Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
– Vous… vous m’avez tellement stupéfié… bégaya Stépan Trophimovitch, – que je ne vous crois pas…
Lipoutine n’eut pas l’air de l’avoir entendu.
– Non, notez encore ceci, poursuivit-il, il fallait qu’elle fût joliment inquiète et agitée pour avoir adressé, elle si grande dame, une pareille question à un homme comme moi, et pour s’être abaissée même jusqu’à me demander le secret. Qu’est-ce qu’il y a donc? Aurait-on appris quelque nouvelle inattendue concernant Nicolas Vsévolodovitch?
– Je ne sais… aucune nouvelle… je n’ai pas vu Barbara Pétrovna depuis plusieurs jours… balbutia Stépan Trophimovitch, qui évidemment avait peine à renouer le fil des ses idées, – mais je vous ferai observer, Lipoutine… je vous ferai observer que, si l’on vous a parlé en confidence, et qu’à présent devant tout le monde vous…
– Tout à fait en confidence! Que la foudre me frappe si je mens! Voilà si je… Mais puisque c’est ici… eh bien, qu’est-ce que cela fait? Voyons, nous tous, ici présents, y compris même Alexis Nilitch, est-ce que nous sommes des étrangers?
– Je ne partage pas cette manière de voir; sans doute, nous sommes ici trois qui garderons le silence, mais pour ce qui est de vous, je ne crois pas du tout à votre discrétion.
– Que dites-vous donc? Je suis plus intéressé que personne à me taire, puisqu’on m’a promis une reconnaissance éternelle! Et, tenez, je voulais justement, à ce propos, vous signaler un cas extrêmement étrange, plutôt psychologique, pour ainsi dire, que simplement étrange. Hier soir, encore tout remué par mon entretien avec Barbara Pétrovna (vous pouvez vous figurer vous-même quelle impression il a produite sur moi), je questionnai Alexis Nilitch: Vous avez connu, lui dis-je, Nicolas Vsévolodovitch tant à l’étranger qu’à Pétersbourg, comment le trouvez-vous sous le rapport de l’esprit et des facultés? Il me répond laconiquement, à sa manière, que c’est un homme d’un esprit fin et d’un jugement sain. Mais, reprends-je, n’avez-vous jamais remarqué chez lui une certaine déviation d’idées, un tour d’esprit particulier, comme qui dirait une sorte de folie? Bref, je répète la question que m’avait posée Barbara Pétrovna elle-même. Alors, figurez-vous, je vois Alexis Nilitch devenir tout à coup pensif et faire une mine renfrognée, tenez, tout à fait comme à présent. «Oui, dit-il, quelque chose m’a parfois paru étrange.» Or, pour qu’une chose paraisse étrange à Alexis Nilitch, il ne faut pas demander si elle doit l’être, n’est-ce pas?
– C’est vrai? fit Stépan Trophimovitch en s’adressant à l’ingénieur.
Celui-ci releva brusquement la tête, ses yeux étincelaient.
– Je désirerais ne pas parler de cela, répondit-il, – je veux contester votre droit, Lipoutine. Vous n’avez nullement le droit d’invoquer mon témoignage. Je suis loin de vous avoir dit toute ma pensée. J’ai fait la connaissance de Nicolas Vsévolodovitch à Pétersbourg, mais il y a longtemps de cela, et, quoique je l’aie revu depuis, je le connais fort peu. Je vous prie de me laisser en dehors de vos cancans.
Lipoutine écarta les bras comme un innocent injustement accusé.
– Moi un cancanier! Pourquoi pas tout de suite un espion? Vous l’avez belle, Alexis Nilitch, à critiquer les autres quand vous vous tenez en dehors de tout. Voilà le capitaine Lébiadkine, vous ne sauriez croire, Stépan Trophimovitch, à quel point il est bête, on n’ose même pas le dire; il y a en russe une comparaison qui exprime ce degré de bêtise. Il croit, lui aussi, avoir à se plaindre de Nicolas Vsévolodovitch, dont il reconnaît cependant la supériorité intellectuelle. «Cet homme m’étonne, dit-il, c’est un très sage serpent.» Telle sont ses propres paroles. Hier, je l’interroge à son tour (j’étais toujours sous l’influence de ma conversation avec Barbara Pétrovna, et je songeais aussi à ce que m’avait dit Alexis Nilitch). «Eh bien, capitaine, lui dis-je, qu’est-ce que vous pensez de votre très sage serpent? Est-il fou, ou non?» À ces mots, le croiriez-vous? il sursauta comme si je lui avais soudain asséné, sans sa permission, un coup de fouet par derrière. «Oui, répondit-il, oui, seulement cela ne peut influer…» sur quoi? il ne l’a pas dit, mais ensuite il est tombé dans une rêverie si profonde et si sombre que son ivresse s’est dissipée. Nous étions alors attablés au traktin Philipoff. Une demi-heure se passa ainsi, puis, brusquement, il déchargea un coup de poing sur la table. «Oui, dit-il, il est fou, seulement cela ne peut pas influer…» Et de nouveau il laissa sa phrase inachevée. Naturellement, je ne vous donne qu’un extrait de notre conversation, la pensée est facile à comprendre: interrogez qui vous voulez vous retrouvez chez tous la même idée, et pourtant, autrefois, cette idée-là n’était venue à l’idée de personne: «Oui dit-on, il est fou; c’est un homme fort intelligent, mais il peut être fou tout de même.»
