sexuelle, pour appeler un chat un chat. Le problème c'est que si ma nouvelle clientèle s'était désormais bien implantée, il restait encore quelques anciens habitués. J'étais obligée, d'un côté de faire comme si j'étais constamment dans cet état d'excitation, de l'autre de simuler toujours la froideur. C'était fatigant. Je m'embrouillais dans mes états, dans les moments où il fallait que je simule ou que je dissimule. Ça n'était plus une vie. Je ne pouvais jamais être au diapason de mon corps, pourtant Gilda Mag et Ma beauté ma santé, que je recevais à la parfumerie, ne cessaient de prévenir que si on n'atteignait pas cette harmonie avec soi-même, on risquait un cancer, un développement anarchique des cellules. De plus en plus, je me réfugiais dans le petit square entre deux clients, je les faisais patienter un peu. Je prenais des risques avec le directeur, mais je n'en pouvais plus. Je subtilisais les crèmes conseillées par les magazines et je les étalais soigneusement sur ma peau, mais rien n'y faisait. J'étais toujours aussi fatiguée, ma tête était toujours aussi embrouillée, et le gel micro-cellulaire spécial épiderme sensible contre les capitons disgracieux de chez Yerling ne semblait même pas vouloir pénétrer. Honoré disait qu'il était bien le seul. Honoré devenait vulgaire, il se doutait vraiment de quelque chose. En plus de développer une profonde graisse sous-cutanée ma peau devenait allergique à tout, même aux produits les plus chers. Elle épaississait fort disgracieuse-ment et se révélait hypersensible, ce qui était un bonheur quand j'avais, pour parler crûment, mes chaleurs, mais un vrai handicap pour tout ce qui concernait les maquillages, les parfums et les produits ménagers. Or dans mon métier ou pour tenir la maison d'Honoré, j'étais pourtant bien obligée d'en faire usage. Alors ça ne ratait pas: je me couvrais de plaques rouges, et après la crise ma peau devenait encore plus rose qu'avant. Et j'avais beau passer toutes les crèmes du monde sur mon troisième téton, rien n'y faisait, il ne voulait pas disparaître. Quand j'ai commencé à voir enfler comme un vrai sein par-dessous, j'ai cru que j'allais m'évanouir. Si cela continuait, il allait falloir que j'aille en clinique me faire opérer, et je n'avais pas un sou vaillant. Les magazines féminins fournissaient des adresses de chirurgiens esthétiques, en sous-entendant que pour les cas les plus gracieux ils savaient être obligeants, mais je ne voulais pas me lancer à nouveau dans des histoires à n'en plus finir. J'avais un terrible besoin de calme. Je ne répondais plus à aucune invitation en week-end. Ce n'était pas que ces vastes maisons à la campagne ne me faisaient pas envie, mais comme on dit, chat échaudé craint l'eau froide. Une grange, une étable même m'auraient très bien convenu, mais seule, tranquille. Je grognais toujours dans mon sommeil, une fois même je dois avouer que j'ai uriné sous moi. Je voyais bien qu'Honoré résistait à l'envie de me jeter dehors. Je lui sais encore gré de sa bonté, de sa patience, rien ne l'obligeait à me garder puisque je ne l'attirais plus sexuellement. J'ai même téléphoné à ma mère pour savoir si je pouvais retourner chez elle au besoin, mais elle a éludé la question. J'ai appris par la suite que ma mère avait gagné une petite somme au Loto et qu'elle comptait s'installer à la campagne, mais elle ne voulait rien m'en dire pour être sûre que je ne vienne pas faire le parasite. Mes journées pour le moment se passaient à guetter la moindre minute où je pourrais m'échapper entre deux clients. Le directeur m'avait reproché un certain laisser-aller vestimentaire, mais il ne se rendait pas compte que ma vieille blouse, qu'il avait cru bon me laisser, n'était plus du tout aussi sexy qu'avant. Elle était beaucoup trop étroite, le blanc s'était terni et mes bourrelets