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La vie devant soi

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La vie devant soi
Название: La vie devant soi
Автор: Gary Romain
Дата добавления: 16 январь 2020
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La vie devant soi - читать бесплатно онлайн , автор Gary Romain

C'est ? Belleville, au sixi?me sans ascenseur, chez madame Rosa, une vieille Juive qui a connu Auschwitz, et qui autrefois, il y a bien longtemps, " se d?fendait " rue Blondel. Elle a ouvert " une pension sans famille pour les gosses qui sont n?s de travers ", autrement dit un cr?che clandestin o? les dames " qui se d?fendent " abandonnent plus ou moins leurs rejetons de toutes les couleurs. Momo, dix ans ou alentour, raconte sa vie chez Madame Rosa et son amour pour la seule maman qui lui reste, cette ancienne respectueuse, grosse, virile, laide, sans cheveux, et qu'il aime de tout son c?ur – presque autant que son " parapluie Arthur ", une poup?e qu'il s'est fabriqu?e avec un vieux parapluie; il n'a pas de p?re et chez Madame Rosa, les autres gosses s'appellent Mo?se ou Banania. Lorsque Madame Rosa meurt, il lui peint le visage au Ripolin, l'arrose des parfums qu'il a vol?s et se couche pr?s d'elle pour mourir aussi.

Gary disait " Il me serait tr?s p?nible si on me demandait avec sommation d'employer des mots qui ont d?j? beaucoup couru, dans le sens courant, sans trouver de sortie ". Dans La Vie devant soi Gary/Ajar invente un style neuf, dans le genre parl?, familier, mais sans argot, qui ?clate en formules cocasses, incongrues, lapidaires. Des phrases distordues sciemment pour l'effet du rire. C'est pourquoi j'ai choisi de r?sumer ce roman avec les phrases d'Ajar lui-m?me. Cela m'a sembl? devoir mieux rendre toute la sensibilit?, l'?motion que le livre suscite.

" Je m'appelle Mohammed mais tout le monde m'appelle Momo pour faire plus petit. Pendant longtemps je n'ai pas su que j'?tais arabe parce que personne ne m'insultait. On me l'a seulement appris ? l'?cole.

La premi?re chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixi?me ? pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'?tait une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle ?tait ?galement juive. Sa sant? n'?tait pas bonne non plus et je peux vous dire aussi d?s le d?but que c'?tait une femme qui aurait m?rit? un ascenseur.

Madame Rosa ?tait n?e en Pologne comme Juive mais elle s'?tait d?fendue au Maroc et en Alg?rie pendant plusieurs ann?es et elle savait l'arabe comme vous et moi. Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la premi?re fois. Au d?but je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat ? la fin du mois. Quand je l'ai appris, ?a m'a fait un coup de savoir que j'?tais pay?. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on ?tait quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleur? toute une nuit et c'?tait mon premier grand chagrin.

Au d?but je ne savais pas que je n'avais pas de m?re et je ne savais m?me pas qu'il en fallait une. Madame Rosa ?vitait de m'en parler pour ne pas me donner des id?es. On ?tait tant?t six ou sept tant?t m?me plus l?-dedans. Il y avait chez nous pas mal de m?res qui venaient une ou deux fois par semaine mais c'?tait toujours pour les autres.

Nous ?tions presque tous des enfants de putes chez madame Rosa, et quand elles partaient plusieurs mois en province pour se d?fendre l?-bas, elles venaient voir leur m?me avant et apr?s. Il me semblait que tout le monde avait une m?re sauf moi. J'ai commenc? ? avoir des crampes d'estomac et des convulsions pour la faire venir.

