Le Proces
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Joseph K., employ? de banque mod?le et sans probl?me, est arr?t? un matin par des inconnus v?tus d'un uniforme de voyage. K. reste pourtant libre de continuer ? vivre comme si rien ne s'?tait produit, mais il est sans arr?t surveill? et ?pi? par trois de ses coll?gues de travail. Pensant, au d?but, que tout cela n'?tait qu'une vile plaisanterie, K. ne tient pas compte de ce qui se passe. Intrigu? par l'absurdit? de la situation, il interroge les policiers sur son arrestation et n'obtient aucune r?ponse: c'est alors qu'un sentiment de culpabilit? s'empare de lui. Pour montrer que tout le monde se trompe ? son sujet, il accepte de venir ? toutes les convocations et de compara?tre devant le tribunal. Angoiss?, il cherche par tous les moyens ? s'innocenter et commence alors ? n?gliger son travail. Sur le conseil de son oncle, il engage un avocat qu'il va renvoyer par la suite ? cause de son inefficacit?, ce qui le contraint ? assurer lui-m?me sa propre d?fense devant la Cour de Justice…
Un roman d'une modernit? absolue, la grande Oeuvre kafka?enne: les situations sont impossibles, les personnages irr?els, l'histoire peu plausible, et pourtant nous savons tous, lorsque nous lisons ce texte, que Kafka nous parle profond?ment, v?ridiquement, de nous, de la soci?t?, de ce dr?le d'animal social qu'est l'homme.
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– Comment?» demanda K. en retournant la tête et en le regardant avec étonnement.
Mais Titorelli se rassit sur sa sellette et dit en plaisantant, comme pour expliquer:
«Il n’est rien qui ne relève de la justice!
– Première nouvelle», fit brièvement K.
La portée générale de la réflexion du peintre enlevait tout caractère inquiétant à sa remarque au sujet des fillettes. K. n’en resta pas moins un instant à regarder la porte derrière laquelle les gamines restaient tranquillement assises. Seule, l’une d’entre elles avait passé par une fente une paille qu’elle faisait monter et descendre lentement.
«Vous n’avez pas l’air, dit le peintre, de bien connaître encore la justice (il avait largement écarté les jambes et tambourinait de la pointe du pied sur le plancher). Vous n’en aurez d’ailleurs pas besoin, puisque vous êtes innocent; vous vous en tirerez tout seul.
– Comment vous y prendrez-vous donc? demanda K. Ne me disiez-vous pas à l’instant que la justice n’admet aucune espèce de preuve?
– Elle n’admet pas de preuve devant le tribunal, dit le peintre en levant l’index, comme pour faire remarquer à K. une subtile distinction, mais il en va tout autrement des preuves que l’on produit officieusement, dans la salle de délibération, dans les couloirs, ou dans cet atelier.»
Ce qu’il expliquait maintenant semblait plus vraisemblable à K.; cela ressemblait beaucoup à ce que disaient d’autres. C’était même très rassurant. S’il était vraiment aussi facile que maître Huld l’avait dit à K. de faire influencer le juge par des amis, les relations du peintre avec les magistrats pouvaient être très importantes; il ne fallait pas les mépriser! Titorelli pouvait prendre bon rang parmi les auxiliaires que K. réunissait petit à petit autour de lui.
Ne vantait-on pas à la banque les talents d’organisateur de M. le Fondé de pouvoir? C’était le moment de les essayer. Le peintre examinait l’effet que son explication avait produit sur K.; puis il lui dit d’un ton légèrement inquiet:
«N’êtes-vous pas frappé de voir que je parle presque comme un juriste! C’est le résultat de mon contact constant avec ces messieurs de la justice. J’en retire sûrement grand profit, mais l’élan artistique y perd énormément.
– Comment êtes-vous donc entré en relations avec les juges? demanda K., voulant gagner la confiance de Titorelli avant de le prendre carrément à son service.
– De la plus simple des façons, répondit le peintre. J’ai hérité ces relations. Mon père était déjà peintre du tribunal. C’est une situation qui s’hérite toujours. On n’a que faire de nouveaux venus dans ce métier. Suivant les grades des fonctionnaires, on se trouve en effet en face de prescriptions si différentes, si multiples et surtout si secrètes que personne ne les connaît en dehors de certaines familles. J’ai dans ce tiroir que vous voyez là-bas le règlement que détenait mon père et que je ne montre à personne. Or, il faut le posséder à fond pour être autorisé à faire le portrait des juges. Même si je le perdais, j’en connais par cœur tant de points que personne ne pourrait me disputer ma place. Tout juge, vous le comprenez bien, veut être peint comme les grands juges d’autrefois, et il n’y a que moi qui sache le faire.