Stépan Trophimovitch restait soucieux.
– Et comment Lébiadkine connaît-il Nicolas Vsévolodovitch?
– Vous pourriez le demander à Alexis Nilitch, qui tout à l’heure, ici, m’a traité d’espion. Moi, je suis un espion et je ne sais rien, mais Alexis Nilitch connaît le fond des choses et se tait.
– Je ne sais rien ou presque rien, répliqua avec irritation l’ingénieur, – vous payez à boire à Lébiadkine pour lui tirer les vers du nez. Vous m’avez amené ici pour me faire parler. Donc vous êtes un espion!
– Je ne lui ai pas encore payé à boire, j’estime que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle; j’ignore quelle importance ses secrets ont pour vous, mais pour moi ils n’en ont aucune. Au contraire, c’est lui qui me régale de champagne et non moi qui lui en paye. Il y a une douzaine de jours, il est venu me demander quinze kopeks, et maintenant il jette l’argent par les fenêtres. Mais vous me donnez une idée et, s’il le faut, je lui payerai à boire, précisément pour arriver à connaître tous vos petits secrets… répondit aigrement Lipoutine.
Stépan Trophimovitch considérait avec étonnement ces deux visiteurs qui le rendaient témoin de leur dispute. Je me doutais que Lipoutine nous avait amené cet Alexis Nilitch exprès pour lui faire arracher par un tiers ce que lui-même avait envie de savoir; c’était sa manœuvre favorite.
– Alexis Nilitch connaît très bien Nicolas Vsévolodovitch, poursuivit-il avec colère, seulement il est cachottier. Quant au capitaine Lébiadkine au sujet de qui vous m’interrogiez, il l’a connu avant nous tous; leurs relations remontent à cinq ou six ans; il se sont rencontrés à Pétersbourg à l’époque où Nicolas Vsévolodovitch menait une existence peu connue et ne pensait pas encore à nous favoriser de sa visite. Il faut supposer que notre prince choisissait assez singulièrement sa société dans ce temps-là. C’est aussi alors, paraît-il, qu’il a fait la connaissance d’Alexis Nilitch.
– Prenez garde, Lipoutine, je vous avertis que Nicolas Vsévolodovitch va bientôt venir ici et qu’il ne fait pas bon se frotter à lui.
– Qu’est-ce que je dis? Je suis le premier à proclamer que c’est un homme d’un esprit très fin et très distingué; j’ai donné hier à Barbara Pétrovna les assurances les plus complètes sous ce rapport. «Par exemple, ai-je ajouté, je ne puis répondre de son caractère» Lébiadkine m’a parlé hier dans le même sens: «J’ai souffert de son caractère», m’a-t-il dit. Eh! Stépan Trophimovitch, vous avez bonne grâce à me traiter de cancanier et d’espion quand c’est vous-même, remarquez-le, qui m’avez forcé à vous raconter tout cela. Voyez-vous, hier, Barbara Pétrovna a touché le vrai point: «Vous avez été personnellement intéressé dans l’affaire, m’a-t-elle dit, voilà pourquoi je m’adresse à vous.» En effet, c’est bien le moins que je puisse m’occuper de Nicolas Vsévolodovitch après avoir dévoré une insulte personnelle qu’il m’a faite devant toute la société. Dans ces conditions, il me semble que, sans être cancanier, j’ai bien le droit de m’intéresser à ses faits et gestes. Aujourd’hui il vous serre la main, et demain, sans rime ni raison, en remerciement de votre hospitalité, il vous soufflette sur les deux joues devant toute l’honorable société, pour peu que la fantaisie lui en vienne. C’est un homme gâté par la fortune! Mais surtout c’est un enragé coureur, un Petchorine [3]! Vous qui n’êtes pas marié, Stépan Trophimovitch, vous l’avez belle à me traiter de cancanier parce que je m’exprime ainsi sur le compte de Son Excellence. Mais si jamais vous épousiez une jeune et jolie femme, – vous êtes encore assez vert pour cela, – je vous conseillerais de bien fermer votre porte à notre prince, et de vous barricader dans votre maison. Tenez, cette demoiselle Lébiadkine à qui l’on donne le fouet, n’était qu’elle est folle et bancale, je croirais vraiment qu’elle a été aussi victime des passions de notre général, et que le capitaine fait allusion à cela quand il dit qu’il a été blessé «dans son honneur de famille.» À la vérité, cette conjecture s’accorde peu avec le goût délicat de Nicolas Vsévolodovitch, mais ce n’est pas une raison pour l’écarter a priori : quand ces gens-là ont faim, ils mangent le premier fruit que le hasard met à leur portée. Vous allez encore dire que je fais des cancans, mais est-ce que je crie cela? C’est le bruit public, je me borne à écouter ce que crie toute la ville et à dire oui: il n’est pas défendu de dire oui.