Une nuit j'ai entendu que Madame Rosa gueulait dans son r?ve, ?a m'a r?veill? et j'ai vu qu'elle se levait. Elle avait la t?te qui tremblait et des yeux comme si elle voyait quelque chose. Puis elle est sortie du lit, elle a mis son peignoir et une cl? qui ?tait cach?e sous l'armoire. Elle est all?e dans l'escalier et elle l'a descendu. Je l'ai suivie. Je ne savais pas du tout ce qui se passait, encore moins que d'habitude, et ?a fait toujours encore plus peur. J'avais les genoux qui tremblaient et c'?tait terrible de voir cette Juive qui descendait les ?tages avec des ruses de Sioux comme si c'?tait plein d'ennemis et encore pire. Quand madame Rosa a pris l'escalier de la cave, j'ai cru vraiment qu'elle ?tait devenue macaque et j'ai voulu courir r?veiller le docteur Katz. Mais j'ai continu? de la suivre. La cave ?tait divis?e en plusieurs et une des portes ?tait ouverte. J'ai regard?. Il y avait au milieu un fauteuil rouge compl?tement enfonc?, crasseux et boiteux, et Madame Rosa ?tait assise dedans. Les murs, c'?tait que des pierres qui sortaient comme des dents et ils avaient l'air de se marrer.

Sur une commode, il y avait un chandelier avec des branches juives et une bougie qui br?lait. Il y avait ? ma grande surprise un lit dans un ?tat bon ? jeter, mais avec matelas, couvertures et oreillers. Il y avait aussi des sacs de pommes de terre, un r?chaud, des bidons et des bo?tes ? carton pleines de sardines. Madame Rosa est rest?e un moment dans ce fauteuil miteux et elle souriait avec plaisir. Elle avait pris un air malin et m?me vainqueur. C'?tait comme si elle avait fait quelque chose de tr?s astucieux et de tr?s fort. Puis elle s'est lev?e et elle s'est mise ? balayer. Je n'y comprenais rien, mais ?a faisait seulement une chose de plus. Quand elle est remont?e, elle n'avait plus peur et moi non plus, parce que c'est contagieux.

Madame Rosa avait toujours peur d'?tre tu?e dans son sommeil, comme si ?a pouvait l'emp?cher de dormir. Les gens tiennent ? la vie plus qu'? n'importe quoi, c'est m?me marrant quand on pense ? toutes les belles choses qu'il y a dans le monde.

Madame Rosa se bourrait parfois de tranquillisants et passait la soir?e ? regarder droit devant elle avec un sourire heureux parce qu'elle ne sentait rien. Jamais elle ne m'en a donn? ? moi. Quand on devenait agit?s ou qu'on avait des m?mes ? la journ?e qui ?taient s?rieusement perturb?s, car ?a existe, c'est elle qui se bourrait de tranquillisants. Alors l?, on pouvait gueuler ou se rentrer dans le chou, ?a ne lui arrivait pas ? la cheville. C'est moi qui ?tais oblig? de faire r?gner l'ordre et ?a me plaisait bien parce que ?a me faisait sup?rieur.

La seule chose qui pouvait remuer un peu Madame Rosa quand elle ?tait tranquillis?e c'?tait si on sonnait ? la porte. Elle avait une peur bleue des Allemands. Lorsqu'elle avait trop peur elle d?gringolait jusqu'? la cave comme la premi?re fois. Une fois je lui ai pos? la question – Madame Rosa, qu'est-ce que c'est ici? Pourquoi vous y venez, des fois au milieu de la nuit? C'est quoi? Elle a arrang? un peu ses lunettes et elle a souri. – C'est ma r?sidence secondaire, Momo. C'est mon trou juif. C'est l? que je viens me cacher quand j'ai peur. – -Peur de quoi Madame Rosa? – - C'est pas n?cessaire d'avoir des raisons pour avoir peur Momo. Ca, j'ai jamais oubli?, parce que c'est la chose la plus vraie que j'aie jamais entendue.

Madame Rosa avait des ennuis de c?ur et c'est moi qui faisait le march? ? cause de l'escalier. Chaque matin, j'?tais heureux de voir que Madame Rosa se r?veillait car j'avais des terreurs nocturnes, j'avais une peur bleue de me trouver sans elle. Je devais aussi penser ? mon avenir, qui vous arrive toujours sur la gueule t?t ou tard, parce que si je restais seul, c'?tait l'Assistance publique sans discuter.

