Le Proces
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Joseph K., employ? de banque mod?le et sans probl?me, est arr?t? un matin par des inconnus v?tus d'un uniforme de voyage. K. reste pourtant libre de continuer ? vivre comme si rien ne s'?tait produit, mais il est sans arr?t surveill? et ?pi? par trois de ses coll?gues de travail. Pensant, au d?but, que tout cela n'?tait qu'une vile plaisanterie, K. ne tient pas compte de ce qui se passe. Intrigu? par l'absurdit? de la situation, il interroge les policiers sur son arrestation et n'obtient aucune r?ponse: c'est alors qu'un sentiment de culpabilit? s'empare de lui. Pour montrer que tout le monde se trompe ? son sujet, il accepte de venir ? toutes les convocations et de compara?tre devant le tribunal. Angoiss?, il cherche par tous les moyens ? s'innocenter et commence alors ? n?gliger son travail. Sur le conseil de son oncle, il engage un avocat qu'il va renvoyer par la suite ? cause de son inefficacit?, ce qui le contraint ? assurer lui-m?me sa propre d?fense devant la Cour de Justice…
Un roman d'une modernit? absolue, la grande Oeuvre kafka?enne: les situations sont impossibles, les personnages irr?els, l'histoire peu plausible, et pourtant nous savons tous, lorsque nous lisons ce texte, que Kafka nous parle profond?ment, v?ridiquement, de nous, de la soci?t?, de ce dr?le d'animal social qu'est l'homme.
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Juste à ce moment, derrière la porte, une petite voix pointue cria peureusement:
«Titorelli, pouvons-nous entrer?
– Non, répondit le peintre.
– Et toute seule, je ne peux pas non plus? demanda encore la voix.
– Non plus», dit le peintre.
Et il alla fermer la porte à clé [14].
Cependant K. examinait la pièce; il n’aurait jamais eu de lui-même l’idée qu’on pût appeler atelier cette misérable chambrette. On ne pouvait y faire plus de deux pas ni en long ni en large. Tout y était en bois, murs, plancher et plafond. De minces jours couraient entre les planches. Le lit se trouvait en face de K., contre le mur; il était surchargé de couvertures, d’oreillers et d’édredons de diverses couleurs. Au milieu de la pièce, une toile était montée sur un chevalet et recouverte d’une chemise dont les manches brimbalaient jusqu’au sol. La fenêtre était derrière K., mais le brouillard empêchait de voir plus loin que le toit de la maison voisine qui était recouvert de neige.
Le grincement de la clef dans la serrure rappela à K. son intention de ne pas rester. Il sortit donc de sa poche le mot de l’industriel, le tendit au peintre et lui dit:
«J’ai appris votre adresse par ce monsieur que vous connaissez et c’est sur son conseil que je suis venu vous trouver.»
Le peintre parcourut la lettre d’un regard et la jeta sur le lit. Si l’industriel n’avait pas affirmé expressément qu’il connaissait Titorelli et parlé de lui comme d’un pauvre homme qui en était réduit à ses aumônes, on aurait vraiment pu croire que Titorelli ne le connaissait pas ou tout au moins ne se souvenait pas de lui. Pour comble, il demanda:
«Voulez-vous acheter des tableaux ou faire faire votre portrait?»
K. regarda l’artiste avec étonnement. Qu’y avait-il donc dans la lettre? Il avait cru tout naturellement que l’industriel expliquait qu’il ne venait que pour son procès. Il était vraiment accouru avec trop de précipitation; il n’avait réfléchi à rien. Mais il fallait répondre au peintre et, jetant un regard sur le chevalet, il demanda:
«Vous étiez en train de travailler à une toile?
– Oui, dit le peintre en faisant suivre à la chemise du chevalet le même chemin qu’à la lettre. C’est un portrait. Un bon travail, mais il n’est pas encore fini.»