– Voilà qui est enviable, dit K., songeant à sa situation à la banque. Votre position est donc inébranlable.
– Oui, inébranlable, dit le peintre en se redressant fièrement. Aussi puis-je me permettre d’aider de temps en temps un pauvre diable d’inculpé.
– Et comment vous y prenez-vous?» demanda K., comme si ce n’était pas lui que le peintre vînt de traiter de pauvre diable.
Mais Titorelli ne laissa pas la conversation s’égarer, il déclara:
«Dans votre cas, puisque vous êtes complètement innocent, voici ce que j’entreprendrai…»
K. commençait déjà à trouver fatigant qu’on lui reparlât de son innocence à tout instant. Il lui semblait parfois que le peintre faisait de son acquittement la condition d’une collaboration qui devenait inutile par là même. Mais il se contraignit et ne l’interrompit pas. Il ne voulait pas renoncer à cette aide, il y était bien décidé; elle ne lui semblait d’ailleurs pas plus problématique que celle de l’avocat. Il la préférait même beaucoup à l’autre, car elle s’offrait plus innocemment et plus franchement.
Le peintre rapprocha sa sellette du lit et poursuivit à voix basse:
«J’ai oublié de vous demander le mode d’acquittement que vous préférez. Trois possibilités se présentent: l’acquittement réel, l’acquittement apparent et l’atermoiement illimité. L’acquittement réel est évidemment le meilleur, mais je n’ai pas la moindre influence en ce qui concerne cette solution. Il n’y a personne à mon avis qui puisse déterminer un acquittement réel. C’est l’innocence de l’accusé qui doit seule le provoquer. Puisque vous êtes innocent, il vous serait effectivement possible de vous fier à cette seule innocence. Mais dans ce cas vous n’avez besoin ni de mon aide, ni de celle de personne.»
K. fut d’abord complètement ahuri par cet exposé méthodique, mais, se reprenant, il répondit, aussi bas que l’autre avait parlé:
«Je crois que vous vous contredisez.
– En quoi?» dit le peintre patiemment.
Et il renversa la tête en souriant. Ce sourire éveilla chez K. le sentiment qu’il s’agissait de découvrir des contradictions non dans les paroles du peintre, mais dans les procédés de la justice elle-même. Pourtant, il ne recula pas et dit:
«Vous m’avez fait remarquer tout à l’heure que la justice n’admettait pas de preuves, puis vous avez restreint la portée de vos paroles en disant qu’il ne s’agissait que de la justice officielle, et maintenant vous allez jusqu’à dire que l’innocent peut se passer d’aide. C’est une première contradiction. De plus, vous m’aviez déclaré qu’on pouvait influencer personnellement les juges, alors que vous niez maintenant que l’acquittement réel, comme vous l’appelez, puisse jamais s’obtenir par relations; c’est votre deuxième contradiction.
– Elles sont faciles à expliquer, répondit le peintre. Il s’agit là de deux choses différentes, d’une part de ce que dit la loi et d’autre part de ce que j’ai appris personnellement; il faut bien vous garder de confondre. Dans la loi, quoique je ne l’aie pas lue, il est dit naturellement que l’innocent est acquitté, mais elle ne vous enseigne pas qu’on peut influencer les juges. Or, j’ai appris tout le contraire; je n’ai jamais eu vent d’aucun acquittement réel, mais en revanche j’ai vu jouer bien des influences. Il est possible évidemment que, dans tous les cas que j’ai connus, nul innocent n’ait été en jeu, mais ne serait-ce pas invraisemblable? Sur tant de cas, pas un seul innocent? J’étais encore petit garçon que j’entendais déjà mon père parler procès à la maison; les juges qui venaient à l’atelier colportaient les anecdotes de la justice; on ne parle d’ailleurs pas d’autre chose dans notre milieu. Dès que j’ai eu moi-même la possibilité d’aller au tribunal, je l’ai toujours utilisée; j’ai assisté à toutes les grandes séances, j’ai suivi, autant qu’on le peut, un nombre infini de procès, et, je dois l’avouer, je n’ai jamais vu un acquittement réel.