Tout ce que je savais c'est que j'avais s?rement un p?re et une m?re, parce que l?-dessus la nature est intraitable. Lorsque les mandats ont cess? d'arriver et qu'elle n'avait pas de raisons d'?tre gentille avec moi j'ai eu tr?s peur. Il faut dire qu'on ?tait dans une sale situation. Madame Rosa allait bient?t ?tre atteinte par la limite d'?ge et elle le savait elle-m?me. Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre tr?s jeune, parce qu'apr?s on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux.

Un jour que je me promenais j'ai rencontr? Nadine. Elle sentait si bon que j'ai pens? ? Madame Rosa, tellement c'?tait diff?rent. Elle m'a offert une glace ? la vanille et m'a donn? son adresse. Elle m'a dit qu'elle avait des enfants et un mari, elle a ?t? tr?s gentille.

Lorsque je suis rentr? j'ai bien vu que Madame Rosa s'?tait encore d?t?rior?e pendant mon absence. Le docteur Katz est venu la voir et il a dit qu'elle n'avait pas le cancer, mais que c'?tait la s?nilit?, le g?tisme et qu'elle risquait de vivre comme un l?gume pendant encore longtemps.

Heureusement, on avait des voisins pour nous aider. Madame Lola qui habitait au quatri?me se d?fendait au bois de Boulogne comme travestite, et avant d'y aller elle venait toujours nous donner un coup de main. Parfois elle nous refilait de l'argent et nous faisait la popote go?tant la sauce avec des petits gestes et des mines de plaisir. Je lui disais " Madame Lola vous ?tes comme rien et personne " et elle ?tait contente. Il y avait aussi Monsieur Waloumba qui est un noir du Cameroun qui ?tait venu en France pour la balayer. Un jour il est all? chercher cinq copains et ils sont venus danser autour de Madame Rosa pour chasser les mauvais esprits qui s'attaquent ? certaines personnes d?s qu'ils ont un moment de libre.

Un jour on a sonn? ? la porte, je suis all? ouvrir et il y avait l? un petit mec avec un long nez qui descendait et des yeux comme on en voit partout mais encore plus effray?s. Madame Rosa avait toute sa t?te ? elle ce jour l?, et c'est ce qui nous a sauv?s. Le bonhomme nous a dit qu'il s'appelait Kadir Yo?ssef, qu'il ?tait rest? onze ans psychiatrique. Il nous a expliqu? comment il avait tu? sa femme qu'il aimait ? la folie parce qu'il en ?tait jaloux. On l'avait soign? et aujourd'hui il venait chercher son fils Mohammed qu'il avait confi? ? Madame Rosa il y avait de cela onze ans. Il se tourna vers moi et me regarda avec une peur bleue, ? cause des ?motions que ?a allait lui causer. – C'est lui? -Mais Madame Rosa avait toute sa t?te et m?me davantage. Elle s'est ventil?e en silence et puis elle s'est tourn?e vers Mo?se. – -Mo?se dis bonjour ? ton papa. Monsieur Yo?ssef Kadir devint encore plus p?le que possible. – Madame, je suis pers?cut? sans ?tre juif. C'est fini, le monopole juif, Madame. Il y a d'autres gens que les Juifs qui ont le droit d'?tre pers?cut?s aussi. Je veux mon fils Mohammed Kadir dans l'?tat arabe dans lequel je vous l'ai confi? contre re?u. Je ne veux pas de fils juif sous aucun pr?texte, j'ai assez d'ennuis comme ?a.

