Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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– Ce n’est qu’une frime.
– Blum, tu as juré de me tourmenter! songes-y, c’est un personnage en vue ici. Il a été professeur, il est connu, il criera, les plaisanteries pleuvront sur nous, et nous manquerons tout… pense un peu aussi à l’effet que cela produira sur Julie Mikhaïlovna!
Blum ne voulut rien entendre.
– Il n’a été que docent, rien que docent, et il a quitté le service sans autre titre que celui d’assesseur de collège, répliqua-t-il en se frappant la poitrine, – il ne possède aucune distinction honorifique, on l’a relevé de ses fonctions parce qu’on le soupçonnait de nourrir des desseins hostiles au gouvernement. Il a été sous la surveillance de la police, et il est plus que probable qu’il y est encore. En présence des désordres qui se produisent aujourd’hui, vous avez incontestablement le devoir d’agir. Au contraire, vous manqueriez aux obligations de votre charge si vous vous montriez indulgent pour le vrai coupable.
– Julie Mikhaïlovna! Décampe, Blum! cria tout à coup Von Lembke qui avait entendu la voix de sa femme dans la pièce voisine.
Blum frissonna, mais il tint bon.
– Autorisez-moi donc, autorisez-moi, insista-t-il en pressant ses deux mains contre sa poitrine.
– Décampe! répéta en grinçant des dents André Antonovitch, – fais ce que tu veux… plus tard… Ô mon Dieu!
La portière se souleva, et Julie Mikhaïlovna parut. Elle s’arrêta majestueusement à la vue de Blum qu’elle toisa d’un regard dédaigneux et offensé, comme si la seule présence de cet homme en pareil lieu eût été une insulte pour elle. Sans rien dire, l’employé s’inclina profondément devant la gouvernante; puis, le corps plié en deux, il se dirigea vers la porte en marchant sur la pointe des pieds et en écartant un peu les bras.
Blum interpréta-t-il comme une autorisation formelle la dernière parole échappée à l’impatience de Von Lembke, ou bien ce trop zélé serviteur crut-il pouvoir prendre sous sa propre responsabilité une mesure qui lui paraissait impérieusement recommandée par l’intérêt de son patron? quoi qu’il en soit, comme nous le verrons plus loin, de cet entretien du gouverneur avec son subordonné résulta une chose fort inattendue qui fit scandale, suscita maintes railleries et exaspéra Julie Mikhaïlovna, bref, une chose qui eut pour effet de dérouter définitivement André Antonovitch, en le jetant, au moment le plus critique, dans la plus lamentable irrésolution.
V
Pierre Stépanovitch se donna beaucoup de mouvement durant cette journée. À peine eut-il quitté Von Lembke qu’il se mit en devoir d’aller rue de l’Épiphanie, mais, en passant rue des Bœufs devant la demeure où logeait Karmazinoff, il s’arrêta brusquement, sourit et entra dans la maison. On lui répondit qu’il était attendu, ce qui l’étonna fort, car il n’avait nullement annoncé sa visite.
Mais le grand écrivain l’attendait en effet et même depuis l’avant-veille. Quatre jours auparavant il lui avait confié son Merci (le manuscrit qu’il se proposait de lire à la matinée littéraire), et cela par pure amabilité, convaincu qu’il flattait agréablement l’amour-propre de Pierre Stépanovitch en lui donnant la primeur d’une grande chose. Depuis longtemps le jeune homme s’était aperçu que ce monsieur vaniteux, gâté par le succès et inabordable pour le commun des mortels, cherchait, à force de gentillesses, à s’insinuer dans ses bonnes grâces. Il avait fini, je crois, par se douter que Karmazinoff le considérait sinon comme le principal meneur de la révolution russe, du moins comme une des plus fortes têtes du parti et un des guides les plus écoutés de la jeunesse. Il n’était pas sans intérêt pour Pierre Stépanovitch de savoir ce que pensait «l’homme le plus intelligent de la Russie», mais jusqu’alors, pour certains motifs, il avait évité toute explication avec lui.
Le grand écrivain logeait chez sa sœur qui avait épousé un chambellan et qui possédait des propriétés dans notre province. Le mari et la femme étaient pleins de respect pour leur illustre parent, mais, quand il vint leur demander l’hospitalité, tous deux, à leur extrême regret, se trouvaient à Moscou, en sorte que l’honneur de le recevoir échut à une vieille cousine du chambellan, une parente pauvre qui depuis longtemps remplissait chez les deux époux l’office de femme de charge. Tout le monde dans la maison marchait sur la pointe du pied depuis l’arrivée de M. Karmazinoff. Presque chaque jour la vieille écrivait à Moscou pour faire savoir comment il avait passé la nuit et ce qu’il avait mangé; un fois elle télégraphia qu’après un dîner chez le maire de la ville, il avait dû prendre une cuillerée d’un médicament. Elle se permettait rarement d’entrer dans la chambre de son hôte, il était cependant poli avec elle, mais il lui parlait d’un ton sec et seulement dans les cas de nécessité. Lorsque entra Pierre Stépanovitch, il était en train de manger sa côtelette du matin avec un demi-verre de vin rouge. Le jeune homme était déjà allé chez lui plusieurs fois et l’avait toujours trouvé à table, mais jamais Karmazinoff ne l’avait invité à partager son repas. Après la côtelette, on apporta une toute petite tasse de café. Le domestique qui servait avait des gants, un frac et des bottes molles dont on n’entendait pas le bruit.
– A-ah! fit Karmazinoff qui se leva, s’essuya avec sa serviette et, de la façon la plus cordiale en apparence, s’apprêta à embrasser le visiteur. Mais celui-ci savait par expérience que, quand le grand écrivain embrassait quelqu’un, il avait coutume de présenter la joue et non les lèvres [19]; aussi lui-même, dans la circonstance présente, en usa de cette manière: le baiser se borna à une rencontre des deux joues. Sans paraître remarquer cela, Karmazinoff reprit sa place sur le divan et indiqua aimablement à Pierre Stépanovitch un fauteuil en face de lui. Le jeune homme s’assit sur le siège qu’on lui montrait.
– Vous ne… Vous ne voulez pas déjeuner? demanda le romancier contrairement à son habitude, toutefois on voyait bien qu’il comptait sur un refus poli. Son attente fut trompée: Pierre Stépanovitch s’empressa de répondre affirmativement. L’expression d’une surprise désagréable parut sur le visage de Karmazinoff, mais elle n’eut que la durée d’un éclair; il sonna violemment, et, malgré sa parfaite éducation, ce fut d’un ton bourru qu’il ordonna au domestique de dresser un second couvert.
– Que prendrez-vous: une côtelette ou du café? crut-il devoir demander.
– Une côtelette et du café, faites aussi apporter du vin, j’ai une faim canine, répondit Pierre Stépanovitch qui examinait tranquillement le costume de son amphitryon. M. Karmazinoff portait une sorte de jaquette en ouate à boutons de nacre, mais trop courte, ce qui faisait un assez vilain effet, vu la rotondité de son ventre. Quoiqu’il fît chaud dans la chambre, sur ses genoux était déployé un plaid en laine, d’une étoffe quadrillée, qui traînait jusqu’à terre.
– Vous êtes malade? observa Pierre Stépanovitch.
– Non, mais j’ai peur de le devenir dans ce climat, répondit l’écrivain de sa voix criarde; du reste, il scandait délicatement chaque mot et susseyait à la façon des barines; – je vous attendais déjà hier.