avaient fait craquer trop de coutures. J'avais sans doute l'air un peu minable. J'étais tellement fatiguée. Mes cheveux se hérissaient comme du crin et tombaient par poignées, ils devenaient difficiles à discipliner. Je mettais des baumes, je me faisais des mises en plis cache-misère, mais mon manque de goût pour tout ça devenait, lui, nettement perceptible. J'avais toujours des éruptions cutanées impossibles à dissimuler puisque je ne pouvais plus supporter ni la poudre ni les fonds de teint; et bien entendu je ne me maquillais plus, plus de rimmel, plus de mascara, c'étaient tous ces produits qui me donnaient des allergies. Mes yeux dans le miroir me semblaient maintenant plus petits et plus rapprochés qu'avant, et sans poudre mon nez prenait un petit air porcin tout à fait désastreux. Il n'y avait que le rouge à lèvres que je supportais encore. Le directeur de la chaîne m'a forcée à baisser mes prix, et pour ne pas nuire à l'entreprise j'ai dû réduire mon pourcentage, je ne gagnais plus que de quoi payer les transports en commun et la nourriture, le reste je le donnais à Honoré pour le loyer. La clientèle s'est mise à changer de nouveau. Comme les prix baissaient et que j'avais l'air moins chic, moins difficile aussi, les meilleurs clients se sont offusqués et sont partis. Le pire, je vous l'ai encore caché. Le pire, c'était les poils. Ils me venaient sur les jambes, et même sur le dos, de longs poils fins, translucides et solides, qui résistaient à toutes les crèmes dépilatoires. J'étais obligée d'utiliser en cachette le rasoir d'Honoré, mais à la fin de la journée je devenais râpeuse sur tout le corps. Les clients n'appréciaient pas beaucoup. Heureusement, il restait des fidèles, une poignée de doux dingues. Ceux-là me faisaient toujours mettre à quatre pattes, me reniflaient, me léchaient, et faisaient leurs petites affaires en bramant, poussaient des cris de cerf en rut, enfin, ce genre de choses. Le marabout, qui avait ces goûts-là, m'a téléphoné quelquefois et m'a incitée à lui rendre visite, en consultation a-t-il précisé. Mais j'étais trop fatiguée et je craignais une nouvelle spécialité. Heureusement, quand mes chaleurs sont revenues, j'ai de nouveau retrouvé la forme et je me suis de nouveau beaucoup intéressée à mon métier; heureusement, parce que le directeur m'attendait au tournant. Le directeur n'était plus du tout content de moi. Il a exigé que je perde du poids et que je me maquille, il m'a même acheté une nouvelle blouse. «C'est ta dernière chance », il m'a dit. Mais avec la meilleure volonté du monde je n'ai pas pu redevenir celle que j'étais. La boutique a encore perdu en standing. J'étais presque passée dans la dernière catégorie. Je recevais des clients vraiment pouilleux, et sans aucune éducation. Ça sentait le fauve dans la parfumerie, mais ce n'était pas ça qui me gênait. Non, ce qui m'était pénible, avec toute cette brutalité, c'est que je ne recevais plus jamais de fleurs. Alors vous comprendrez que j'aimais à me réfugier souvent dans le square, même s'il ne fait pas de doute que je manquais là aux règles les plus élémentaires du travail. Dans le square je trouvais toujours des boutons d'or, c'était le printemps de nouveau, et je les mâchais lentement en cachette, je leur trouvais un goût de beurre et de pré gras. Je regardais les oiseaux, il y avait des moineaux, des pigeons, des étourneaux parfois, et leurs petits chants pathétiques me tiraient des larmes. Un couple de crécerelles nichait juste au-dessus de la parfumerie, je ne m'en étais jamais aperçue. Il me semblait parfois que je comprenais tout ce que les oiseaux disaient. Il y avait aussi des chats, et des chiens, les chiens aboyaient toujours en me voyant, et les chats me regardaient d'un drôle d'air. J'avais l'impression que tout le monde savait que je mangeais des