Madame Rosa lui a expliqu? qu'il y avait sans doute eu erreur. Elle avait re?u ce jour-l? deux gar?ons dont un dans un ?tat musulman et un autre dans un ?tat juif…et qu'elle avait du se tromper de religion. Elle lui a dit aussi que lorsqu'on laisse son fils pendant onze ans sans le voir, il faut pas s'?tonner qu'il devienne juif et que s'il voulait son fils il fallait qu'il le prenne dans l'?tat dans lequel il se trouvait. Mo?se a fait un pas vers Monsieur Youssef Kadir et celui-ci a dit une chose terrible pour un homme qui ne savait pas qu'il avait raison. – Ce n'est pas mon fils! cria-t-il, en faisant un drame. Il s'est lev?, il a fait un pas vers la porte, il a plac? une main ? gauche l? ou on met le c?ur et il est tomb? par terre comme s'il n'avait plus rien ? dire.

Monsieur Youssef Kadir ?tait compl?tement mort, ? cause du grand calme qui s'empare sur leur visage des personnes qui n'ont plus ? se biler. Les fr?res Zaoum l'on transport? sur le palier du quatri?me devant la porte de Monsieur Charmette qui ?tait fran?ais garanti d'origine et qui pouvait se le permettre.

Moi j'?tais encore compl?tement renvers? ? l'id?e que je venais d'avoir d'un seul coup quatre ans de plus et je ne savais pas quelle t?te faire, je me suis m?me regard? dans la glace. Avec Madame Rosa on a essay? de ne pas parler de ce qui venait d'arriver pour ne pas faire des vagues. Je me suis assis ? ses pieds et je lui ai pris la main avec gratitude, apr?s ce qu'elle avait fait pour me garder. On ?tait tout ce qu'on avait au monde et c'?tait toujours ?a de sauv?. Plus tard elle m'a avou? qu'elle voulait me garder le plus longtemps possible alors elle m'avait fait croire que j'avais quatre ans de moins.

Maintenant le docteur Katz essayait de convaincre Madame Rosa pour qu'elle aille ? l'h?pital. Moi, j'avais froid aux fesses en ?coutant le docteur Katz. Tout le monde savait dans le quartier qu'il n'?tait pas possible de se faire avorter ? l'h?pital m?me quand on ?tait ? la torture et qu'ils ?taient capables de vous faire vivre de force, tant que vous ?tiez encore de la barbaque et qu'on pouvait planter une aiguille dedans. La m?decine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu'au bout pour emp?cher que la volont? de Dieu soit faite. Madame Rosa est la seule chose au monde que j'aie aim?e ici et je ne vais pas la laisser devenir champion du monde des l?gumes pour faire plaisir ? la m?decine.

Alors j'ai invent? que sa famille venait la chercher pour l'emmener en Isra?l. Le soir j'ai aid? Madame Rosa ? descendre ? la cave pour aller mourir dans son trou juif. J'avais jamais compris pourquoi elle l'avait am?nag? et pourquoi elle y descendait de temps en temps, s'asseyait, regardait autour d'elle et respirait. Maintenant je comprenais.

J'ai mis le matelas ? c?t? d'elle, pour la compagnie mais j'ai pas pu fermer l'?il parce que j'avais peur des rats qui ont une r?putation dans les caves, mais il n'y en avait pas. Quand je me suis r?veill? Madame Rosa avait les yeux ouverts mais lorsque je lui ai mis le portrait de Monsieur Hitler devant, ?a ne l'a pas int?ress?e. C'?tait un miracle qu'on a pu descendre dans son ?tat.

Je suis rest? ainsi trois semaines ? c?t? du cadavre de Madame Rosa. Quand ils ont enfonc? la porte pour voir d'o? ?a venait et qu'ils m'ont vu couch? ? c?t?, ils se sont mis ? gueuler au secours quelle horreur mais ils n'avaient pas pens? ? gueuler avant parce que la vie n'a pas d'odeur. Ils m'ont transport? ? l'ambulance o? ils ont trouv? dans ma poche le papier avec le nom et l'adresse de Nadine. Ils ont cru qu'elle ?tait quelque chose pour moi. C'est comme ?a qu'elle est arriv?e et qu'elle m'a pris chez elle ? la campagne sans aucune obligation de ma part. Je veux bien rester chez elle un bout de temps puisque ses m?mes me le demandent. Le docteur Ramon, son mari est m?me all? chercher mon parapluie Arthur, je me faisais du mauvais sang car personne n'en voudrait ? cause de sa valeur sentimentale, il faut aimer.

