Les Possedes
Les Possedes читать книгу онлайн
«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
– J’ai compris, j’ai compris; si j’insistais, c’est seulement parce que j’aime beaucoup notre pauvre ami, notre irascible ami, et parce que je me suis toujours intéressé… Cet homme a eu tort, selon moi, de renoncer si complètement à ses anciennes idées, qui péchaient peut-être par un excès de jeunesse, mais qui ne laissaient pas d’être justes au fond. À présent, il divague à un tel point sur «notre sainte Russie», que j’attribue cette lésion de son organisme, – je ne veux pas appeler la chose autrement, – à quelque forte secousse domestique, et notamment à son malheureux mariage. Moi qui ai étudié à fond notre pauvre Russie, et consacré toute ma vie au peuple russe, je puis vous assurer qu’il ne le connaît pas, et que de plus…
– Moi non plus je ne connais nullement le peuple russe, et… je n’ai pas le temps de l’étudier! fit brusquement l’ingénieur interrompant Stépan Trophimovitch au beau milieu de sa phrase.
– Il l’étudie, il l’étudie, remarqua Lipoutine, – il a déjà commencé à l’étudier, il est en train d’écrire un article très curieux sur les causes qui multiplient les cas de suicide en Russie, et, d’une façon générale, sur les influences auxquelles est due l’augmentation ou la diminution des suicides dans la société. Il est arrivé à des résultats étonnants.
L’ingénieur se fâcha.
– Vous n’avez aucunement le droit de dire cela, grommela-t-il avec colère, – je ne fais pas du tout d’article. Je ne donne pas dans ces stupidités. Je vous ai demandé quelques renseignements en confidence et tout à fait par hasard. Il n’est pas question d’article; je ne publie rien, et vous n’avez pas le droit…
Cette irritation semblait faire le bonheur de Lipoutine.
– Pardon, j’ai pu me tromper en donnant le nom d’article à votre travail littéraire. Alexis Nilitch se borne à recueillir des observations et ne touche pas du tout au fond de la question, à ce qu’on pourrait appeler son côté moral; bien plus, il repousse absolument la morale elle-même et tient pour le principe moderne de la destruction universelle comme préface à la réforme sociale. Il réclame plus de cent millions de têtes pour établir en Europe le règne du bon sens: c’est beaucoup plus qu’on n’en a demandé au dernier congrès de la paix. En ce sens, Alexis Nilitch va plus loin que personne.
L’ingénieur écoutait, un pâle et méprisant sourire sur les lèvres. Pendant une demi-minute, tout le monde se tut.
– Tout cela est bête, Lipoutine, dit enfin avec une certaine dignité M. Kiriloff. – Si je vous avais exposé ma manière de voir, vous seriez libre de la critiquer. Mais vous n’avez pas ce droit-là, parce que je ne parle jamais à personne. Je dédaigne de parler… Si j’ai telle ou telle conviction, c’est que cela est clair pour moi… et le langage que vous venez de tenir est bête. Je ne disserte pas sur les points qui sont tranchés pour moi. Je ne puis souffrir la discussion, je ne veux jamais raisonner…
– Et peut-être vous faites bien, ne put s’empêcher d’observer Stépan Trophimovitch.
– Je vous demande pardon, mais ici je ne suis fâché contre personne, poursuivit avec vivacité le visiteur; – depuis quatre ans, j’ai vu peu de monde; pendant ces quatre années j’ai peu causé; j’évitais les rapports avec les gens parce que cela était sans utilité pour mes buts. Lipoutine a découvert cela, et il en rit. Je le comprends et je n’y fais pas attention, je suis seulement vexé de la liberté qu’il prend. Mais si je ne vous expose pas mes idées, acheva-t-il à l’improviste en nous enveloppant tous d’un regard assuré, ce n’est pas du tout que je craigne d’être dénoncé par vous au gouvernement; non; je vous en prie, n’allez pas vous figurer des bêtises pareilles…
Personne ne répondit à ces mots; nous nous contentâmes de nous regarder les uns les autres. Lipoutine lui-même cessa de rire.
– Messieurs, je suis désolé, dit Stépan Trophimovitch se levant avec résolution, – mais je ne me sens pas bien. Excusez-moi.
– Ah! il faut s’en aller, remarqua M. Kiriloff en prenant son chapeau, – vous avez bien fait de le dire, sans cela je n’y aurai pas pensé.
Il se leva et avec beaucoup de bonhomie s’avança, la main tendue, vers le maître de la maison.
– Je regrette d’être venu vous déranger alors que vous êtes souffrant.
– Je vous souhaite chez vous tout le succès possible, répondit Stépan Trophimovitch en lui serrant cordialement la main, – Si, comme vous le dites, vous avez vécu si longtemps à l’étranger, si vous avez, dans l’intérêt de vos buts, évité le commerce des gens et oublié la Russie, je comprends que vous vous trouviez un peu dépaysé au milieu de nous autres, Russes primitifs. Mais cela se passera. Il y a seulement une chose qui me chiffonne: vous voulez construire notre pont et en même temps vous vous déclarez partisan de la destruction universelle. On ne vous confiera pas la construction de notre pont!
– Comment! que dites-vous?… Ah diable! s’écria Kiriloff frappé de cette observation, et il se mit à rire avec la plus franche gaieté. Durant un instant son visage prit une expression tout à fait enfantine qui, me sembla-t-il, lui allait très bien. Lipoutine se frottait les mains, enchanté du mot spirituel de Stépan Trophimovitch. Et moi je ne cessais de me demander pourquoi ce dernier avait eu si peur de Lipoutine, pourquoi, en entendant sa voix, il s’était écrié: «Je suis perdu!»
V
Nous nous arrêtâmes tous sur le seuil de la porte. C’était le moment où maîtres de maison et visiteurs échangent les dernières civilités avant de se séparer.
– S’il est de mauvaise humeur aujourd’hui, dit brusquement Lipoutine, – c’est parce qu’il a eu tantôt une prise de bec avec le capitaine Lébiadkine à propos de la sœur de celui-ci. Elle est folle, et chaque jour le capitaine Lébiadkine lui donne le fouet. Il la fustige matin et soir avec une vraie nagaïka de Cosaque. Alexis Nilitch s’est même transféré dans un pavillon attenant à la maison pour ne plus être témoin de ces scènes. Allons, au revoir.
– Une sœur? Malade? Avec une nagaïka? s’écria Stépan Trophimovitch, comme si on l’avait lui-même cinglé d’un coup de fouet. – Quelle sœur? Quel Lébiadkine?
Sa frayeur de tantôt l’avait ressaisi instantanément.
– Lébiadkine! Mais c’est un capitaine en retraite; auparavant il s’intitulait seulement capitaine d’état-major…
– Eh! que m’importe son grade? Quelle sœur? Mon Dieu… Lébiadkine, dites-vous? Mais nous avons eu ici un Lébiadkine…
– C’est celui-là même, c’est notre Lébiadkine, celui de Virguinsky, vous vous rappelez?
– Mais celui-là a été pris faisant circuler de faux assignats?
– Eh bien, il est revenu, il y a à peu près trois semaines, et dans des circonstances très particulières.
– Mais c’est un vaurien?
– Comme s’il ne pouvait pas y avoir de vauriens chez nous! fit brusquement Lipoutine; il souriait, et ses petits yeux malins semblaient vouloir fouiller dans l’âme de Stépan Trophimovitch.