fleurs. Quand l'été est venu je n'ai plus trouvé autant de fleurs et je me suis rabattue sur l'herbe tout bêtement, et à l'automne j'ai découvert les marrons. C'est bon, les marrons. Je ne prenais plus la peine de me cacher, sauf des clients qui pouvaient passer; je m'étais rendu compte que tout le monde s'en fichait de ce que je pouvais bien faire. Je les écorçais facilement, les marrons, mes ongles étaient devenus très durs et plus courbes qu'avant. Mes dents étaient très solides aussi, je n'aurais jamais cru ça. Le marron se fendait sous mes molaires, ça giclait en un jus pâteux et savoureux. En deux coups de dents c'était fini, il m'en fallait un autre. Un jour la dame en noir, l'amie de ma vieille cliente, m'a donné un euro. Elle croyait que j'avais faim. Ce n'était pas faux, en un sens. J'avais constamment faim, j'aurais mangé n'importe quoi. J'aurais mangé des épluchures, des fruits blets, des glands, des vers de terre. La seule chose qui vraiment continuait à ne pas passer, c'était le jambon, et aussi le pâté, et le saucisson et le salami, tout ce qui est pourtant pratique dans les sandwichs. Même les sandwichs au poulet ne me donnaient pas le même plaisir qu'avant. Je mangeais des sandwichs à la patate crue. On pouvait sûrement croire à des œuf en tranche, de loin. Un jour, Honoré a acheté des rillettes chez un traiteur chic. Il croyait me faire plaisir en s'occupant pour une fois des courses et en organisant une petite charcuterie-partie en tête-à-tête à la maison. Eh bien quand j'ai vu les rillettes je n'ai pas pu me retenir une seconde: j'ai vomi là, dans la cuisine. Honoré a plissé les yeux de dégoût, c'étaient en quelque sorte les rillettes de la dernière chance entre nous. De toute la soirée je n'ai pas pu me calmer. Je tremblais, j'avais des sueurs froides qui empestaient dans tout l'appartement. Honoré est parti en claquant la porte et en me laissant seule avec les rillettes posées sur la table. J'étais coincée dans la cuisine, pour rejoindre le salon il fallait passer devant la table et il m'était impossible de prendre sur moi. J'ai passé une nuit horrible. A peine m'assoupissais-je sur mon tabouret que des images de sang et d'égorgement me venaient à l'esprit. Je voyais Honoré ouvrir la bouche sur moi comme pour m'embrasser, et me mordre sauvagement dans le lard. Je voyais les clients faire mine de manger les fleurs de mon décolleté et planter leurs dents dans mon cou. Je voyais le directeur arracher ma blouse et hurler de rire en découvrant six tétines au lieu de mes deux seins. C'est ce cauchemar-là qui m'a fait me réveiller en sursaut. J'ai couru vomir à la salle de bains, mais l'odeur des rillettes m'a soulevé le cœur encore plus. Ça a fait comme si mon intérieur se retournait, le ventre, les tripes, les boyaux, tout à l'extérieur comme un gant à l'envers. J'ai vomi sans pouvoir m'arrêter pendant plusieurs minutes. Après j'ai ressenti le besoin urgent de me laver. Je me suis frottée sur tout le corps, savonnée dans les moindres recoins, je voulais enlever tout ça. Il y avait une odeur très particulière attachée à ma peau. Les poils surtout me dégoûtaient. Je me suis séchée soigneusement dans une serviette bien propre, je me suis frottée au talc, et je me suis sentie un peu mieux. Ensuite je me suis rasé les jambes et, comme je pouvais, le dos. Un peu de sang a coulé, c'est difficile de se raser le dos. La vue du sang m'a pétrifiée. Je suis restée là, assise par terre sur mon derrière avec le sang qui coulait. Je n'arrivais pas à m'ôter de la tête ces visions d'égorgement, le sang qui gicle de la carotide, le corps agité de soubresauts. Pourtant je n'avais jamais vu qui que ce soit se faire égorger en vrai. La seule personne égorgée que je connaissais, c'était ma cliente d'autrefois, celle qui avait été assassinée et dont l'amie venait