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– Mon père est venu l'autre jour pour me reprendre, il m'avait mis en pension chez Madame Rosa avant de tuer ma mère et on l'a déclaré psychiatrique. Il avait d'autres putes qui travaillaient pour lui mais il a tué ma mère parce que c'est elle qu'il préférait. Il est venu me réclamer quand ils L'ont laissé sortir mais Madame Rosa n'a rien voulu savoir, parce que c'est pas bon pour moi d'avoir un père psychiatrique, ça peut être héréditaire. Alors elle lui a dit que son fils c'est Moïse, qui est juif. Il y a aussi des Moïse chez les Arabes mais ils sont pas juifs. Seulement, vous pensez, Monsieur Yoûssef Kadir était arabe et musulman et quand on lui a rendu un fils juif, il a fait un malheur et il est mort…

Le docteur Ramon écoutait lui aussi mais c'était surtout Madame Nadine qui me faisait plaisir.

… Madame Rosa, c'est la femme la plus moche et la plus seule que j'aie jamais vue dans son malheur, heureusement que je suis là, parce que personne n'en voudrait. Moi je comprends pas pourquoi il y a des gens qui ont tout, qui sont moches, vieux, pauvres, malades et d'autres qui n'ont rien du tout. C'est pas juste. Moi j'ai un ami qui est chef de toute la police et qui a les forces de sécurité les plus fortes de tous, il est partout le plus fort, c'est le plus grand flic que vous pouvez imaginer. Il est tellement fort comme flic qu'il pourrait faire n'importe quoi, c'est le roi. Quand on marche dans la rue ensemble, il me met le bras autour des épaules pour bien montrer que c'est comme mon père. Quand j'étais petit il y avait des fois une lionne qui venait la nuit me lécher la figure, j'avais encore dix ans et j'imaginais des choses et à l'école ils ont dit que j'étais perturbé parce qu'ils ne savaient pas que j'avais quatre ans de plus, j'étais pas encore daté, c'était bien avant que Monsieur Yoûssef Kadir est venu se déclarer comme mon père avec un reçu à l'appui. C'est Monsieur Hamil le marchand de tapis bien connu qui m'a appris tout ce que je sais et maintenant il est aveugle. Monsieur Hamil a un Livre de Monsieur Victor Hugo sur lui et quand je serai grand j'écrirai moi aussi les misérables parce que c'est ce qu'on écrit toujours quand on a quelque chose à dire. Madame Rosa avait peur d'une crise de violence de ma part et que je lui cause du tort en lui coupant la gorge parce qu'elle avait peur que j'étais héréditaire. Mais il y a pas un enfant de pute qui peut dire qui est son père et moi je n'irai jamais tuer personne, ce n'est pas fait pour ça. Quand je serai grand j'aurai toutes les forces de sécurité à ma disposition et j'aurai jamais peur. C'est dommage qu'on peut pas tout faire à l'envers comme dans votre salle de projection, pour faire reculer le monde et pour que Madame Rosa soit jeune et belle et ça ferait plaisir de la regarder. Des fois je pense partir avec un cirque où j'ai des amis qui sont clowns mais je ne peux pas le faire et dire merde à tous tant que la Juive sera là parce que je suis obligé de m'occuper d'elle…

