Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Une prière? Hum, parlez, je vous écoute, et, je l’avoue, avec curiosité. Et j’ajoute qu’en général vous m’étonnez passablement, Pierre Stépanovitch.
Von Lembke était assez agité. Pierre Stépanovitch croisa ses jambes l’une sur l’autre.
– À Pétersbourg, commença-t-il, – j’ai été franc sur beaucoup de choses, mais sur d’autres, celle-ci, par exemple (il frappa avec son doigt sur la Personnalité éclairée), j’ai gardé le silence, d’abord parce que ce n’était pas la peine d’en parler, ensuite parce que je me suis borné à donner les éclaircissements qu’on m’a demandés. Je n’aime pas, en pareil cas, à aller moi-même au devant des questions; c’est, à mes yeux, ce qui fait la différence entre le coquin et l’honnête homme obligé de céder aux circonstances… Eh bien, en un mot, laissons cela de côté. Mais maintenant… maintenant que ces imbéciles… puisque aussi bien cela est découvert, qu’ils sont dans vos mains et que, je le vois, rien ne saurait vous échapper, – car vous êtes un homme vigilant, – je… je… eh bien, oui, je… en un mot, je suis venu vous demander la grâce de l’un d’eux, un imbécile aussi, disons même un fou; je vous la demande au nom de sa jeunesse, de ses malheurs, au nom de votre humanité… Ce n’est pas seulement dans vos romans que vous êtes humain, je suppose! acheva-t-il avec une sorte d’impatience brutale.
Bref, le visiteur avait l’air d’un homme franc, mais maladroit, inhabile, trop exclusivement dominé par des sentiments généreux et par une délicatesse peut-être excessive; surtout il paraissait borné: ainsi en jugea tout de suite Von Lembke. Depuis longtemps, du reste, c’était l’idée qu’il se faisait de Pierre Stépanovitch, et, durant ces derniers huit jours notamment, il s’était maintes fois demandé avec colère, dans la solitude de son cabinet, comment un garçon si peu intelligent avait pu si bien réussir auprès de Julie Mikhaïlovna.
– Pour qui donc intercédez-vous, et que signifient vos paroles? questionna-t-il en prenant un ton majestueux pour cacher la curiosité qui le dévorait.
– C’est… c’est… diable… Ce n’est pas ma faute si j’ai confiance en vous! Ai-je tort de vous considérer comme un homme plein de noblesse, et surtout sensé… je veux dire capable de comprendre… diable…
Le malheureux, évidemment, avait bien de la peine à accoucher.
– Enfin comprenez, poursuivit-il, – comprenez qu’en vous le nommant, je vous le livre; c’est comme si je le dénonçais, n’est-ce pas? N’est-il pas vrai?
– Mais comment puis-je deviner, si vous ne vous décidez pas à parler plus clairement?
– C’est vrai, vous avez toujours une logique écrasante, diable… eh bien, diable… cette «personnalité éclairée», cet «étudiant», c’est Chatoff… vous savez tout!
– Chatoff? Comment, Chatoff?
– Chatoff, c’est l’ «étudiant» dont, comme vous voyez, il est question dans cette poésie. Il demeure ici; c’est un ancien serf; tenez, c’est lui qui a donné un soufflet…
– Je sais, je sais! fit le gouverneur en clignant les yeux, – mais, permettez, de quoi donc, à proprement parler, est-il accusé, et quel est l’objet de votre démarche?
– Eh bien, je vous prie de le sauver, comprenez-vous? Il y a huit ans que je le connais, et j’ai peut-être été son ami, répondit avec véhémence Pierre Stépanovitch. – Mais je n’ai pas à vous rendre compte de ma vie passée, poursuivit-il en agitant le bras, – tout cela est insignifiant, ils sont au nombre de trois et demi, et en y ajoutant ceux de l’étranger, on n’arriverait pas à la dizaine. L’essentiel, c’est que j’ai mis mon espoir dans votre humanité, dans votre intelligence. Vous comprendrez la chose et vous la présenterez sous son vrai jour, comme le sot rêve d’un insensé… d’un homme égaré par le malheur, notez, par de longs malheurs, et non comme une redoutable conspiration contre la sûreté de l’État!…
Il étouffait presque.
– Hum. Je vois qu’il est coupable des proclamations qui portent une hache en frontispice, observa presque majestueusement André Antonovitch; – permettez pourtant, s’il est seul, comment a-t-il pu les répandre tant ici que dans les provinces et même dans le gouvernement de Kh…? Enfin, ce qui est le point le plus important, où se les est-il procurées?
– Mais je vous dis que, selon toute apparence, ils se réduisent à cinq, mettons dix, est-ce que je sais?
– Vous ne le savez pas?
– Comment voulez-vous que je le sache, le diable m’emporte?
– Cependant vous savez que Chatoff est un des conjurés?
– Eh! fit Pierre Stépanovitch avec un geste de la main comme pour détourner le coup droit que lui portait Von Lembke; – allons, écoutez, je vais vous dire toute la vérité: pour ce qui est des proclamations, je ne sais rien, c'est-à-dire absolument rien, le diable m’emporte, vous comprenez ce qui signifie le mot rien?… Eh bien, sans doute, il y a ce sous-lieutenant et un ou deux autres… peut-être aussi Chatoff et encore un cinquième, voilà tout, c’est une misère… Mais c’est pour Chatoff que je suis venu vous implorer, il faut le sauver parce que cette poésie est de lui, c’est son œuvre personnelle, et il l’a fait imprimer à l’étranger; voilà ce que je sais de science certaine. Quant aux proclamations, je ne sais absolument rien.
– Si les vers sont de lui, les proclamations en sont certainement aussi. Mais sur quelles données vous fondez-vous pour soupçonner M. Chatoff?
Comme un homme à bout de patience, Pierre Stépanovitch tira vivement de sa poche un portefeuille et y prit une lettre.
– Voici mes données! cria-t-il en la jetant sur la table.
Le gouverneur la déplia; c’était un simple billet écrit six mois auparavant et adressé de Russie à l’étranger; il ne contenait que les deux lignes suivantes:
– «Je ne puis imprimer ici la Personnalité éclairée, pas plus qu’autre chose; imprimez à l’étranger.
«Iv. Chatoff.»
Von Lembke regarda fixement Pierre Stépanovitch. Barbara Pétrovna avait dit vrai: les yeux du gouverneur ressemblaient un peu à ceux d’un mouton, dans certains moments surtout.
– C'est-à-dire qu’il a écrit ces vers ici il y a six mois, se hâta d’expliquer Pierre Stépanovitch, – mais qu’il n’a pu les y imprimer clandestinement, voilà pourquoi il demande qu’on les imprime à l’étranger… Est-ce clair?
– Oui, c’est clair, mais à qui demande-t-il cela? Voilà ce qui n’est pas encore clair, observa insidieusement Von Lembke.
– Mais à Kiriloff donc, enfin; la lettre a été adressée à Kiriloff à l’étranger… Est-ce que vous ne le saviez pas? Tenez, ce qui me vexe, c’est que peut-être vous faites l’ignorant vis-à-vis de moi, alors que vous êtes depuis longtemps instruit de tout ce qui concerne ces vers! Comment donc se trouvent-ils sur votre table? Vous avez bien su vous les procurer! Pourquoi me mettez-vous à la question, s’il en est ainsi?
Il essuya convulsivement avec son mouchoir la sueur qui ruisselait de son front.