Le hasard était favorable à K.; on ne pouvait lui offrir plus belle occasion de parler de la justice, car le portrait était celui d’un juge. Il ressemblait d’ailleurs étonnamment au tableau que K. avait vu dans le cabinet de maître Huld. Sans doute s’agissait-il ici d’un tout autre juge (c’était un gros homme avec une grande barbe noire qui lui mangeait les joues), sans doute aussi le tableau de l’avocat était-il une peinture à l’huile alors que celui-ci n’était que rehaussé de légères teintes de pastel. Mais tout le reste se ressemblait: ici aussi le juge paraissait sur le point de se lever d’un air menaçant du trône dont il avait déjà saisi le bras pour se redresser. K. faillit dire: «Mais c’est un juge!» Mais il se retint encore un moment et s’approcha du tableau comme pour en étudier le détail. Le dossier du trône était surmonté en son milieu d’un grand personnage allégorique dont il ne put s’expliquer le sens; il s’en enquit auprès du peintre. Titorelli lui répondit que ce détail n’était pas achevé, alla prendre un pastel sur une petite table et souligna légèrement la silhouette sans la rendre d’ailleurs plus claire aux yeux de K.
«C’est la Justice, dit-il enfin.
– Ah! en effet, je commence déjà à la reconnaître, répondit K. Voici le bandeau autour des yeux, et voici la balance aussi. Mais on dirait qu’elle a des ailes aux talons ou qu’elle est en train de courir?
– Oui, dit le peintre. C’est sur commande que j’ai dû la traiter ainsi; elle doit représenter en effet à la fois la Justice et la Victoire.
– C’est un alliage difficile, déclara K. en souriant. La Justice ne doit pas bouger, autrement la balance vacille et ne peut plus peser juste.
– J’ai fait comme voulait mon client, dit le peintre.
– Évidemment! dit K. qui n’avait cherché à blesser personne. Vous avez peint l’allégorie telle qu’elle est représentée sur le vrai trône.
– Non, dit le peintre, je n’ai jamais vu l’allégorie ni le trône, je fais ça de chic, mais comme on me l’a prescrit.
– Comment! demanda K., feignant à dessein l’incompréhension. C’est pourtant bien un juge qui est assis sur ce fauteuil?
– Oui, dit le peintre, mais pas un grand; il ne s’est jamais assis sur un pareil trône.
– Et il s’est fait peindre quand même dans une attitude si solennelle? Il se tient là comme un président de cour!
– Oui, ces messieurs sont assez vaniteux, répondit le peintre. Mais l’autorité supérieure les autorise à se faire représenter ainsi. On leur prescrit exactement à tous comment ils ont le droit de se faire peindre. Malheureusement, ce tableau ne permet pas de juger des détails du costume ni des fioritures du trône, le pastel ne va pas très bien pour ce genre-là.
– En effet, dit K., je trouve étrange que vous ayez employé le pastel.
– C’est le juge qui l’a voulu ainsi, dit le peintre. Il le destine à une dame.»
L’aspect du tableau semblait lui avoir donné de l’ardeur au travail: il retroussa ses manches de chemise, prit quelques crayons dans sa main, et K. vit se former autour de la tête du juge, sous la pointe frémissante des pastels, une ombre rougeâtre dont l’auréole alla s’éteindre au bord du tableau. Petit à petit, ce jeu d’ombres finit par entourer la tête d’une sorte de couronne ou de noble parure. En revanche, à une faible nuance près, tout restait clair autour de l’image allégorique; elle en prenait un relief saisissant, mais ne ressemblait plus beaucoup à la déesse de la Justice non plus qu’à celle de la Victoire; elle avait parfaitement l’air d’être la déesse de la Chasse. Le travail du peintre intéressait K. plus qu’il n’eût voulu; il finit pourtant par se reprocher d’être resté si longtemps là et de n’avoir rien entrepris pour son affaire.
«Comment ce juge s’appelle-t-il donc? demanda-t-il à brûle-pourpoint.
– Je n’ai pas le droit de le dire», répondit le peintre.
Profondément penché sur son tableau, il négligeait nettement le visiteur qu’il avait pourtant reçu d’abord avec tant d’égards. K. prit cela pour un caprice et s’en irrita à cause du temps qu’il perdait.
«Vous êtes sans doute, demanda-t-il, un homme de confiance de la justice?»
Titorelli mit aussitôt ses crayons de côté, se leva, se frotta les mains et regarda K. en souriant.
«Il faut toujours, déclara-t-il, commencer par la vérité. Vous êtes venu pour que je vous parle de la justice, comme on me le dit dans votre mot, et vous commencez, pour m’amadouer, par me parler de mes tableaux. Je ne vous en veux pas, vous ne pouviez pas savoir que ce n’est pas de mise chez moi.