Je m'emballais de plus en plus et je ne pouvais plus m'arrêter de parler parce que j'avais peur si je m'arrêtais qu'ils n'allaient plus m'écouter. Le docteur Ramon, car c'était lui, avait un visage avec des lunettes et des yeux qui vous regardent et à un moment il s'est même levé et il a même mis le magnétophone pour mieux m'écouter et je me suis senti encore plus important, c'était même pas croyable. Il avait des tas de cheveux sur la tête. C'était la première fois que j'étais digne d'intérêt et qu'on me mettait même sur magnétophone. Moi j'ai jamais su ce qu'il faut faire pour être digne d'intérêt, tuer quelqu'un avec des otages ou est-ce que je sais. Ah là là je vous jure, il y a une telle quantité de manque d'attention dans le monde qu'on est obligé de choisir comme pour les vacances quand on ne peut pas aller à la fois à la montagne et à la mer. On est obligé de choisir ce qui nous plaît le plus comme manque d'attention dans le monde et les gens prennent toujours ce qu'il y a de mieux dans le genre et de plus chèrement payé comme les nazis qui ont coûté des millions ou le Vietnam. Alors une vieille Juive au sixième étage sans ascenseur qui a déjà trop souffert dans le passé pour qu'on s'intéresse encore à elle, c'est pas avec Ça qu'on passera en première série, ah non alors. Les gens il leur faut des millions et des millions pour se sentir intéressés et on ne peut pas leur en vouloir car plus c'est petit et moins ça compte…

Je me vautrais dans mon fauteuil et je parlais comme un roi et le plus marrant, c'est qu'ils m'écoutaient comme s'ils avaient jamais rien entendu de pareil. Mais c'est surtout le docteur Ramon qui me faisait parler, parce que la môme, j'avais l'impression qu'elle ne voulait pas entendre, des fois elle faisait même un geste comme pour se boucher les oreilles. Ça me faisait marrer un peu parce que quoi, on est bien obligé de vivre.

Le docteur Ramon m'a demandé ce que je voulais dire quand je parlais de l'état de manque et je lui ai dit que c'est quand on n'a rien et personne. Après il a voulu savoir comment on faisait pour vivre depuis que les putes ne venaient plus nous mettre des mômes en pension, mais là je l'ai tout de suite rassuré et je lui ai dit que le cul, c'est ce qu'il y a de plus sacré chez l'homme, Madame Rosa me l'avait expliqué quand je ne savais même pas encore à quoi ça servait. Je ne me défendais pas avec mon cul, il pouvait être tranquille. On avait une amie Madame Lola qui se défendait au bois de Boulogne comme travestite et qui nous aidait beaucoup. Si tout le monde était comme elle le monde serait vachement différent et il y aurait beaucoup moins de malheurs. Elle avait été champion de boxe au Sénégal avant de devenir travestite et elle gagnait assez d'argent pour élever une famille, si elle n'avait pas la nature contre elle.

De la façon qu'ils m'écoutaient je voyais bien qu'ils avaient pas l'habitude de vivre et je leur ai raconté comment je faisais le proxynète rue Blanche pour me faire un peu d'argent de poche. J'essaie encore maintenant de dire proxénète et pas proxynète comme je faisais quand j'étais môme, mais j'ai pris l'habitude. Parfois le docteur Ramon disait à son amie quelque chose de politique mais je ne comprenais pas très bien parce que la politique c'est pas pour les jeunes.

Je ne sais pas ce que je ne leur ai pas dit et j'avais envie de continuer et de continuer, tellement il nie restait des choses que j'avais envie de mettre dehors. Mais j'étais claqué et je commençais même à voir le clown bleu qui me faisait des signes comme souvent quand j'ai envie de dormir et j'avais peur qu'ils le voient aussi et qu'ils se mettent à penser que je suis taré ou quelque chose. J'arrivais plus à parler et ils ont bien vu que j'étais claqué et ils m'ont dit que je pouvais rester dormir chez eux. Mais je leur ai expliqué que je devais aller m'occuper de Madame Rosa qui allait bientôt mourir et après j'allais voir. Ils m'ont encore donné un papier avec leur nom et adresse et la môme Nadine m'a dit qu'elle allait me raccompagner en voiture et que le docteur viendrait avec nous pour jeter un coup d'œil à Madame Rosa pour voir s'il y avait quelque chose qu'il pouvait faire. Moi je ne voyais pas ce qu'on pouvait encore faire pour Madame Rosa après tout ce qu'on lui avait déjà fait, mais j'étais d'accord pour rentrer en voiture. Seulement, il y a eu un truc marrant.

