Le grand cahier
Le grand cahier читать книгу онлайн
Arriv?s de la Grande Ville avec leur m?re, Claus et Lucas ne vont rester que tous les deux chez leur grand-m?re pendant la guerre. Cette derni?re est une femme sale, m?chante, radine, analphab?te et meurtri?re; les jumeaux vont alors entreprendre seuls une ?trange ?ducation. D'un c?t? ils s'entra?nent ? s'endurcir, ? ne pas s'apitoyer sur la douleur d'autrui et ? tuer, et de l'autre, ils ?crivent la liste des t?ches effectu?es dans un grand cahier. Mais, ? la suite d'un certain nombre d'?v?nements, les deux fr?res vont se retrouver s?par?s, le premier dans ce m?me pays totalitaire, le deuxi?me de l'autre c?t? de la fronti?re…
Dans la Grande Ville qu’occupent les Arm?es ?trang?res, la disette menace. Une m?re conduit donc ses enfants ? la campagne, chez leur grand-m?re. Analphab?te, avare, m?chante et m?me meurtri?re, celle-ci m?ne la vie dure aux jumeaux. Loin de se laisser abattre, ceux-ci apprennent seuls les lois de la vie, de l’?criture et de la cruaut?. Abandonn?s ? eux-m?mes, d?nu?s du moindre sens moral, ils s’appliquent ? dresser, chaque jour, dans un grand cahier, le bilan de leurs progr?s et la liste de leurs forfaits.
Le Grand Cahier nous livre une fable incisive sur les malheurs de la guerre et du totalitarisme, mais aussi un v?ritable roman d’apprentissage domin? par l’humour noir.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Exercice de cécité et de surdité
L'un de nous fait l'aveugle, l'autre fait le sourd. Pour s'entraîner, au début, l'aveugle attache un fichu noir de Grand-Mère devant ses yeux, le sourd se bouche les oreilles avec de l'herbe. Le fichu sent mauvais comme Grand-Mère.
Nous nous donnons la main, nous allons nous promener pendant les alertes, quand les gens se cachent dans les caves et que les rues sont désertes.
Le sourd décrit ce qu'il voit:
– La rue est droite et longue. Elle est bordée de maisons basses, sans étage. Elles sont de couleurs blanche, grise, rose, jaune et bleue. Au bout de la rue, on voit un parc avec des arbres et une fontaine. Le ciel est bleu, avec quelques nuages blancs. On voit des avions. Cinq bombardiers. Ils volent bas.
L'aveugle parle lentement pour que le sourd puisse lire sur ses lèvres:
– J'entends les avions. Ils produisent un bruit saccadé et profond. Leur moteur peine. Ils sont chargés de bombes. Maintenant, ils sont passés. J'entends de nouveau les oiseaux. Sinon, tout est silencieux.
Le sourd lit sur les lèvres de l'aveugle et répond:
– Oui, la rue est vide.
L'aveugle dit:
– Pas pour longtemps,. J'entends des pas approcher dans la rue latérale, à gauche!
Le sourd dit:
– Tu as raison. Le voilà, c'est un homme.
L'aveugle demande:
– Comment est-il?
Le sourd répond:
– Comme ils sont tous. Pauvre, vieux.
L'aveugle dit:
– Je le sais. Je reconnais le pas des vieux. J'entends aussi qu'il est pieds nus, donc il est pauvre.
Le sourd dit:
– Il est chauve. Ila une vieille veste de l'armée. Il a des pantalons trop courts. Ses pieds sont sales.
– Ses yeux?
– Je ne les vois pas. Il regarde par terre.
– Sa bouche?
– Lèvres trop rentrées. Il ne doit plus avoir de dents.
– Ses mains?
– Dans les poches. Les poches sont énormes et remplies de quelque chose. De pommes de terre, ou de noix, ça fait de petites bosses. Il lève la tête, il nous regarde. Mais je ne peux pas distinguer la couleur de ses yeux.
– Tu ne vois rien d'autre?
– Des rides, profondes comme des cicatrices, sur son visage.
L'aveugle dit:
– J'entends les sirènes. C'est la fin de l'alerte. Rentrons.
Plus tard, avec le temps, nous n'avons plus besoin de fichu pour les yeux ni d'herbe pour les oreilles. Celui qui a fait l'aveugle tourne simplement son regard vers l'intérieur, le sourd ferme ses oreilles à tous les bruits.
