Le grand cahier
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Arriv?s de la Grande Ville avec leur m?re, Claus et Lucas ne vont rester que tous les deux chez leur grand-m?re pendant la guerre. Cette derni?re est une femme sale, m?chante, radine, analphab?te et meurtri?re; les jumeaux vont alors entreprendre seuls une ?trange ?ducation. D'un c?t? ils s'entra?nent ? s'endurcir, ? ne pas s'apitoyer sur la douleur d'autrui et ? tuer, et de l'autre, ils ?crivent la liste des t?ches effectu?es dans un grand cahier. Mais, ? la suite d'un certain nombre d'?v?nements, les deux fr?res vont se retrouver s?par?s, le premier dans ce m?me pays totalitaire, le deuxi?me de l'autre c?t? de la fronti?re…
Dans la Grande Ville qu’occupent les Arm?es ?trang?res, la disette menace. Une m?re conduit donc ses enfants ? la campagne, chez leur grand-m?re. Analphab?te, avare, m?chante et m?me meurtri?re, celle-ci m?ne la vie dure aux jumeaux. Loin de se laisser abattre, ceux-ci apprennent seuls les lois de la vie, de l’?criture et de la cruaut?. Abandonn?s ? eux-m?mes, d?nu?s du moindre sens moral, ils s’appliquent ? dresser, chaque jour, dans un grand cahier, le bilan de leurs progr?s et la liste de leurs forfaits.
Le Grand Cahier nous livre une fable incisive sur les malheurs de la guerre et du totalitarisme, mais aussi un v?ritable roman d’apprentissage domin? par l’humour noir.
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Notre voisine et sa fille
Notre voisine est une femme moins vieille que Grand-Mère. Elle habite avec sa fille la dernière maison de la Petite Ville. C'est une masure complètement délabrée, son toit est troué à plusieurs endroits. Autour, il y a un jardin, mais il n'est pas cultivé comme le jardin de Grand-Mère. Il n'y pousse que de mauvaises herbes.
La voisine est assise toute la journée sur un tabouret dans son jardin et regarde devant elle, on ne sait quoi. Le soir, ou quand il pleut, sa fille la prend par le bras et la fait rentrer dans la maison. Parfois, sa fille l'oublie ou elle n'est pas là, alors la mère reste dehors toute la nuit, par n'importe quel temps.
Les gens disent que notre voisine est folle, qu'elle a perdu l'esprit quand l'homme qui lui a fait l'enfant l'a abandonnée.
Grand-Mère dit que la voisine est simplement paresseuse et qu'elle préfère vivre pauvrement plutôt que de se mettre au travail.
La fille de la voisine n'est pas plus grande que nous mais elle est un peu plus âgée. Pendant la journée, elle mendie en ville, devant les bistrots, au coin des rues. Au marché, elle ramasse les légumes et les fruits pourris que les gens jettent et elle les apporte à la maison. Elle vole aussi tout ce qu'elle peut voler. Nous avons dû la chasser plusieurs fois de notre jardin où elle essayait de prendre des fruits et des œufs.
Une fois, nous la surprenons buvant du lait en suçant le pis de l'une de nos chèvres.
Quand elle nous voit, elle se lève, s'essuie la bouche du dos de la main, elle recule, elle dit:
– Ne me faites pas de mal!
Elle ajoute:
– Je cours très vite. Vous ne me rattraperez pas.
Nous la regardons. C'est la première fois que nous la voyons de près. Elle a un bec-de-lièvre, elle louche, elle a de la morve au nez et dans les coins de ses yeux rouges, des saletés jaunes. Ses jambes et ses bras sont couverts de pustules.
Elle dit:
– On m'appelle Bec-de-Lièvre. J’aime le lait.
Elle sourit. Elle a des dents noires.
– J'aime le lait, mais ce que j'aime surtout, c'est sucer le pis. Gest bon. C'est dur et tendre à la fois.
Nous ne répondons pas. Elle s'approche.
– J'aime aussi sucer autre chose.
Elle avance la main, nous reculons. Elle dit:
– Vous ne voulez pas? Vous ne voulez pas jouer avec moi? J'aimerais tellement. Vous êtes si beaux.
Elle baisse la tête, elle dit:
– Je vous dégoûte.
Nous. disons:
– Non, tu ne nous dégoûtes pas.
– Je vois. Vous êtes trop jeunes, trop timides. Mais, avec moi, il ne faut pas vous gêner. Je vous apprendrai des jeux très amusants.
Nous lui disons:
– Nous ne jouons jamais.
– Qu'est-ce que vous faites alors, toute la journée?
– Nous travaillons, nous étudions.
– Moi, je mendie, je vole et je joue.
– Tu t'occupes aussi de ta mère. Tu es une fille bien.
Elle dit en s'approchant:
– Vous me trouvez bien? Vraiment?
– Oui. Et s'il te faut quelque chose pour ta mère ou pour toi, tu n'as qu'à nous le demander. Nous te donnerons des fruits, des légumes, des poissons, du lait.
Elle se met à crier:
– Je ne veux pas de vos fruits, de vos poissons, de votre lait! Tout ça, je peux le voler. Ce que je veux, c'est que vous m'aimiez. Personne ne m'aime. Même pas ma mère. Mais moi non plus, je n'aime personne. Ni ma mère ni vous! Je vous hais!