au square. L'amie m'avait dit que l’egorgement ça avait seulement été la fin pour elle, que ça avait duré longtemps tout ce qu'on lui avait fait, qu'elle avait du sang coagulé partout quand on l'a trouvée. Je préférais ne pas y penser. Je sais qu'un journal a publié les photos, un client avait absolument tenu à me l'offrir et il avait même voulu que je lui fasse des choses spéciales en regardant les photos. J'ai refusé. Le client s'est plaint au directeur, c'était la toute première fois qu'un client se plaignait. Heureusement juste après il y avait eu la cérémonie où j'avais été sacrée meilleure ouvrière. J'aimais bien ma vieille cliente, ce n'est pas tellement pour ça que j'avais refusé de voir les photos, mais plutôt parce que je sentais déjà que je ne pourrais pas supporter la vue de tout ce sang. D'un côté je rêvais de sang toutes les nuits, j'avais comme des envies de taillader dans du lard. D'un autre côté, la chair sanglante, c'est ce qui me répugnait le plus. A l'époque je comprenais mal ces contradictions. Je sais aujourd'hui que la nature est pleine de contraires, que tout s'accouple sans cesse dans le monde, enfin, je vous fais grâce de ma petite philosophie. Sachez tout de même qu'il m'arrive souvent maintenant de fendre d'un coup de dent un petit corps de la nature, et que je n'en tire ni dégoût ni affectation. Il faut bien se procurer sa dose de protéines. Le plus facile, ce sont les souris, comme font les chats, ou alors les vers de terre mais c'est moins énergétique. Cette nuit-là, quand le sang a coulé sur mon dos, je n'ai pas pu me relever avant plusieurs heures. Curieusement je n'avais pas froid. J'étais nue sur le carrelage, mais ma peau était devenue si épaisse qu'elle me tenait pour ainsi dire chaud. Quand j'ai enfin réussi à bouger, cela a fait comme un arrachement en moi, comme si l'usage de ma volonté demandait de terribles efforts à la fois à mon cerveau et à mon corps. J'ai voulu me mettre debout et curieusement mon corps s'est comme qui dirait retourné sous moi. Je me suis retrouvée à quatre pattes. C'était effrayant, parce que je n'arrivais pas à faire pivoter mes hanches. J'étais comme paralysée du derrière, à la manière des vieux chiens. Je tirais sur mes reins, mais il n'y avait rien à faire, je ne pouvais pas me mettre debout. J'ai attendu longtemps. J'avais du mal à tourner la tête pour regarder derrière moi. J'avais l'impression que la salle de bains était pleine d'anciens clients ricanants, et pourtant je savais bien que j'étais seule. J'avais très peur. Enfin à nouveau il y a eu comme un déclic dans mon cerveau et dans mon corps, ma volonté s'est en quelque sorte roulée en boule dans mes reins, j'ai poussé, j'ai réussi à me mettre debout. C'est le pire cauchemar que j'ai jamais fait de ma vie. Par la suite j'ai gardé comme une douleur constante aux hanches, une sorte de crampe, et une certaine difficulté à me tenir bien droite. J'étais tellement bouleversée par tout ce qui venait de se passer que j'ai ressenti le besoin de me regarder dans la glace, de me reconnaître en quelque sorte. J'ai vu mon pauvre corps, comme il était abîmé. De ma splen deur ancienne tout ou presque avait disparu. La peau de mon dos était rouge, velue, et il y avait ces étranges taches grisâtres qui s'arrondissaient le long de l'échiné. Mes cuisses si fermes et si bien galbées autrefois s'effondraient sous un amas de cellulite. Mon derrière était gros et lisse comme un énorme bourgeon. J'avais aussi de la cellulite sur le ventre, mais une drôle de cellulite, à la fois pendante et tendineuse. Et là, dans le miroir, j'ai vu ce que je ne voulais pas voir. Ce n'était pas comme dans le miroir du marabout, mais c'était aussi terrible. Le téton au-dessus de mon sein droit s'était développé en une vraie mamelle, et il y avait trois autres taches sur le