On allait sortir quand quelqu'un a sonné à la porte cinq fois de suite et lorsque Madame Nadine a ouvert, j'ai vu les deux mômes que je connaissais déjà et qui étaient là chez eux, il n'y avait rien à dire. C'étaient ses mômes à elle qui revenaient de l'école ou quelque chose comme ça. Ils étaient blonds et habillés comme on croit rêver, avec des vêtements pour luxe, le genre de sapes qu'on ne peut pas voler parce qu'elles sont pas à l'étalage mais à l'intérieur et il faut franchir les vendeuses pour y arriver. Ils m'ont tout de suite regardé comme si j'étais de la merde. J'étais fringué comme un minable, je l'ai senti tout de suite. J'avais une casquette qui était toujours debout sur ses arrières parce que j'ai trop de cheveux et un pardaf qui m'arrivait aux talons. Quand on fauche des frusques, on n'a pas le temps de mesurer si c'est trop grand ou trop petit, on est pressé. Bon, ils ont rien dit, mais on était pas du même quartier.

J'ai jamais vu deux mômes aussi blonds que ces deux-là. Et je vous jure qu'ils avaient pas beaucoup servi, ils étaient tout neufs. Ils étaient vraiment sans aucun rapport.

– Venez, je vous présente notre ami Mohammed, dit leur mère.

Elle aurait pas dû dire Mohammed, elle aurait dû dire Momo. Mohammed, ça fait cul d'Arabe en France, et moi quand on me dit ça, je me fâche. J'ai pas honte d'être arabe au contraire mais Mohammed en France, ça fait balayeur ou main-d'œuvre. Ça veut pas dire la même chose qu'un Algérien. Et puis Mohammed ça fait con. C'est comme si on disait Jésus-Christ en France, ça fait rigoler tout le monde.

Les deux mômes m'ont tout de suite cherché. Le plus jeune, celui qui devait avoir dans les six ou sept ans, parce que l'autre devait faire dans les dix, m'a regardé comme s'il n'avait jamais vu ça, et puis il a dit:

– Pourquoi il est habillé comme ça?

J'étais pas pour me faire insulter. Je savais bien que j'étais pas chez moi ici. Là-dessus l'autre m'a regardé encore plus et il m'a demandé:

– Tu es arabe?

Merde, je me fais pas traiter d'Arabe par personne. Et puis, quoi, c'était pas la peine d'insister, j'étais pas jaloux ni rien mais la place n'était pas pour moi et puis elle était déjà prise, j'avais rien à dire. J'ai eu un truc à la gorge que j'ai avalé et puis, je me suis précipité dehors et j'ai foutu le camp.

On était pas du même quartier, quoi.

Je me suis arrêté devant un cinéma, mais c'était un film interdit aux mineurs. C'est même marrant quand on pense aux trucs qui sont interdits aux mineurs et à tous les autres auxquels on a droit.

La caissière m'a vu regarder les photos à la devanture et elle m'a gueulé de filer pour protéger la jeunesse. Connasse. J'en avais ralbol d'être interdit aux mineurs, j'ai ouvert ma braguette, je lui ai montré mon zob et je suis parti en courant parce que c'était pas le moment de plaisanter.

Je suis passé à Montmartre à côté d'un tas de sex-shops mais ils sont protégés aussi et puis j'ai pas besoin de trucs pour me branler quand j'en ai envie. Les sex-shops c'est pour les vieux qui peuvent plus se branler tout seuls.

Le jour où ma mère s'était pas fait avorter, c'était du génocide. Madame Rosa avait tout le temps ce mot à la bouche, elle avait de l'éduca tion et avait été à l'école.

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