devant de mon corps, une au-dessus de mon sein gauche, et deux autres, bien parallèles, juste en dessous. J'ai compté et recompté, on ne pouvait pas s'y tromper, cela faisait bien six, dont trois seins déjà formés. Le jour se levait. J'ai été prise d'une soudaine impulsion. J'ai jeté un manteau sur moi et je suis allée droit au quai de la Mégisserie. J'ai attendu que les magasins ouvrent. J'ai pris mon temps pour choisir. J'ai acheté un joli cochon d'Inde aux yeux verts, une femelle, les mâles me dégoûtaient un peu avec leurs grosses trucs. Et puis j'ai acheté un petit chien. Ça m'a coûté cher. C'est assez rare les animaux, maintenant. Mais je n'ai pas eu besoin d'acheter une laisse. Le petit chien s'est mis à me suivre tout seul d'un air intrigué, il reniflait sans arrêt dans mon sillage. Le cochon d'Inde, lui, dormait dans mes bras, il était mignon comme tout, avec un air apaisé et heureux. Le petit chien me flairait avec circonspection, on avait l'impression qu'il cherchait quelque chose. Mon cas l'a tout de suite passionné. A chaque chien qu'il croisait dans la rue, il me désignait de la truffe. Les autres chiens me regardaient avec de grands yeux. J'en ai rapidement eu assez. Je cherchais un compagnon, quelqu'un qui me comprenne et me console, pas quelqu'un qui m'exhibe comme un phénomène de cirque. Je n'ai pas regretté le petit chien quand Honoré l'a jeté par la fenêtre, seulement les sous qu'il m'a coûté. Honoré est rentré ivre mort. Il sentait la femelle, sans doute une de ses étudiantes. Il s'est tout de suite mis à braire contre ma ménagerie. J'ai compris que décidément notre couple battait de l'aile. J'ai hurlé que s'il touchait à un cheveu de la tête de mon petit cochon, c'était lui, Honoré, qui allait passer par la fenêtre. Ce matin-là je ne suis pas allée à la parfumerie. Ou plutôt si, je suis allée furtivement relever le rideau, et j'ai volé des parfums et des produits de beauté. Je sais que ce n'est pas bien, mais j'étais un peu déboussolée, dans mon état normal je n'aurais pas fait ça. Je me suis lancée dans l'opération de la dernière chance. J'ai vendu les produits dans la rue et je suis allée voir une dermatologue. Il fallait absolument que je sois belle pour quand Honoré rentrerait. La dermatologue a poussé les hauts cris quand elle m'a auscultée. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais vu une peau dans cet état. On peut dire qu'elle a trouvé les mots qui consolent. Je lui ai dit que tout ce que je voulais, c'était pouvoir me maquiller un peu ce soir, et sentir moins mauvais. La dermatologue m'a dit qu'elle n'était pas esthéticienne. La dermatologue était une femme vraiment très chic, je me sentais minable devant elle. Elle m'a tout de même injecté une sorte de sérum, elle m'a dit qu'il y a des maladies qui traînent, surtout dans les squares avec tous ces pigeons. Ensuite elle m'a demandé d'un air soupçonneux si j'avais eu des rapports sexuels ces derniers temps. Je n'ai pas osé répondre. La dermatologue a levé les yeux au ciel et m'a injecté une seconde dose de sérum. Ça m'a donné des maux de tête terribles, et des nausées. La dermatologue m'a priée de ne pas vomir sur sa moquette. Tout ça a coûté très cher. Mais le soir j'ai pu me maquiller sans allergie trop importante et le rasage a semblé vouloir tenir un peu plus longtemps que d'habitude. Dans la même journée j'ai aussi fait une folie: j'ai acheté une robe à ma taille. La vendeuse m'a dit qu'en 48 je ne trouverais que ce modèle. La robe cependant était jolie, ample certes, avec la taille sous les seins et un col montant, mais vaporeuse et légère et pour tout dire très féminine. Quand je suis rentrée à la maison je n'avais plus un sou vaillant. Mais j'ai trouvé comme un moment de répit. J'ai pu boire un café sans tout vomir et prendre un peu de repos dans un fauteuil.